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Fatima

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40 ans, née au Maroc

Fragments d’histoire de langues

Terrain 2 : Adultes, 2017-2018
Corpus : Violaine Béduneau
Analyses et construction du portrait :
Violaine Béduneau et Aude Bretegnier

  • Fatima est née au Maroc en 1976.
  • Langue maternelle déclarée : arabe marocain
  • Scolarisée au Maroc, en arabe jusqu’à 7 ans, puis en français. Après le brevet, elle rejoint un centre de formation où elle obtient un CAP couture. Sa langue de scolarisation est donc majoritairement le français.
  • Après s’être mariée avec un homme français a rencontré au Maroc, le couple est parti vivre en France, au Mans, où ils ont fondé leur famille. Ses trois enfants, âgés de 6, 10 et 13 ans au moment de l’entretien, sont nés en France.
  • Actuellement mère au foyer, bénévole au sein de l’association AFaLaC (Le Mans)
  • Au foyer, l’arabe n’a pas été transmis aux enfants, le français est devenue la principale voire unique langue de communication.

Couturière de formation, Fatima est mère au foyer, et bénévole très investie dans l’association AFaLaC : elle raconte des histoires en arabe dans le cadre d’ateliers plurilingues organisés dans les écoles de la communauté urbaine du Mans. Elle participe aussi aux mises en voix d’albums de littérature Jeunesse et apporte son expertise linguistique pour la création de ressources éducatives. plurilingues.

De l’importance des racines linguistiques et culturelles en contexte migratoire

F: l'arabe c'est important pour moi // bah pourquoi /parce que
c'est mes racines // est-ce que tu peux voir une arbre qui peut pousser /
il tombe des fruits / sans racines // des bons fruits, sans racines ? // non, tu peux pas /// alors si j'essaye de oublier, bah, je peux pas oublier/

F: bah ma culture elle est collée à moi // ma culture elle est sur moi /

Fatima exprime beaucoup d’attachement par rapport à l’arabe. Elle utilise des métaphores exprimant un lien vital à sa langue : l’arabe est sa « langue-racine », et « sans racines, pas de bons fruits »…

Ses « fruits » à elle, ses trois enfants nés et scolarisés en France, d’un père français, ont pourtant grandi sans l’arabe, qui n’a pas été transmis et qu’ils ne parlent pas, ce que Fatima explique comme un choix de ne pas transmettre l’arabe pour ne pas exclure le père, non-arabophone, des échanges au sein du foyer.

Attachée à l’arabe, sa « langue-racine », mais ayant fait « le choix » de ne pas la transmettre… Un paradoxe ?

Souci de cohésion familiale… mais aussi idéologies sociolinguistiques en contexte post-colonial, intégration sous pression assimilationniste, souhaiter disparaitre comme étranger

Il faut replacer l’histoire de Fatima dans la situation de pluralité linguistique inégalitaire dans laquelle sont en contact la langue maternelle minorée, variété orale à l’ombre de « l’arabe », langue légitime écrite, standardisée, mais aussi du français, langue de domination coloniale demeurée prestigieuse, langue apprise à l’école, devenue seconde, d’intégration, mais aussi langue du père de ses enfants et de leur socialisation et scolarisation. On devine alors la force de la pression s’exerçant sur ce choix ne pas transmettre, « d’essayer d’oublier ».

Dans sa vie d’adulte et de mère, le français est devenue la langue dominante de ses communications usuelles, Fatima manque finalement d’interlocuteurs avec lesquels parler arabe, ce qu’elle fait avec plaisir quand l’occasion se présente. Il est intéressant de remarquer qu’elle prend pour exemple des échanges avec Relyes, (Cf. portrait 7), maman originaire d’Algérie, bénévole comme elle dans l’association, avec laquelle parler arabe lui permet, au-delà de frontières nationales ou dialectales, de créer de l’entre-nous, s’inter-comprendre, faire communauté.

En France elle se rend compte que malgré tous les efforts pour tenter de « faire comme les Français », elle continue à se sentir étrangère, témoigne d’expériences ordinaires de rejet et de stigmatisation à propos de ses usages langagiers, ses compétences en français, ce qui peut produire un peu d’insécurité linguistique, mais son discours montre qu’elle prend du recul par rapport à ces stigmates, les rejette (« ce qui me gave », « au suivant »…).

« Être étrangère » semble l’avoir longtemps fait souffrir, elle comprend maintenant que désirer ne plus l’être était à la fois un leurre et un piège, prend conscience que le pire serait sans doute de ne jamais pouvoir l’accepter, de continuer, jusqu’à « perdre » ses racines, à vouloir devenir l’Autre, « étranger à soi-même »… (Kristeva, [1988] 2011).

L’arabe langue de l’entre-nous, partage de confidences

E : il n'y a personne d'autre avec qui tu parles arabe ?
F : à part la famille / et parfois quand j'ai envie de dire quelque chose /// discrète / sans blesser / si quelqu'un qui parle l'arabe / je peux le parler l'arabe / comme à Relyes / je parle temps en temps avec elle en arabe / pour poser des questions / pour savoir qu'est-ce qui se passe entre parenthèses //

Des ressentis de stigmatisation, de glottophobie, qui peuvent générer de l’insécurité linguistique en français

F: je peux faire des fautes de conjugaison / de // mais / y a des choses qui sont simples / plus simples // et tu fais semblant que tu me comprends pas // et parfois qui me / qui me gave aussi / quand quelqu'un qui te parle / t’as compris ? / t’as compris ? // OUI j’ai compris / suivant //

S’intégrer ? Après tant d’années, le sentiment de « rester étrangère »…

E : et ça te convient de / rester étrangère ?
F : euh / bah /// fff // non / bah // euh / tu n'as pas le choix // tu es étrangère / tu n'as pas le choix / même / tu vas faire quoi // même tu fais la teinte à tes cheveux / même tu parles français couramment / même tout ça /// tu restes étrangère // tu restes /// mais c'est mieux que tu restes étrangère / et tu gardes tes racines / que tu es étrangère et tu perds tes racines //

Mais le pire serait de ne pas l’accepter, de vouloir devenir l’Autre, jusqu’à « oublier » ses racines, se perdre tout à fait

F : si je perde // ma culture / et je perds / je suis pas français / alors je suis nulle part /// [silence] c'est mieux que je garde / quand même / j'ai une racine / j'ai quelque chose // et je suis fière [sourire, émue]

Plan de l’exposition →
Imaginaires plurilingues entre familles et écoles : expériences, parcours, démarches didactiques

40 ans, née au Maroc

Fragments d’histoire de langues

Terrain 2 : Adultes, 2017-2018
Corpus : Violaine Béduneau
Analyses et construction du portrait :
Violaine Béduneau et Aude Bretegnier

  • Fatima est née au Maroc en 1976.
  • Langue maternelle déclarée : arabe marocain
  • Scolarisée au Maroc, en arabe jusqu’à 7 ans, puis en français. Après le brevet, elle rejoint un centre de formation où elle obtient un CAP couture. Sa langue de scolarisation est donc majoritairement le français.
  • Après s’être mariée avec un homme français a rencontré au Maroc, le couple est parti vivre en France, au Mans, où ils ont fondé leur famille. Ses trois enfants, âgés de 6, 10 et 13 ans au moment de l’entretien, sont nés en France.
  • Actuellement mère au foyer, bénévole au sein de l’association AFaLaC (Le Mans)
  • Au foyer, l’arabe n’a pas été transmis aux enfants, le français est devenue la principale voire unique langue de communication.

Couturière de formation, Fatima est mère au foyer, et bénévole très investie dans l’association AFaLaC : elle raconte des histoires en arabe dans le cadre d’ateliers plurilingues organisés dans les écoles de la communauté urbaine du Mans. Elle participe aussi aux mises en voix d’albums de littérature Jeunesse et apporte son expertise linguistique pour la création de ressources éducatives. plurilingues.

De l’importance des racines linguistiques et culturelles en contexte migratoire

F: l'arabe c'est important pour moi // bah pourquoi /parce que
c'est mes racines // est-ce que tu peux voir une arbre qui peut pousser /
il tombe des fruits / sans racines // des bons fruits, sans racines ? // non, tu peux pas /// alors si j'essaye de oublier, bah, je peux pas oublier/

F: bah ma culture elle est collée à moi // ma culture elle est sur moi /

Fatima exprime beaucoup d’attachement par rapport à l’arabe. Elle utilise des métaphores exprimant un lien vital à sa langue : l’arabe est sa « langue-racine », et « sans racines, pas de bons fruits »…

Ses « fruits » à elle, ses trois enfants nés et scolarisés en France, d’un père français, ont pourtant grandi sans l’arabe, qui n’a pas été transmis et qu’ils ne parlent pas, ce que Fatima explique comme un choix de ne pas transmettre l’arabe pour ne pas exclure le père, non-arabophone, des échanges au sein du foyer.

Attachée à l’arabe, sa « langue-racine », mais ayant fait « le choix » de ne pas la transmettre… Un paradoxe ?

Souci de cohésion familiale… mais aussi idéologies sociolinguistiques en contexte post-colonial, intégration sous pression assimilationniste, souhaiter disparaitre comme étranger

Il faut replacer l’histoire de Fatima dans la situation de pluralité linguistique inégalitaire dans laquelle sont en contact la langue maternelle minorée, variété orale à l’ombre de « l’arabe », langue légitime écrite, standardisée, mais aussi du français, langue de domination coloniale demeurée prestigieuse, langue apprise à l’école, devenue seconde, d’intégration, mais aussi langue du père de ses enfants et de leur socialisation et scolarisation. On devine alors la force de la pression s’exerçant sur ce choix ne pas transmettre, « d’essayer d’oublier ».

Dans sa vie d’adulte et de mère, le français est devenue la langue dominante de ses communications usuelles, Fatima manque finalement d’interlocuteurs avec lesquels parler arabe, ce qu’elle fait avec plaisir quand l’occasion se présente. Il est intéressant de remarquer qu’elle prend pour exemple des échanges avec Relyes, (Cf. portrait 7), maman originaire d’Algérie, bénévole comme elle dans l’association, avec laquelle parler arabe lui permet, au-delà de frontières nationales ou dialectales, de créer de l’entre-nous, s’inter-comprendre, faire communauté.

En France elle se rend compte que malgré tous les efforts pour tenter de « faire comme les Français », elle continue à se sentir étrangère, témoigne d’expériences ordinaires de rejet et de stigmatisation à propos de ses usages langagiers, ses compétences en français, ce qui peut produire un peu d’insécurité linguistique, mais son discours montre qu’elle prend du recul par rapport à ces stigmates, les rejette (« ce qui me gave », « au suivant »…).

« Être étrangère » semble l’avoir longtemps fait souffrir, elle comprend maintenant que désirer ne plus l’être était à la fois un leurre et un piège, prend conscience que le pire serait sans doute de ne jamais pouvoir l’accepter, de continuer, jusqu’à « perdre » ses racines, à vouloir devenir l’Autre, « étranger à soi-même »… (Kristeva, [1988] 2011).

L’arabe langue de l’entre-nous, partage de confidences

E : il n'y a personne d'autre avec qui tu parles arabe ?
F : à part la famille / et parfois quand j'ai envie de dire quelque chose /// discrète / sans blesser / si quelqu'un qui parle l'arabe / je peux le parler l'arabe / comme à Relyes / je parle temps en temps avec elle en arabe / pour poser des questions / pour savoir qu'est-ce qui se passe entre parenthèses //

Des ressentis de stigmatisation, de glottophobie, qui peuvent générer de l’insécurité linguistique en français

F: je peux faire des fautes de conjugaison / de // mais / y a des choses qui sont simples / plus simples // et tu fais semblant que tu me comprends pas // et parfois qui me / qui me gave aussi / quand quelqu'un qui te parle / t’as compris ? / t’as compris ? // OUI j’ai compris / suivant //

S’intégrer ? Après tant d’années, le sentiment de « rester étrangère »…

E : et ça te convient de / rester étrangère ?
F : euh / bah /// fff // non / bah // euh / tu n'as pas le choix // tu es étrangère / tu n'as pas le choix / même / tu vas faire quoi // même tu fais la teinte à tes cheveux / même tu parles français couramment / même tout ça /// tu restes étrangère // tu restes /// mais c'est mieux que tu restes étrangère / et tu gardes tes racines / que tu es étrangère et tu perds tes racines //

Mais le pire serait de ne pas l’accepter, de vouloir devenir l’Autre, jusqu’à « oublier » ses racines, se perdre tout à fait

F : si je perde // ma culture / et je perds / je suis pas français / alors je suis nulle part /// [silence] c'est mieux que je garde / quand même / j'ai une racine / j'ai quelque chose // et je suis fière [sourire, émue]

40 ans, née au Maroc

Fragments d’histoire de langues

Terrain 2 : Adultes, 2017-2018
Corpus : Violaine Béduneau
Analyses et construction du portrait :
Violaine Béduneau et Aude Bretegnier

  • Fatima est née au Maroc en 1976.
  • Langue maternelle déclarée : arabe marocain
  • Scolarisée au Maroc, en arabe jusqu’à 7 ans, puis en français. Après le brevet, elle rejoint un centre de formation où elle obtient un CAP couture. Sa langue de scolarisation est donc majoritairement le français.
  • Après s’être mariée avec un homme français a rencontré au Maroc, le couple est parti vivre en France, au Mans, où ils ont fondé leur famille. Ses trois enfants, âgés de 6, 10 et 13 ans au moment de l’entretien, sont nés en France.
  • Actuellement mère au foyer, bénévole au sein de l’association AFaLaC (Le Mans)
  • Au foyer, l’arabe n’a pas été transmis aux enfants, le français est devenue la principale voire unique langue de communication.

Couturière de formation, Fatima est mère au foyer, et bénévole très investie dans l’association AFaLaC : elle raconte des histoires en arabe dans le cadre d’ateliers plurilingues organisés dans les écoles de la communauté urbaine du Mans. Elle participe aussi aux mises en voix d’albums de littérature Jeunesse et apporte son expertise linguistique pour la création de ressources éducatives. plurilingues.

De l’importance des racines linguistiques et culturelles en contexte migratoire

F: l'arabe c'est important pour moi // bah pourquoi /parce que
c'est mes racines // est-ce que tu peux voir une arbre qui peut pousser /
il tombe des fruits / sans racines // des bons fruits, sans racines ? // non, tu peux pas /// alors si j'essaye de oublier, bah, je peux pas oublier/

F: bah ma culture elle est collée à moi // ma culture elle est sur moi /

Fatima exprime beaucoup d’attachement par rapport à l’arabe. Elle utilise des métaphores exprimant un lien vital à sa langue : l’arabe est sa « langue-racine », et « sans racines, pas de bons fruits »…

Ses « fruits » à elle, ses trois enfants nés et scolarisés en France, d’un père français, ont pourtant grandi sans l’arabe, qui n’a pas été transmis et qu’ils ne parlent pas, ce que Fatima explique comme un choix de ne pas transmettre l’arabe pour ne pas exclure le père, non-arabophone, des échanges au sein du foyer.

Attachée à l’arabe, sa « langue-racine », mais ayant fait « le choix » de ne pas la transmettre… Un paradoxe ?

Souci de cohésion familiale… mais aussi idéologies sociolinguistiques en contexte post-colonial, intégration sous pression assimilationniste, souhaiter disparaitre comme étranger

Il faut replacer l’histoire de Fatima dans la situation de pluralité linguistique inégalitaire dans laquelle sont en contact la langue maternelle minorée, variété orale à l’ombre de « l’arabe », langue légitime écrite, standardisée, mais aussi du français, langue de domination coloniale demeurée prestigieuse, langue apprise à l’école, devenue seconde, d’intégration, mais aussi langue du père de ses enfants et de leur socialisation et scolarisation. On devine alors la force de la pression s’exerçant sur ce choix ne pas transmettre, « d’essayer d’oublier ».

Dans sa vie d’adulte et de mère, le français est devenue la langue dominante de ses communications usuelles, Fatima manque finalement d’interlocuteurs avec lesquels parler arabe, ce qu’elle fait avec plaisir quand l’occasion se présente. Il est intéressant de remarquer qu’elle prend pour exemple des échanges avec Relyes, (Cf. portrait 7), maman originaire d’Algérie, bénévole comme elle dans l’association, avec laquelle parler arabe lui permet, au-delà de frontières nationales ou dialectales, de créer de l’entre-nous, s’inter-comprendre, faire communauté.

En France elle se rend compte que malgré tous les efforts pour tenter de « faire comme les Français », elle continue à se sentir étrangère, témoigne d’expériences ordinaires de rejet et de stigmatisation à propos de ses usages langagiers, ses compétences en français, ce qui peut produire un peu d’insécurité linguistique, mais son discours montre qu’elle prend du recul par rapport à ces stigmates, les rejette (« ce qui me gave », « au suivant »…).

« Être étrangère » semble l’avoir longtemps fait souffrir, elle comprend maintenant que désirer ne plus l’être était à la fois un leurre et un piège, prend conscience que le pire serait sans doute de ne jamais pouvoir l’accepter, de continuer, jusqu’à « perdre » ses racines, à vouloir devenir l’Autre, « étranger à soi-même »… (Kristeva, [1988] 2011).

L’arabe langue de l’entre-nous, partage de confidences

E : il n'y a personne d'autre avec qui tu parles arabe ?
F : à part la famille / et parfois quand j'ai envie de dire quelque chose /// discrète / sans blesser / si quelqu'un qui parle l'arabe / je peux le parler l'arabe / comme à Relyes / je parle temps en temps avec elle en arabe / pour poser des questions / pour savoir qu'est-ce qui se passe entre parenthèses //

Des ressentis de stigmatisation, de glottophobie, qui peuvent générer de l’insécurité linguistique en français

F: je peux faire des fautes de conjugaison / de // mais / y a des choses qui sont simples / plus simples // et tu fais semblant que tu me comprends pas // et parfois qui me / qui me gave aussi / quand quelqu'un qui te parle / t’as compris ? / t’as compris ? // OUI j’ai compris / suivant //

S’intégrer ? Après tant d’années, le sentiment de « rester étrangère »…

E : et ça te convient de / rester étrangère ?
F : euh / bah /// fff // non / bah // euh / tu n'as pas le choix // tu es étrangère / tu n'as pas le choix / même / tu vas faire quoi // même tu fais la teinte à tes cheveux / même tu parles français couramment / même tout ça /// tu restes étrangère // tu restes /// mais c'est mieux que tu restes étrangère / et tu gardes tes racines / que tu es étrangère et tu perds tes racines //

Mais le pire serait de ne pas l’accepter, de vouloir devenir l’Autre, jusqu’à « oublier » ses racines, se perdre tout à fait

F : si je perde // ma culture / et je perds / je suis pas français / alors je suis nulle part /// [silence] c'est mieux que je garde / quand même / j'ai une racine / j'ai quelque chose // et je suis fière [sourire, émue]

40 ans, née au Maroc

Fragments d’histoire de langues

Terrain 2 : Adultes, 2017-2018
Corpus : Violaine Béduneau
Analyses et construction du portrait :
Violaine Béduneau et Aude Bretegnier

  • Fatima est née au Maroc en 1976.
  • Langue maternelle déclarée : arabe marocain
  • Scolarisée au Maroc, en arabe jusqu’à 7 ans, puis en français. Après le brevet, elle rejoint un centre de formation où elle obtient un CAP couture. Sa langue de scolarisation est donc majoritairement le français.
  • Après s’être mariée avec un homme français a rencontré au Maroc, le couple est parti vivre en France, au Mans, où ils ont fondé leur famille. Ses trois enfants, âgés de 6, 10 et 13 ans au moment de l’entretien, sont nés en France.
  • Actuellement mère au foyer, bénévole au sein de l’association AFaLaC (Le Mans)
  • Au foyer, l’arabe n’a pas été transmis aux enfants, le français est devenue la principale voire unique langue de communication.

Couturière de formation, Fatima est mère au foyer, et bénévole très investie dans l’association AFaLaC : elle raconte des histoires en arabe dans le cadre d’ateliers plurilingues organisés dans les écoles de la communauté urbaine du Mans. Elle participe aussi aux mises en voix d’albums de littérature Jeunesse et apporte son expertise linguistique pour la création de ressources éducatives. plurilingues.

De l’importance des racines linguistiques et culturelles en contexte migratoire

F: l'arabe c'est important pour moi // bah pourquoi /parce que
c'est mes racines // est-ce que tu peux voir une arbre qui peut pousser /
il tombe des fruits / sans racines // des bons fruits, sans racines ? // non, tu peux pas /// alors si j'essaye de oublier, bah, je peux pas oublier/

F: bah ma culture elle est collée à moi // ma culture elle est sur moi /

Fatima exprime beaucoup d’attachement par rapport à l’arabe. Elle utilise des métaphores exprimant un lien vital à sa langue : l’arabe est sa « langue-racine », et « sans racines, pas de bons fruits »…

Ses « fruits » à elle, ses trois enfants nés et scolarisés en France, d’un père français, ont pourtant grandi sans l’arabe, qui n’a pas été transmis et qu’ils ne parlent pas, ce que Fatima explique comme un choix de ne pas transmettre l’arabe pour ne pas exclure le père, non-arabophone, des échanges au sein du foyer.

Attachée à l’arabe, sa « langue-racine », mais ayant fait « le choix » de ne pas la transmettre… Un paradoxe ?

Souci de cohésion familiale… mais aussi idéologies sociolinguistiques en contexte post-colonial, intégration sous pression assimilationniste, souhaiter disparaitre comme étranger

Il faut replacer l’histoire de Fatima dans la situation de pluralité linguistique inégalitaire dans laquelle sont en contact la langue maternelle minorée, variété orale à l’ombre de « l’arabe », langue légitime écrite, standardisée, mais aussi du français, langue de domination coloniale demeurée prestigieuse, langue apprise à l’école, devenue seconde, d’intégration, mais aussi langue du père de ses enfants et de leur socialisation et scolarisation. On devine alors la force de la pression s’exerçant sur ce choix ne pas transmettre, « d’essayer d’oublier ».

Dans sa vie d’adulte et de mère, le français est devenue la langue dominante de ses communications usuelles, Fatima manque finalement d’interlocuteurs avec lesquels parler arabe, ce qu’elle fait avec plaisir quand l’occasion se présente. Il est intéressant de remarquer qu’elle prend pour exemple des échanges avec Relyes, (Cf. portrait 7), maman originaire d’Algérie, bénévole comme elle dans l’association, avec laquelle parler arabe lui permet, au-delà de frontières nationales ou dialectales, de créer de l’entre-nous, s’inter-comprendre, faire communauté.

En France elle se rend compte que malgré tous les efforts pour tenter de « faire comme les Français », elle continue à se sentir étrangère, témoigne d’expériences ordinaires de rejet et de stigmatisation à propos de ses usages langagiers, ses compétences en français, ce qui peut produire un peu d’insécurité linguistique, mais son discours montre qu’elle prend du recul par rapport à ces stigmates, les rejette (« ce qui me gave », « au suivant »…).

« Être étrangère » semble l’avoir longtemps fait souffrir, elle comprend maintenant que désirer ne plus l’être était à la fois un leurre et un piège, prend conscience que le pire serait sans doute de ne jamais pouvoir l’accepter, de continuer, jusqu’à « perdre » ses racines, à vouloir devenir l’Autre, « étranger à soi-même »… (Kristeva, [1988] 2011).

L’arabe langue de l’entre-nous, partage de confidences

E : il n'y a personne d'autre avec qui tu parles arabe ?
F : à part la famille / et parfois quand j'ai envie de dire quelque chose /// discrète / sans blesser / si quelqu'un qui parle l'arabe / je peux le parler l'arabe / comme à Relyes / je parle temps en temps avec elle en arabe / pour poser des questions / pour savoir qu'est-ce qui se passe entre parenthèses //

Des ressentis de stigmatisation, de glottophobie, qui peuvent générer de l’insécurité linguistique en français

F: je peux faire des fautes de conjugaison / de // mais / y a des choses qui sont simples / plus simples // et tu fais semblant que tu me comprends pas // et parfois qui me / qui me gave aussi / quand quelqu'un qui te parle / t’as compris ? / t’as compris ? // OUI j’ai compris / suivant //

S’intégrer ? Après tant d’années, le sentiment de « rester étrangère »…

E : et ça te convient de / rester étrangère ?
F : euh / bah /// fff // non / bah // euh / tu n'as pas le choix // tu es étrangère / tu n'as pas le choix / même / tu vas faire quoi // même tu fais la teinte à tes cheveux / même tu parles français couramment / même tout ça /// tu restes étrangère // tu restes /// mais c'est mieux que tu restes étrangère / et tu gardes tes racines / que tu es étrangère et tu perds tes racines //

Mais le pire serait de ne pas l’accepter, de vouloir devenir l’Autre, jusqu’à « oublier » ses racines, se perdre tout à fait

F : si je perde // ma culture / et je perds / je suis pas français / alors je suis nulle part /// [silence] c'est mieux que je garde / quand même / j'ai une racine / j'ai quelque chose // et je suis fière [sourire, émue]