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II. Pratiques (de transmission-appropriation) langagières familiales

L’ENFANT, UN ÊTRE À FORMER

NOUVEAUX LIEUX, NOUVELLES INSTITUTIONS

DES RÉGENTS ET D’ANCIENS ÉLÈVES TÉMOIGNENT

BIBLIOTHÈQUE SONORE

2.1. Des pratiques adossées à des politiques linguistiques familiales

  • Au sein des foyers, les pratiques s’adossent à des politiques linguistiques familiales (Deprez, 1994) diversement explicitées, encourageant ou réprimant la pluralité, à travers lesquelles les parents font des choix, mettent en œuvre desstratégies, définissent des normes à l’aune desquelles se réalisent et se « valuent » (Blanchet, 2005) les pratiques langagières familiales.
    • … et cela qu’elles soient pluri- ou mono-lingues, rejouant quoiqu’il arrive toujours, entre des langues et/ou dans la variation inhérente à chacune, en référence hiérarchisée à une variété faisant norme, une problématique de gestion de la diversité dans un enjeu de mobilité, de réussite des enfants.
  • Selon les discours de la majorité des collégiens et des parents d’enfants scolarisés, c’est « en bilingue » [p-12] (/plurilingue), que s’opèrent les échanges, avec des complexités : la langue dont les parents font usage entre eux n’est pas toujours celle dans laquelle ils s’adressent aux enfants [p-9], chacun pouvant préférentiellement s’adresser aux enfants dans une langue différente [p-2, 9], mais aussi, s’il y en a un, le vernaculaire familial dominant n’est pas forcément la langue des échanges entre les enfants [p-3].
  • On relève 2 portraits dans lesquels est thématisée une politique explicite d’interdiction/obligation linguistique, de langue « proscrite », dans la dualité avec une autre, « obligatoire » : l’arabe interdit chez AS par imposition du français [p-14], le français interdit chez Farida [p-16], de même qu’est fortement découragée la langue initiale chleuha, à la faveur de pratiques arabophones unilingues, dans les deux cas politiques édictées par le père et positionnant la mère, AS, Farida, comme garantes de cette loi dans l’éducation des enfants.
  • On voit les idéologies qui se rejouent dans les choix et pratiques de transmission linguistique ou de renoncement à la transmission, articulés aux représentations linguistiques, à la légitimité perçue des langues, et à des représentations à propos de l’intégration, quand « s’intégrer » implique pour les sujets de s’assimiler, disparaitre comme différent [p-6, 7, 8, 14], ou au contraire de « résister » [p-15, 16], mais aussi d’accepter de se transformer sans accepter de se perdre [p-6-14-15-16].
  • Sous les prescriptions énoncées, les pratiques réelles sont plurielles et marquées par des évolutions à propos desquelles les parents peuvent avoir le sentiment qu’elles se réalisent sans eux [p-9, 13, 15], voire malgré eux [p-16], un écart générationnel qui se creuse entre les compétences, les modes d’appropriation, l’expérience au français, faisant aussi apparaitre, même quand les langues premières sont protégées par les parents, la force du processus d’assimilation.

2.2. Être parent dans une langue dans laquelle on ne se perçoit pas légitime/ légitimé ?

  • Les discours montrent la complexité des questions que pose l’être-devenir parent en « situation transculturelle » (Moro, 2011), transmetteurs et passeurs (Hassoun, 2002), à la jonction, et devant, idéalement, favoriser la conciliation.
  • La question de la transmission de la langue maternelle : est-elle souhaitable ?, déjà se pose, à l’aune de représentations assimilationnistes du processus d’intégration, ou sous le joug de discours de poids : faut-il croire la maitresse qui affirme que parler chinois aux enfants est néfaste pour leur appropriation du français ? [p-9]. Transmettre ou ne pas transmettre, mais aussi la difficulté de transmettre une langue socialement minorée, et encore, laquelle transmettre ?, quand plusieurs langues sont déjà-là, le cantonnais et le mandarin, le berbère et l’arabe, dont l’hétérogénéité se réduit dans le processus de migration-intégration, ici à la faveur de la langue la plus dominante, et parfois par choix radical de rupture de transmission vers un unilinguisme en français [p-8].
  • Il y a aussi la question du français, comment accompagner les enfants dans leurs apprentissages dans une langue dans laquelle on ne se perçoit pas compétent, que l’on est pas tout à fait légitime à transmettre [p-8, 9], que l’on parle avec un accent, en faisant des fautes, un « français cassé » qu’il ne faut surtout pas parler aux enfants [p-15]. Ces questions suscitent des doutes, de la culpabilité, mais aussi de la honte [p-9, 13], montre les enjeux forts à l’œuvre dans l’asymétrie des compétences linguistiques familiales, les questions qui y sont en jeu, de rôle parental, de rapports de place et de pouvoir qui se renégocient entre les enfants et les parents, contre-modèles à ne pas reproduire, au risque d’abimer leur parole, de détourner leur compétence de la variété légitime [p-9, 14, 15].
  • On voit aussi les stratégies pour contrer la fragilisation de la parole parentale, SI [p-12] parle en français la plupart du temps, mais quand elle se fâche, c’est en mahorais, la seule qui lui permet de ramener à l’ordre. A l’inverse, ZU [p-13], moins francophone, parle surtout en mahorais aux enfants, SAUF quand elle est sur le point de se fâcher, c’est en français qu’elle lance la première alerte « je suis FA-TI-GUÉE / arrête / ARRÊTE », ce qui, selon son expérience, produit jusque-là les effets désirés, fait autorité.
  • On voit les choix de (non-)transmissions, et les regrets, la colère, la culpabilité éprouvée de n’avoir pas su quand même transmettre [p-14], d’avoir contribué à stigmatiser la langue, consenti à la faire disparaitre. On voit aussi des transmissions réamorcées, réinventées, comme à partir de ce « cahier de chansons » [p-12] dont l’élaboration même est vecteur de transmission-appropriation, légitime sa fille à s’emparer de la langue maternelle non transmise.

Comment l’adulte peut-il à la fois assumer d’être parent selon ses propres références et, autorisant l’enfant de « l’entre-deux » (Sibony, 1991) du métissage, du plurilinguisme… ?

2.3. Langues non transmises, langues non reçues : du point de vue des enfants, de la réception

  • Les portraits montrent aussi certains points de vue d’enfants, l’expérience de langue(s) non transmise(s), non reçue(s). 2 portraits sont à ce sujet mis en regard [p-18, 19], situés entre Gabon et France, thématisent l’un et l’autre l’idée d’une langue maternelle vécue en remplacement, « le français au biberon », transmis et pratiqué comme vernaculaire de l’enfance, en lieu et place d’une autre minorée et réduite au silence, le punu, le fang, fortement investies au titre de langues de filiation et d’inscription ethnique, et par rapport auxquelles la rupture est vécue comme une privation, un manque identitaire, « quelque chose qui souffre » en soi [p-18]. Elle est aussi source de ressentis de honte, ne pas parler sa langue [p-19], et on remarque à ce sujet qu’Hugues illustre sa non-compétence par une mise en contraste de ses compétences en fang et en anglais, langues opposées du point de vue de leur poids (macro-)sociolinguistique, mais aussi, dans un rapport de valeur inversées, de leur poids micro-sociolinguistique, significatif pour les locuteurs du point de vue identitaire. Fang et anglais, doublement extrêmes inverses donc.
  • Mais ce n’est pas seulement une langue qui manque (Robin, 1993), mais aussi une histoire de socialisation, une entrée dans le langage par ce monde, ces logiques, ces pratiques produisant la langue ethnique comme minorée, dont la valeur ne vaut pas transmission linguistique, dont la présence même, en contact, nuit à l’appropriation légitime. La rupture produit ainsi aussi un manque mais aussi crée un rapport de dualité, d’oppositions extrêmes, l’une sur-stigmatisée l’autre sur-idéalisée, rejouant des idéologies coloniales contre lesquelles les deux témoins se positionnent fortement mais dont on voit à quel point elles marquent la complexité de leurs rapports aux langues, conflictualisent aussi la relation au français, fortement investie dans sa dimension de langue-norme génératrice d’insécurité linguistique, langue de réussite mais aussi langue d’exclusion, sociale et identitaire.

Comment s’approprier la langue qui marque la rupture tout en s’affranchissant du legs colonial ?

  • Ces portraits nourrissent l’exploration des enjeux socio-identitaires des ruptures de transmissions décidées (selon des choix diversement subis, consentis, etc.) mais aussi l’hypothèse selon laquelle l’insécurité linguistique ne se joue pas dans le rapport exclusif à une langue / variété, mais plus largement dans le rapport construit à des langues en relations, inscrite par le sujet dans une relation de « dualité » (Psichari), (re)jouant un rapport de force inégalitaire.

2.4. Comprendre ou pas, accepter/ refuser… ce qui se joue pour les enfants dans la conciliation des langues de filiation et d’affiliation… entre familles et école

  • On aperçoit aussi dans le corpus tout ce qui se joue dans les pratiques langagières familiales, dans l’exclusion symbolique qu’opère CG [p-2] quand il décide, après la séparation des parents, d’exclure sa mère des interactions ourdophones, lui refuse la pratique de la langue du père. ZU [p-13] thématise aussi le « refus » des enfants, qui « ne veulent pas » parler mahorais, elle parle surtout cette langue, eux répondent en français, marquant dans les deux cas un processus d’illégitimation, d’un locuteur exclu comme non-membre, d’une langue comme faisant poids et/ou sens.
  • Cette minorisation de la langue se renforce en outre l’illégitimation par les enfants de ZU de sa compétence en (construction en) français, la « honte » éprouvée par sa fille quand ZU s’exprime « devant des gens », ce qui, par effet de ricochet, lui donne à avoir « honte, aussi », se retrouver coupable de « mal parler », insécurisée dans sa parole et dans son apprentissage.

Comment l’enfant interprète-t-il les convergences et divergences de son continuum biographique (Goï, 2009) ?

Comment reconstruit-il sa propre histoire, perçoit-il les ruptures et les continuités, les passerelles ou les clivages, et comment se perçoit-il lui-même, à l’articulation de /ou en tension dans ces processus identitaires aux références multiples et éventuellement (interprétées comme) contradictoires ?

Plan de l’exposition →
Imaginaires plurilingues entre familles et écoles : expériences, parcours, démarches didactiques

2.1. Des pratiques adossées à des politiques linguistiques familiales

  • Au sein des foyers, les pratiques s’adossent à des politiques linguistiques familiales (Deprez, 1994) diversement explicitées, encourageant ou réprimant la pluralité, à travers lesquelles les parents font des choix, mettent en œuvre desstratégies, définissent des normes à l’aune desquelles se réalisent et se « valuent » (Blanchet, 2005) les pratiques langagières familiales.
    • … et cela qu’elles soient pluri- ou mono-lingues, rejouant quoiqu’il arrive toujours, entre des langues et/ou dans la variation inhérente à chacune, en référence hiérarchisée à une variété faisant norme, une problématique de gestion de la diversité dans un enjeu de mobilité, de réussite des enfants.
  • Selon les discours de la majorité des collégiens et des parents d’enfants scolarisés, c’est « en bilingue » [p-12] (/plurilingue), que s’opèrent les échanges, avec des complexités : la langue dont les parents font usage entre eux n’est pas toujours celle dans laquelle ils s’adressent aux enfants [p-9], chacun pouvant préférentiellement s’adresser aux enfants dans une langue différente [p-2, 9], mais aussi, s’il y en a un, le vernaculaire familial dominant n’est pas forcément la langue des échanges entre les enfants [p-3].
  • On relève 2 portraits dans lesquels est thématisée une politique explicite d’interdiction/obligation linguistique, de langue « proscrite », dans la dualité avec une autre, « obligatoire » : l’arabe interdit chez AS par imposition du français [p-14], le français interdit chez Farida [p-16], de même qu’est fortement découragée la langue initiale chleuha, à la faveur de pratiques arabophones unilingues, dans les deux cas politiques édictées par le père et positionnant la mère, AS, Farida, comme garantes de cette loi dans l’éducation des enfants.
  • On voit les idéologies qui se rejouent dans les choix et pratiques de transmission linguistique ou de renoncement à la transmission, articulés aux représentations linguistiques, à la légitimité perçue des langues, et à des représentations à propos de l’intégration, quand « s’intégrer » implique pour les sujets de s’assimiler, disparaitre comme différent [p-6, 7, 8, 14], ou au contraire de « résister » [p-15, 16], mais aussi d’accepter de se transformer sans accepter de se perdre [p-6-14-15-16].
  • Sous les prescriptions énoncées, les pratiques réelles sont plurielles et marquées par des évolutions à propos desquelles les parents peuvent avoir le sentiment qu’elles se réalisent sans eux [p-9, 13, 15], voire malgré eux [p-16], un écart générationnel qui se creuse entre les compétences, les modes d’appropriation, l’expérience au français, faisant aussi apparaitre, même quand les langues premières sont protégées par les parents, la force du processus d’assimilation.

2.2. Être parent dans une langue dans laquelle on ne se perçoit pas légitime/ légitimé ?

  • Les discours montrent la complexité des questions que pose l’être-devenir parent en « situation transculturelle » (Moro, 2011), transmetteurs et passeurs (Hassoun, 2002), à la jonction, et devant, idéalement, favoriser la conciliation.
  • La question de la transmission de la langue maternelle : est-elle souhaitable ?, déjà se pose, à l’aune de représentations assimilationnistes du processus d’intégration, ou sous le joug de discours de poids : faut-il croire la maitresse qui affirme que parler chinois aux enfants est néfaste pour leur appropriation du français ? [p-9]. Transmettre ou ne pas transmettre, mais aussi la difficulté de transmettre une langue socialement minorée, et encore, laquelle transmettre ?, quand plusieurs langues sont déjà-là, le cantonnais et le mandarin, le berbère et l’arabe, dont l’hétérogénéité se réduit dans le processus de migration-intégration, ici à la faveur de la langue la plus dominante, et parfois par choix radical de rupture de transmission vers un unilinguisme en français [p-8].
  • Il y a aussi la question du français, comment accompagner les enfants dans leurs apprentissages dans une langue dans laquelle on ne se perçoit pas compétent, que l’on est pas tout à fait légitime à transmettre [p-8, 9], que l’on parle avec un accent, en faisant des fautes, un « français cassé » qu’il ne faut surtout pas parler aux enfants [p-15]. Ces questions suscitent des doutes, de la culpabilité, mais aussi de la honte [p-9, 13], montre les enjeux forts à l’œuvre dans l’asymétrie des compétences linguistiques familiales, les questions qui y sont en jeu, de rôle parental, de rapports de place et de pouvoir qui se renégocient entre les enfants et les parents, contre-modèles à ne pas reproduire, au risque d’abimer leur parole, de détourner leur compétence de la variété légitime [p-9, 14, 15].
  • On voit aussi les stratégies pour contrer la fragilisation de la parole parentale, SI [p-12] parle en français la plupart du temps, mais quand elle se fâche, c’est en mahorais, la seule qui lui permet de ramener à l’ordre. A l’inverse, ZU [p-13], moins francophone, parle surtout en mahorais aux enfants, SAUF quand elle est sur le point de se fâcher, c’est en français qu’elle lance la première alerte « je suis FA-TI-GUÉE / arrête / ARRÊTE », ce qui, selon son expérience, produit jusque-là les effets désirés, fait autorité.
  • On voit les choix de (non-)transmissions, et les regrets, la colère, la culpabilité éprouvée de n’avoir pas su quand même transmettre [p-14], d’avoir contribué à stigmatiser la langue, consenti à la faire disparaitre. On voit aussi des transmissions réamorcées, réinventées, comme à partir de ce « cahier de chansons » [p-12] dont l’élaboration même est vecteur de transmission-appropriation, légitime sa fille à s’emparer de la langue maternelle non transmise.

Comment l’adulte peut-il à la fois assumer d’être parent selon ses propres références et, autorisant l’enfant de « l’entre-deux » (Sibony, 1991) du métissage, du plurilinguisme… ?

2.3. Langues non transmises, langues non reçues : du point de vue des enfants, de la réception

  • Les portraits montrent aussi certains points de vue d’enfants, l’expérience de langue(s) non transmise(s), non reçue(s). 2 portraits sont à ce sujet mis en regard [p-18, 19], situés entre Gabon et France, thématisent l’un et l’autre l’idée d’une langue maternelle vécue en remplacement, « le français au biberon », transmis et pratiqué comme vernaculaire de l’enfance, en lieu et place d’une autre minorée et réduite au silence, le punu, le fang, fortement investies au titre de langues de filiation et d’inscription ethnique, et par rapport auxquelles la rupture est vécue comme une privation, un manque identitaire, « quelque chose qui souffre » en soi [p-18]. Elle est aussi source de ressentis de honte, ne pas parler sa langue [p-19], et on remarque à ce sujet qu’Hugues illustre sa non-compétence par une mise en contraste de ses compétences en fang et en anglais, langues opposées du point de vue de leur poids (macro-)sociolinguistique, mais aussi, dans un rapport de valeur inversées, de leur poids micro-sociolinguistique, significatif pour les locuteurs du point de vue identitaire. Fang et anglais, doublement extrêmes inverses donc.
  • Mais ce n’est pas seulement une langue qui manque (Robin, 1993), mais aussi une histoire de socialisation, une entrée dans le langage par ce monde, ces logiques, ces pratiques produisant la langue ethnique comme minorée, dont la valeur ne vaut pas transmission linguistique, dont la présence même, en contact, nuit à l’appropriation légitime. La rupture produit ainsi aussi un manque mais aussi crée un rapport de dualité, d’oppositions extrêmes, l’une sur-stigmatisée l’autre sur-idéalisée, rejouant des idéologies coloniales contre lesquelles les deux témoins se positionnent fortement mais dont on voit à quel point elles marquent la complexité de leurs rapports aux langues, conflictualisent aussi la relation au français, fortement investie dans sa dimension de langue-norme génératrice d’insécurité linguistique, langue de réussite mais aussi langue d’exclusion, sociale et identitaire.

Comment s’approprier la langue qui marque la rupture tout en s’affranchissant du legs colonial ?

  • Ces portraits nourrissent l’exploration des enjeux socio-identitaires des ruptures de transmissions décidées (selon des choix diversement subis, consentis, etc.) mais aussi l’hypothèse selon laquelle l’insécurité linguistique ne se joue pas dans le rapport exclusif à une langue / variété, mais plus largement dans le rapport construit à des langues en relations, inscrite par le sujet dans une relation de « dualité » (Psichari), (re)jouant un rapport de force inégalitaire.

2.4. Comprendre ou pas, accepter/ refuser… ce qui se joue pour les enfants dans la conciliation des langues de filiation et d’affiliation… entre familles et école

  • On aperçoit aussi dans le corpus tout ce qui se joue dans les pratiques langagières familiales, dans l’exclusion symbolique qu’opère CG [p-2] quand il décide, après la séparation des parents, d’exclure sa mère des interactions ourdophones, lui refuse la pratique de la langue du père. ZU [p-13] thématise aussi le « refus » des enfants, qui « ne veulent pas » parler mahorais, elle parle surtout cette langue, eux répondent en français, marquant dans les deux cas un processus d’illégitimation, d’un locuteur exclu comme non-membre, d’une langue comme faisant poids et/ou sens.
  • Cette minorisation de la langue se renforce en outre l’illégitimation par les enfants de ZU de sa compétence en (construction en) français, la « honte » éprouvée par sa fille quand ZU s’exprime « devant des gens », ce qui, par effet de ricochet, lui donne à avoir « honte, aussi », se retrouver coupable de « mal parler », insécurisée dans sa parole et dans son apprentissage.

Comment l’enfant interprète-t-il les convergences et divergences de son continuum biographique (Goï, 2009) ?

Comment reconstruit-il sa propre histoire, perçoit-il les ruptures et les continuités, les passerelles ou les clivages, et comment se perçoit-il lui-même, à l’articulation de /ou en tension dans ces processus identitaires aux références multiples et éventuellement (interprétées comme) contradictoires ?

2.1. Des pratiques adossées à des politiques linguistiques familiales

  • Au sein des foyers, les pratiques s’adossent à des politiques linguistiques familiales (Deprez, 1994) diversement explicitées, encourageant ou réprimant la pluralité, à travers lesquelles les parents font des choix, mettent en œuvre desstratégies, définissent des normes à l’aune desquelles se réalisent et se « valuent » (Blanchet, 2005) les pratiques langagières familiales.
    • … et cela qu’elles soient pluri- ou mono-lingues, rejouant quoiqu’il arrive toujours, entre des langues et/ou dans la variation inhérente à chacune, en référence hiérarchisée à une variété faisant norme, une problématique de gestion de la diversité dans un enjeu de mobilité, de réussite des enfants.
  • Selon les discours de la majorité des collégiens et des parents d’enfants scolarisés, c’est « en bilingue » [p-12] (/plurilingue), que s’opèrent les échanges, avec des complexités : la langue dont les parents font usage entre eux n’est pas toujours celle dans laquelle ils s’adressent aux enfants [p-9], chacun pouvant préférentiellement s’adresser aux enfants dans une langue différente [p-2, 9], mais aussi, s’il y en a un, le vernaculaire familial dominant n’est pas forcément la langue des échanges entre les enfants [p-3].
  • On relève 2 portraits dans lesquels est thématisée une politique explicite d’interdiction/obligation linguistique, de langue « proscrite », dans la dualité avec une autre, « obligatoire » : l’arabe interdit chez AS par imposition du français [p-14], le français interdit chez Farida [p-16], de même qu’est fortement découragée la langue initiale chleuha, à la faveur de pratiques arabophones unilingues, dans les deux cas politiques édictées par le père et positionnant la mère, AS, Farida, comme garantes de cette loi dans l’éducation des enfants.
  • On voit les idéologies qui se rejouent dans les choix et pratiques de transmission linguistique ou de renoncement à la transmission, articulés aux représentations linguistiques, à la légitimité perçue des langues, et à des représentations à propos de l’intégration, quand « s’intégrer » implique pour les sujets de s’assimiler, disparaitre comme différent [p-6, 7, 8, 14], ou au contraire de « résister » [p-15, 16], mais aussi d’accepter de se transformer sans accepter de se perdre [p-6-14-15-16].
  • Sous les prescriptions énoncées, les pratiques réelles sont plurielles et marquées par des évolutions à propos desquelles les parents peuvent avoir le sentiment qu’elles se réalisent sans eux [p-9, 13, 15], voire malgré eux [p-16], un écart générationnel qui se creuse entre les compétences, les modes d’appropriation, l’expérience au français, faisant aussi apparaitre, même quand les langues premières sont protégées par les parents, la force du processus d’assimilation.

2.2. Être parent dans une langue dans laquelle on ne se perçoit pas légitime/ légitimé ?

  • Les discours montrent la complexité des questions que pose l’être-devenir parent en « situation transculturelle » (Moro, 2011), transmetteurs et passeurs (Hassoun, 2002), à la jonction, et devant, idéalement, favoriser la conciliation.
  • La question de la transmission de la langue maternelle : est-elle souhaitable ?, déjà se pose, à l’aune de représentations assimilationnistes du processus d’intégration, ou sous le joug de discours de poids : faut-il croire la maitresse qui affirme que parler chinois aux enfants est néfaste pour leur appropriation du français ? [p-9]. Transmettre ou ne pas transmettre, mais aussi la difficulté de transmettre une langue socialement minorée, et encore, laquelle transmettre ?, quand plusieurs langues sont déjà-là, le cantonnais et le mandarin, le berbère et l’arabe, dont l’hétérogénéité se réduit dans le processus de migration-intégration, ici à la faveur de la langue la plus dominante, et parfois par choix radical de rupture de transmission vers un unilinguisme en français [p-8].
  • Il y a aussi la question du français, comment accompagner les enfants dans leurs apprentissages dans une langue dans laquelle on ne se perçoit pas compétent, que l’on est pas tout à fait légitime à transmettre [p-8, 9], que l’on parle avec un accent, en faisant des fautes, un « français cassé » qu’il ne faut surtout pas parler aux enfants [p-15]. Ces questions suscitent des doutes, de la culpabilité, mais aussi de la honte [p-9, 13], montre les enjeux forts à l’œuvre dans l’asymétrie des compétences linguistiques familiales, les questions qui y sont en jeu, de rôle parental, de rapports de place et de pouvoir qui se renégocient entre les enfants et les parents, contre-modèles à ne pas reproduire, au risque d’abimer leur parole, de détourner leur compétence de la variété légitime [p-9, 14, 15].
  • On voit aussi les stratégies pour contrer la fragilisation de la parole parentale, SI [p-12] parle en français la plupart du temps, mais quand elle se fâche, c’est en mahorais, la seule qui lui permet de ramener à l’ordre. A l’inverse, ZU [p-13], moins francophone, parle surtout en mahorais aux enfants, SAUF quand elle est sur le point de se fâcher, c’est en français qu’elle lance la première alerte « je suis FA-TI-GUÉE / arrête / ARRÊTE », ce qui, selon son expérience, produit jusque-là les effets désirés, fait autorité.
  • On voit les choix de (non-)transmissions, et les regrets, la colère, la culpabilité éprouvée de n’avoir pas su quand même transmettre [p-14], d’avoir contribué à stigmatiser la langue, consenti à la faire disparaitre. On voit aussi des transmissions réamorcées, réinventées, comme à partir de ce « cahier de chansons » [p-12] dont l’élaboration même est vecteur de transmission-appropriation, légitime sa fille à s’emparer de la langue maternelle non transmise.

Comment l’adulte peut-il à la fois assumer d’être parent selon ses propres références et, autorisant l’enfant de « l’entre-deux » (Sibony, 1991) du métissage, du plurilinguisme… ?

2.3. Langues non transmises, langues non reçues : du point de vue des enfants, de la réception

  • Les portraits montrent aussi certains points de vue d’enfants, l’expérience de langue(s) non transmise(s), non reçue(s). 2 portraits sont à ce sujet mis en regard [p-18, 19], situés entre Gabon et France, thématisent l’un et l’autre l’idée d’une langue maternelle vécue en remplacement, « le français au biberon », transmis et pratiqué comme vernaculaire de l’enfance, en lieu et place d’une autre minorée et réduite au silence, le punu, le fang, fortement investies au titre de langues de filiation et d’inscription ethnique, et par rapport auxquelles la rupture est vécue comme une privation, un manque identitaire, « quelque chose qui souffre » en soi [p-18]. Elle est aussi source de ressentis de honte, ne pas parler sa langue [p-19], et on remarque à ce sujet qu’Hugues illustre sa non-compétence par une mise en contraste de ses compétences en fang et en anglais, langues opposées du point de vue de leur poids (macro-)sociolinguistique, mais aussi, dans un rapport de valeur inversées, de leur poids micro-sociolinguistique, significatif pour les locuteurs du point de vue identitaire. Fang et anglais, doublement extrêmes inverses donc.
  • Mais ce n’est pas seulement une langue qui manque (Robin, 1993), mais aussi une histoire de socialisation, une entrée dans le langage par ce monde, ces logiques, ces pratiques produisant la langue ethnique comme minorée, dont la valeur ne vaut pas transmission linguistique, dont la présence même, en contact, nuit à l’appropriation légitime. La rupture produit ainsi aussi un manque mais aussi crée un rapport de dualité, d’oppositions extrêmes, l’une sur-stigmatisée l’autre sur-idéalisée, rejouant des idéologies coloniales contre lesquelles les deux témoins se positionnent fortement mais dont on voit à quel point elles marquent la complexité de leurs rapports aux langues, conflictualisent aussi la relation au français, fortement investie dans sa dimension de langue-norme génératrice d’insécurité linguistique, langue de réussite mais aussi langue d’exclusion, sociale et identitaire.

Comment s’approprier la langue qui marque la rupture tout en s’affranchissant du legs colonial ?

  • Ces portraits nourrissent l’exploration des enjeux socio-identitaires des ruptures de transmissions décidées (selon des choix diversement subis, consentis, etc.) mais aussi l’hypothèse selon laquelle l’insécurité linguistique ne se joue pas dans le rapport exclusif à une langue / variété, mais plus largement dans le rapport construit à des langues en relations, inscrite par le sujet dans une relation de « dualité » (Psichari), (re)jouant un rapport de force inégalitaire.

2.4. Comprendre ou pas, accepter/ refuser… ce qui se joue pour les enfants dans la conciliation des langues de filiation et d’affiliation… entre familles et école

  • On aperçoit aussi dans le corpus tout ce qui se joue dans les pratiques langagières familiales, dans l’exclusion symbolique qu’opère CG [p-2] quand il décide, après la séparation des parents, d’exclure sa mère des interactions ourdophones, lui refuse la pratique de la langue du père. ZU [p-13] thématise aussi le « refus » des enfants, qui « ne veulent pas » parler mahorais, elle parle surtout cette langue, eux répondent en français, marquant dans les deux cas un processus d’illégitimation, d’un locuteur exclu comme non-membre, d’une langue comme faisant poids et/ou sens.
  • Cette minorisation de la langue se renforce en outre l’illégitimation par les enfants de ZU de sa compétence en (construction en) français, la « honte » éprouvée par sa fille quand ZU s’exprime « devant des gens », ce qui, par effet de ricochet, lui donne à avoir « honte, aussi », se retrouver coupable de « mal parler », insécurisée dans sa parole et dans son apprentissage.

Comment l’enfant interprète-t-il les convergences et divergences de son continuum biographique (Goï, 2009) ?

Comment reconstruit-il sa propre histoire, perçoit-il les ruptures et les continuités, les passerelles ou les clivages, et comment se perçoit-il lui-même, à l’articulation de /ou en tension dans ces processus identitaires aux références multiples et éventuellement (interprétées comme) contradictoires ?

2.1. Des pratiques adossées à des politiques linguistiques familiales

  • Au sein des foyers, les pratiques s’adossent à des politiques linguistiques familiales (Deprez, 1994) diversement explicitées, encourageant ou réprimant la pluralité, à travers lesquelles les parents font des choix, mettent en œuvre desstratégies, définissent des normes à l’aune desquelles se réalisent et se « valuent » (Blanchet, 2005) les pratiques langagières familiales.
    • … et cela qu’elles soient pluri- ou mono-lingues, rejouant quoiqu’il arrive toujours, entre des langues et/ou dans la variation inhérente à chacune, en référence hiérarchisée à une variété faisant norme, une problématique de gestion de la diversité dans un enjeu de mobilité, de réussite des enfants.
  • Selon les discours de la majorité des collégiens et des parents d’enfants scolarisés, c’est « en bilingue » [p-12] (/plurilingue), que s’opèrent les échanges, avec des complexités : la langue dont les parents font usage entre eux n’est pas toujours celle dans laquelle ils s’adressent aux enfants [p-9], chacun pouvant préférentiellement s’adresser aux enfants dans une langue différente [p-2, 9], mais aussi, s’il y en a un, le vernaculaire familial dominant n’est pas forcément la langue des échanges entre les enfants [p-3].
  • On relève 2 portraits dans lesquels est thématisée une politique explicite d’interdiction/obligation linguistique, de langue « proscrite », dans la dualité avec une autre, « obligatoire » : l’arabe interdit chez AS par imposition du français [p-14], le français interdit chez Farida [p-16], de même qu’est fortement découragée la langue initiale chleuha, à la faveur de pratiques arabophones unilingues, dans les deux cas politiques édictées par le père et positionnant la mère, AS, Farida, comme garantes de cette loi dans l’éducation des enfants.
  • On voit les idéologies qui se rejouent dans les choix et pratiques de transmission linguistique ou de renoncement à la transmission, articulés aux représentations linguistiques, à la légitimité perçue des langues, et à des représentations à propos de l’intégration, quand « s’intégrer » implique pour les sujets de s’assimiler, disparaitre comme différent [p-6, 7, 8, 14], ou au contraire de « résister » [p-15, 16], mais aussi d’accepter de se transformer sans accepter de se perdre [p-6-14-15-16].
  • Sous les prescriptions énoncées, les pratiques réelles sont plurielles et marquées par des évolutions à propos desquelles les parents peuvent avoir le sentiment qu’elles se réalisent sans eux [p-9, 13, 15], voire malgré eux [p-16], un écart générationnel qui se creuse entre les compétences, les modes d’appropriation, l’expérience au français, faisant aussi apparaitre, même quand les langues premières sont protégées par les parents, la force du processus d’assimilation.

2.2. Être parent dans une langue dans laquelle on ne se perçoit pas légitime/ légitimé ?

  • Les discours montrent la complexité des questions que pose l’être-devenir parent en « situation transculturelle » (Moro, 2011), transmetteurs et passeurs (Hassoun, 2002), à la jonction, et devant, idéalement, favoriser la conciliation.
  • La question de la transmission de la langue maternelle : est-elle souhaitable ?, déjà se pose, à l’aune de représentations assimilationnistes du processus d’intégration, ou sous le joug de discours de poids : faut-il croire la maitresse qui affirme que parler chinois aux enfants est néfaste pour leur appropriation du français ? [p-9]. Transmettre ou ne pas transmettre, mais aussi la difficulté de transmettre une langue socialement minorée, et encore, laquelle transmettre ?, quand plusieurs langues sont déjà-là, le cantonnais et le mandarin, le berbère et l’arabe, dont l’hétérogénéité se réduit dans le processus de migration-intégration, ici à la faveur de la langue la plus dominante, et parfois par choix radical de rupture de transmission vers un unilinguisme en français [p-8].
  • Il y a aussi la question du français, comment accompagner les enfants dans leurs apprentissages dans une langue dans laquelle on ne se perçoit pas compétent, que l’on est pas tout à fait légitime à transmettre [p-8, 9], que l’on parle avec un accent, en faisant des fautes, un « français cassé » qu’il ne faut surtout pas parler aux enfants [p-15]. Ces questions suscitent des doutes, de la culpabilité, mais aussi de la honte [p-9, 13], montre les enjeux forts à l’œuvre dans l’asymétrie des compétences linguistiques familiales, les questions qui y sont en jeu, de rôle parental, de rapports de place et de pouvoir qui se renégocient entre les enfants et les parents, contre-modèles à ne pas reproduire, au risque d’abimer leur parole, de détourner leur compétence de la variété légitime [p-9, 14, 15].
  • On voit aussi les stratégies pour contrer la fragilisation de la parole parentale, SI [p-12] parle en français la plupart du temps, mais quand elle se fâche, c’est en mahorais, la seule qui lui permet de ramener à l’ordre. A l’inverse, ZU [p-13], moins francophone, parle surtout en mahorais aux enfants, SAUF quand elle est sur le point de se fâcher, c’est en français qu’elle lance la première alerte « je suis FA-TI-GUÉE / arrête / ARRÊTE », ce qui, selon son expérience, produit jusque-là les effets désirés, fait autorité.
  • On voit les choix de (non-)transmissions, et les regrets, la colère, la culpabilité éprouvée de n’avoir pas su quand même transmettre [p-14], d’avoir contribué à stigmatiser la langue, consenti à la faire disparaitre. On voit aussi des transmissions réamorcées, réinventées, comme à partir de ce « cahier de chansons » [p-12] dont l’élaboration même est vecteur de transmission-appropriation, légitime sa fille à s’emparer de la langue maternelle non transmise.

Comment l’adulte peut-il à la fois assumer d’être parent selon ses propres références et, autorisant l’enfant de « l’entre-deux » (Sibony, 1991) du métissage, du plurilinguisme… ?

2.3. Langues non transmises, langues non reçues : du point de vue des enfants, de la réception

  • Les portraits montrent aussi certains points de vue d’enfants, l’expérience de langue(s) non transmise(s), non reçue(s). 2 portraits sont à ce sujet mis en regard [p-18, 19], situés entre Gabon et France, thématisent l’un et l’autre l’idée d’une langue maternelle vécue en remplacement, « le français au biberon », transmis et pratiqué comme vernaculaire de l’enfance, en lieu et place d’une autre minorée et réduite au silence, le punu, le fang, fortement investies au titre de langues de filiation et d’inscription ethnique, et par rapport auxquelles la rupture est vécue comme une privation, un manque identitaire, « quelque chose qui souffre » en soi [p-18]. Elle est aussi source de ressentis de honte, ne pas parler sa langue [p-19], et on remarque à ce sujet qu’Hugues illustre sa non-compétence par une mise en contraste de ses compétences en fang et en anglais, langues opposées du point de vue de leur poids (macro-)sociolinguistique, mais aussi, dans un rapport de valeur inversées, de leur poids micro-sociolinguistique, significatif pour les locuteurs du point de vue identitaire. Fang et anglais, doublement extrêmes inverses donc.
  • Mais ce n’est pas seulement une langue qui manque (Robin, 1993), mais aussi une histoire de socialisation, une entrée dans le langage par ce monde, ces logiques, ces pratiques produisant la langue ethnique comme minorée, dont la valeur ne vaut pas transmission linguistique, dont la présence même, en contact, nuit à l’appropriation légitime. La rupture produit ainsi aussi un manque mais aussi crée un rapport de dualité, d’oppositions extrêmes, l’une sur-stigmatisée l’autre sur-idéalisée, rejouant des idéologies coloniales contre lesquelles les deux témoins se positionnent fortement mais dont on voit à quel point elles marquent la complexité de leurs rapports aux langues, conflictualisent aussi la relation au français, fortement investie dans sa dimension de langue-norme génératrice d’insécurité linguistique, langue de réussite mais aussi langue d’exclusion, sociale et identitaire.

Comment s’approprier la langue qui marque la rupture tout en s’affranchissant du legs colonial ?

  • Ces portraits nourrissent l’exploration des enjeux socio-identitaires des ruptures de transmissions décidées (selon des choix diversement subis, consentis, etc.) mais aussi l’hypothèse selon laquelle l’insécurité linguistique ne se joue pas dans le rapport exclusif à une langue / variété, mais plus largement dans le rapport construit à des langues en relations, inscrite par le sujet dans une relation de « dualité » (Psichari), (re)jouant un rapport de force inégalitaire.

2.4. Comprendre ou pas, accepter/ refuser… ce qui se joue pour les enfants dans la conciliation des langues de filiation et d’affiliation… entre familles et école

  • On aperçoit aussi dans le corpus tout ce qui se joue dans les pratiques langagières familiales, dans l’exclusion symbolique qu’opère CG [p-2] quand il décide, après la séparation des parents, d’exclure sa mère des interactions ourdophones, lui refuse la pratique de la langue du père. ZU [p-13] thématise aussi le « refus » des enfants, qui « ne veulent pas » parler mahorais, elle parle surtout cette langue, eux répondent en français, marquant dans les deux cas un processus d’illégitimation, d’un locuteur exclu comme non-membre, d’une langue comme faisant poids et/ou sens.
  • Cette minorisation de la langue se renforce en outre l’illégitimation par les enfants de ZU de sa compétence en (construction en) français, la « honte » éprouvée par sa fille quand ZU s’exprime « devant des gens », ce qui, par effet de ricochet, lui donne à avoir « honte, aussi », se retrouver coupable de « mal parler », insécurisée dans sa parole et dans son apprentissage.

Comment l’enfant interprète-t-il les convergences et divergences de son continuum biographique (Goï, 2009) ?

Comment reconstruit-il sa propre histoire, perçoit-il les ruptures et les continuités, les passerelles ou les clivages, et comment se perçoit-il lui-même, à l’articulation de /ou en tension dans ces processus identitaires aux références multiples et éventuellement (interprétées comme) contradictoires ?