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I. Socialisé.e.s dans l’hétérogénéité : des plurilinguismes complexes

L’ENFANT, UN ÊTRE À FORMER

NOUVEAUX LIEUX, NOUVELLES INSTITUTIONS

DES RÉGENTS ET D’ANCIENS ÉLÈVES TÉMOIGNENT

BIBLIOTHÈQUE SONORE

  • La lecture des portraits sociolangagiers donne à apercevoir des expériences ordinaires de la diversité, de socialisation en situations sociolinguistiques de contacts, dans des biographies marquées, avant l’arrivée en France, par des mobilités migratoires pouvant comporter plusieurs pays de vie [portraits 1, 2, 13], s’être produites avant la naissance [p-20], ou s’opérer d’un espace rural à un espace urbain [p- 8, 16], impliquant chaque fois de nouvelles langues et appropriations langagières, des processus de recompositions plurilingues en dynamiques, d’intégration… entre inclusion et exclusion.

1.1. Que de langues dans ces répertoires !

    • Précisons ici que notre usage de « langue(s) » repose sur une conception sociolinguistique souple, renvoie, pour chaque portrait, à toutes celles énoncées par les témoins comme associées à leur biographie, inscrites dans leur répertoire, y compris celles auxquelles ils peuvent précisément refuser le statut de « langue » et identifier par distinction en tant que « dialectes », « créoles », « patois », ou encore celles qu’ils ne parlent pas, n’ont pas reçues, mais qui demeurent catégorisées, thématisées dans les discours identitaires.
    • La pluralité linguistique frappe en particulier dans certains portraits de collégiens, bi-plurilingues précoces, mais aussi ayant été, avant leur arrivée en France, scolarisés par le vecteur de plusieurs langues relevant parfois d’alphabets différents, successivement (russe/polonais [p-1], coréen/anglais [p-2]), ou simultanément (bengali, anglais [p-3]).
    • Les portraits des adultes parents et/ou étudiants montrent aussi presque tous des socialisations en contextes d’hétérogénéité, thématisée en termes de contacts, ou de frontières et de séparations [p-16, 20], et peuvent aussi comporter plusieurs langues de scolarisation [p-6, 7, 8]… et/ou d’éducation, si l’on compte les années d’enseignement coranique [p-12, 14]. On remarque pourtant que la totalité d’entre eux n’énoncent qu’une seule langue maternelle …

1.2. Plusieurs langues… mais au-delà de les compter, les qualifier : statuts, fonctions, valeurs

1) A propos de langue(s) maternelle(s)

  • La notion de « langue maternelle » est problématique, idéologiquement construite et instrumentalisée, poser cette question est plein de pièges, et y répondre n’a rien anodin.
    • Un écueil important, pour le chercheur, est de ne pas se décentrer par rapport à ses propres représentations, normes et idéaux notamment en termes de « langues » et de « transmission », de pré-catégoriser mais aussi d’attendre de l’unité, ce qui peut avoir comme effet une réponse lissée, la désignation d’une langue attendue, par exemple officielle, masquant la complexité d’un contact à une autre, moins visible, moins légitime.
  • La lecture des portraits montre la complexité de répertoires dans lesquelles la langue de socialisation et des interactions initiales, n’est pas forcément la langue de filiation maternelle (CG-Mb), celle ou l’unique que le locuteur investit en tant que référent majeur de construction identitaire, le vernaculaire quotidien le plus fréquent, ou encore celle dans laquelle il est le plus compétent.
    • Le portrait de CG [p-2] montre que définir sa ou ses langues maternelle(s) n’a rien d’une évidence. L’enfant cite d’abord l’ourdou, langue du père, connue et pratiquée par la mère, elle-même d’origine comorienne mais dont la langue n’a pas été maintenue, puis il se ravise : c’est l’anglais, présente, en contact, comme vernaculaire familial, mais aussi devenue, a contrario de l’ourdou, une langue formellement apprise puis de scolarisation et dans laquelle il est ainsi devenu plus compétent. On voit ainsi la diversité des critères mais également que la question de « la langue maternelle » induit d’abord dans la réponse une logique du singulier, l’ourdou ou l’anglais, qui, sitôt levée quand l’enquêteur suggère la possibilité de les associer, donne à l’enfant à y inclure la troisième, le coréen, que ses parents n’ont jamais parlé mais qui a constitué pour lui la première langue de scolarisation, vecteur d’apprentissages et d’amitiés enfantines. On voit ainsi aussi les enjeux identitaires à l’œuvre dans la désignation des langues « maternelles », des langues qui, pour le sujet, comptent comme ses langues, d’en choisir une… ou deux… plutôt que d’autres, ce choix pouvant poser au sujet certains conflits de loyauté : ne pas énoncer l’une, est-ce la dénigrer ?...

2) Des langues diversement « statufiées », diversement légitimées : explorer les statuts implicites

  • Les répertoires sont donc pluriels, mais surtout composés de langues dotées de statuts divers, officielles, nationales, régionales, minoritaires, ou non statufiées, qui les positionnent dans une hiérarchisation sociolinguistique, auxquels s’associent des fonctions sociales, des domaines d’usages autorisés ou sanctionnés, et qui leur confèrent une reconnaissance inégale, au sein de l’espace social, mais aussi, diversement, aux yeux de leurs locuteurs. Ce qui intéresse ici l’analyse est d’interroger la manière dont les locuteurs interprètent ces statuts et se positionnent par rapport aux idéologies de langues inégales : En quoi, comment, et avec quels enjeux socio-identitaires, la disparité statutaire des langues se joue-t-elle dans l’expérience plurilingue ? Est-elle signifiante, perçue comme stigmatisante ?
  • Dans les portraits, cette disparité statutaire s’aperçoit dans les répertoires associant des langues inégalement aménagées, une langue orale ou réservée à des pratiques informelles en contraste d’une autre faisant norme, quand la langue première n’est pas celle de la scolarisation ou n’est pas apprise formellement, dans les biographies marquées par un processus de minorisation et d’assimilation progressive de l’hétérogénéité linguistique, une langue devenue fonctionnellement mineure, et/ou minorisée du point de vue sa valeur. Elle se joue aussi dans la diversité des modalités d’appropriation, des langues « apprises dans la vie » [p-20], dont l’appropriation s’est opérée en contact, dans le cadre de pratiques pouvant être stigmatisées, voire cachées [p-1, 5], construisant des ressources et des savoir-faire langagiers opérationnels en situations sociales, à l’oral et parfois à l’écrit, mais qui ne font pas toujours compétence aux yeux des locuteurs [p-3].
  • L’analyse vise ainsi à saisir les statuts « implicites », selon lesquels les locuteurs investissent leurs langues, les images qu’ils y associent, les symboles qu’elles constituent pour eux, la manière dont ils agissent leurs statuts et leurs fonctions, interprètent leurs différences, mais aussi interprètent que ces différences marquent leur expérience, les marquent en tant que locuteurs et/ou en tant qu’apprenants.
    • On voit dans les portraits d’adultes le poids des idéologies sur la manière dont les locuteurs catégorisent et hiérarchisent leurs langues, les valorisent [p-11] ou les dévalorisent [p-7, 8, 10, 14], s’approprient la minorisation et la reprennent à leur compte [p-10]. On voit aussi que cependant, les statuts officiels ne priment pas toujours quand les locuteurs valuent leurs langues. Ainsi Mb [p-20] dévalorise le wolof, grande langue nationale mais pour lui vecteur de perte identitaire…, a contrario du manjak, sa langue de filiation et de pratiques familiales, qu’il valorise fortement malgré sa non-reconnaissance officielle.
    • On voir ici la manière dont les relations aux langues se construisent en tension entre deux pôles représentationnels (Canut, Bretegnier), à l’aune de deux figures idéalisées de « la langue », un idéal social, figure de langue-norme, et un idéal psychique, figure de langue-origine qui peuvent entrer en concordance, ou en contradiction, ou encore s’équilibrer dans la conciliation de deux langues: dans le portrait 20, le « capital » (Bourdieu) que lui confère son appropriation du français en tant que langue co-identitaire lui permet d’affirmer sa langue manjak, minorée mais pour lui majeure, et de renverser le rapport de force inégalitaire qui se jouait avec les autres langues.

1.3. Des langues parmi lesquelles le français, l’expérience francophone en contacts et en mobilités

  • 13 témoins proviennent de situations francophones, anciennes colonies françaises devenues pays indépendants dans lesquels le français est demeuré symboliquement fort selon différents statuts, langue-matière introduite dès le primaire et d’enseignement dans le supérieur en Algérie et au Maroc qui l’ont statufié « première langue étrangère », langue officielle au Gabon et au Sénégal en contacts de « langues nationales », de même qu’à Mayotte, restée territoire français, récemment départementalisée, qui reconnait le mahorais comme « langue régionale ».
  • Ces portraits peuvent contribuer à un corpus pour l’analyse des rapports construits au français, en amont et en aval des mobilités migratoires et d’intégration en France, de l’expérience et des imaginaires francophones en contacts et en mobilités, que les travaux thématisent souvent en termes de malaises à l’aune d’idéologies de norme et d’unité qui marquent les pratiques comme les traditions éducatives (Klinkenberg, Lodge), génèrent des ressentis sociaux de culpabilité et d’insécurité linguistique (Francard, Boudreau, Bretegnier). Les travaux montrent aussi la conflictualité à l’œuvre dans les rapports de force inégalitaires qui peuvent se (re)jouer dans l’appropriation du français en relation aux autres langues du répertoire.
  • On peut lire dans plusieurs portraits [p-6-7-8-10-17-18-19-20] la minorisation qui s’exerce sur la / des langues déjà-là « à l’ombre de la langue légitime » (Boudreau, 2016), « mieux que l’arabe, hein » [p-14], en particulier thématisée par Seydou [p-17], dans l’ambivalence ressentie par rapport au wolof, qu’il « n’appelait même pas langue », fortement stigmatisée dans l’enfance en contraste du français à l’inverse survalorisée, dénigrée puis réhabilitée dans la mobilité migratoire dans une fonction véhiculaire et d’affirmation identitaire, emblème de « sénégalité ». Mais on remarque aussi la manière dont la revalorisation de la langue maternelle s’opère par le filtrage de carcans idéologiques selon lesquels le wolof est réinvesti dans une image idéalisée delangue pure, de langue-norme par rapport à laquelle il se positionne comme garant, prescripteur, puriste.
  • On lit aussi dans ces portraits les pluralités inégalitaires multiples et enchevêtrées, d’autres langues dominantes marquant des rapports de distinction, l’arabe par rapport à une langue « berbère » [p- 7-8-16], dans des expériences pouvant relever de doubles minorisations [p-8-16].
  • Les portraits concernent aussi des pays de socialisation initiale marquées par d’autres histoires de colonisation, ayant opéré des assimilations linguistiques en faveur de l’espagnol ou du portugais [p-4, 5] et tous sont historiquement ou plus récemment
  • marqués par la présence de l’anglais.

1.4. Et l’anglais dans tout ça ?

  • Présent dès la petite enfance au titre de vernaculaire familial en contact [p-2, 4], appris en tant que LVE dès l’école primaire ou au secondaire, l’anglais s’inscrit dans la totalité des répertoires des témoins scolarisés au-delà du primaire, là encore selon différents statuts, fonctions, valeurs, en contextes et dans la singularité située de chaque histoire expérientielle.
  • Outre la scolarisation des témoins, la place de l’anglais est liée à l’implantation sociohistorique de la langue dans les différents pays de socialisation, au Bengladesh [p-3], sous domination coloniale britannique pendant 2 siècles, ou encore en Corée du Sud [p-2], en relation forte avec les Etats-Unis, conférant à l’anglais un statut de premier plan qui marque l’offre mais aussi les cultures et pratiques éducatives, le monde du travail, l’espace social et médiatique. L’influence de l’anglais est aussi prégnante en Colombie, mais s’accroit également fortement en Algérie, et au Maroc, commençant parfois à supplanter le français dans des secteurs traditionnellement francophones.
  • Langue ultra-dominante sur le marché linguistique mondial (Calvet, 1999), devenue majeure et incontournable dans l’offre éducative des pays du monde entier, la diffusion de l’anglais s’opère à travers une image d’hyper-modernité associée à la mondialisation (Heller, 2007) mais aussi s’impose comme modèle unique (Hagège, 2012), s’inscrit dans un processus de globalisation par unification, qui « produit et reproduit de la domination, de l’hégémonie, de l’inégalité » (Forlot 2010 : 100), exerce une pression forte sur les autres langues, le français notamment.
  • Dans les répertoires des collégiens, l’anglais constitue bien une langue de poids (Gasquet-Cyrus & Petitjean, 2009), mais ce poids apparait pour eux moins faire pression, qu’importance. Un ressenti d’hégémonie apparait toutefois perceptible dans la tension qui semble s’exercer pour RU [p-3] dans le ressenti négatif de sa compétence en anglais, la minoration récurrente de son bilinguisme (bengali-anglais), derrière lequel apparaissent aussi d’autres langues.
  • L’anglais est pour les collégiens présent et familier, investi comme langue moderne, langue retrouvée au fil des pays de vie, langue « de secours » [p-1], langue passerelle (Forlot, 2009) par laquelle on passe pour entrer dans le français [p-2, 4], perçue plus facile que le français, associée au plaisir et à la liberté, et donnant envie de chanter voire d’écrire… [p-1], vécue comme plus appropriable, moins normative ? Ces notions se retrouvent chez certains adultes [p-9].
  • « L’anglais » fait aussi figure, quand la fille de SI [p-12], 5 ans, entendant sa mère parler au téléphone en mahorais, langue maternelle non transmise, lui demande : « Maman pourquoi tu parles anglais ? »
Plan de l’exposition →
Imaginaires plurilingues entre familles et écoles : expériences, parcours, démarches didactiques
  • La lecture des portraits sociolangagiers donne à apercevoir des expériences ordinaires de la diversité, de socialisation en situations sociolinguistiques de contacts, dans des biographies marquées, avant l’arrivée en France, par des mobilités migratoires pouvant comporter plusieurs pays de vie [portraits 1, 2, 13], s’être produites avant la naissance [p-20], ou s’opérer d’un espace rural à un espace urbain [p- 8, 16], impliquant chaque fois de nouvelles langues et appropriations langagières, des processus de recompositions plurilingues en dynamiques, d’intégration… entre inclusion et exclusion.

1.1. Que de langues dans ces répertoires !

    • Précisons ici que notre usage de « langue(s) » repose sur une conception sociolinguistique souple, renvoie, pour chaque portrait, à toutes celles énoncées par les témoins comme associées à leur biographie, inscrites dans leur répertoire, y compris celles auxquelles ils peuvent précisément refuser le statut de « langue » et identifier par distinction en tant que « dialectes », « créoles », « patois », ou encore celles qu’ils ne parlent pas, n’ont pas reçues, mais qui demeurent catégorisées, thématisées dans les discours identitaires.
    • La pluralité linguistique frappe en particulier dans certains portraits de collégiens, bi-plurilingues précoces, mais aussi ayant été, avant leur arrivée en France, scolarisés par le vecteur de plusieurs langues relevant parfois d’alphabets différents, successivement (russe/polonais [p-1], coréen/anglais [p-2]), ou simultanément (bengali, anglais [p-3]).
    • Les portraits des adultes parents et/ou étudiants montrent aussi presque tous des socialisations en contextes d’hétérogénéité, thématisée en termes de contacts, ou de frontières et de séparations [p-16, 20], et peuvent aussi comporter plusieurs langues de scolarisation [p-6, 7, 8]… et/ou d’éducation, si l’on compte les années d’enseignement coranique [p-12, 14]. On remarque pourtant que la totalité d’entre eux n’énoncent qu’une seule langue maternelle …

1.2. Plusieurs langues… mais au-delà de les compter, les qualifier : statuts, fonctions, valeurs

1) A propos de langue(s) maternelle(s)

  • La notion de « langue maternelle » est problématique, idéologiquement construite et instrumentalisée, poser cette question est plein de pièges, et y répondre n’a rien anodin.
    • Un écueil important, pour le chercheur, est de ne pas se décentrer par rapport à ses propres représentations, normes et idéaux notamment en termes de « langues » et de « transmission », de pré-catégoriser mais aussi d’attendre de l’unité, ce qui peut avoir comme effet une réponse lissée, la désignation d’une langue attendue, par exemple officielle, masquant la complexité d’un contact à une autre, moins visible, moins légitime.
  • La lecture des portraits montre la complexité de répertoires dans lesquelles la langue de socialisation et des interactions initiales, n’est pas forcément la langue de filiation maternelle (CG-Mb), celle ou l’unique que le locuteur investit en tant que référent majeur de construction identitaire, le vernaculaire quotidien le plus fréquent, ou encore celle dans laquelle il est le plus compétent.
    • Le portrait de CG [p-2] montre que définir sa ou ses langues maternelle(s) n’a rien d’une évidence. L’enfant cite d’abord l’ourdou, langue du père, connue et pratiquée par la mère, elle-même d’origine comorienne mais dont la langue n’a pas été maintenue, puis il se ravise : c’est l’anglais, présente, en contact, comme vernaculaire familial, mais aussi devenue, a contrario de l’ourdou, une langue formellement apprise puis de scolarisation et dans laquelle il est ainsi devenu plus compétent. On voit ainsi la diversité des critères mais également que la question de « la langue maternelle » induit d’abord dans la réponse une logique du singulier, l’ourdou ou l’anglais, qui, sitôt levée quand l’enquêteur suggère la possibilité de les associer, donne à l’enfant à y inclure la troisième, le coréen, que ses parents n’ont jamais parlé mais qui a constitué pour lui la première langue de scolarisation, vecteur d’apprentissages et d’amitiés enfantines. On voit ainsi aussi les enjeux identitaires à l’œuvre dans la désignation des langues « maternelles », des langues qui, pour le sujet, comptent comme ses langues, d’en choisir une… ou deux… plutôt que d’autres, ce choix pouvant poser au sujet certains conflits de loyauté : ne pas énoncer l’une, est-ce la dénigrer ?...

2) Des langues diversement « statufiées », diversement légitimées : explorer les statuts implicites

  • Les répertoires sont donc pluriels, mais surtout composés de langues dotées de statuts divers, officielles, nationales, régionales, minoritaires, ou non statufiées, qui les positionnent dans une hiérarchisation sociolinguistique, auxquels s’associent des fonctions sociales, des domaines d’usages autorisés ou sanctionnés, et qui leur confèrent une reconnaissance inégale, au sein de l’espace social, mais aussi, diversement, aux yeux de leurs locuteurs. Ce qui intéresse ici l’analyse est d’interroger la manière dont les locuteurs interprètent ces statuts et se positionnent par rapport aux idéologies de langues inégales : En quoi, comment, et avec quels enjeux socio-identitaires, la disparité statutaire des langues se joue-t-elle dans l’expérience plurilingue ? Est-elle signifiante, perçue comme stigmatisante ?
  • Dans les portraits, cette disparité statutaire s’aperçoit dans les répertoires associant des langues inégalement aménagées, une langue orale ou réservée à des pratiques informelles en contraste d’une autre faisant norme, quand la langue première n’est pas celle de la scolarisation ou n’est pas apprise formellement, dans les biographies marquées par un processus de minorisation et d’assimilation progressive de l’hétérogénéité linguistique, une langue devenue fonctionnellement mineure, et/ou minorisée du point de vue sa valeur. Elle se joue aussi dans la diversité des modalités d’appropriation, des langues « apprises dans la vie » [p-20], dont l’appropriation s’est opérée en contact, dans le cadre de pratiques pouvant être stigmatisées, voire cachées [p-1, 5], construisant des ressources et des savoir-faire langagiers opérationnels en situations sociales, à l’oral et parfois à l’écrit, mais qui ne font pas toujours compétence aux yeux des locuteurs [p-3].
  • L’analyse vise ainsi à saisir les statuts « implicites », selon lesquels les locuteurs investissent leurs langues, les images qu’ils y associent, les symboles qu’elles constituent pour eux, la manière dont ils agissent leurs statuts et leurs fonctions, interprètent leurs différences, mais aussi interprètent que ces différences marquent leur expérience, les marquent en tant que locuteurs et/ou en tant qu’apprenants.
    • On voit dans les portraits d’adultes le poids des idéologies sur la manière dont les locuteurs catégorisent et hiérarchisent leurs langues, les valorisent [p-11] ou les dévalorisent [p-7, 8, 10, 14], s’approprient la minorisation et la reprennent à leur compte [p-10]. On voit aussi que cependant, les statuts officiels ne priment pas toujours quand les locuteurs valuent leurs langues. Ainsi Mb [p-20] dévalorise le wolof, grande langue nationale mais pour lui vecteur de perte identitaire…, a contrario du manjak, sa langue de filiation et de pratiques familiales, qu’il valorise fortement malgré sa non-reconnaissance officielle.
    • On voir ici la manière dont les relations aux langues se construisent en tension entre deux pôles représentationnels (Canut, Bretegnier), à l’aune de deux figures idéalisées de « la langue », un idéal social, figure de langue-norme, et un idéal psychique, figure de langue-origine qui peuvent entrer en concordance, ou en contradiction, ou encore s’équilibrer dans la conciliation de deux langues: dans le portrait 20, le « capital » (Bourdieu) que lui confère son appropriation du français en tant que langue co-identitaire lui permet d’affirmer sa langue manjak, minorée mais pour lui majeure, et de renverser le rapport de force inégalitaire qui se jouait avec les autres langues.

1.3. Des langues parmi lesquelles le français, l’expérience francophone en contacts et en mobilités

  • 13 témoins proviennent de situations francophones, anciennes colonies françaises devenues pays indépendants dans lesquels le français est demeuré symboliquement fort selon différents statuts, langue-matière introduite dès le primaire et d’enseignement dans le supérieur en Algérie et au Maroc qui l’ont statufié « première langue étrangère », langue officielle au Gabon et au Sénégal en contacts de « langues nationales », de même qu’à Mayotte, restée territoire français, récemment départementalisée, qui reconnait le mahorais comme « langue régionale ».
  • Ces portraits peuvent contribuer à un corpus pour l’analyse des rapports construits au français, en amont et en aval des mobilités migratoires et d’intégration en France, de l’expérience et des imaginaires francophones en contacts et en mobilités, que les travaux thématisent souvent en termes de malaises à l’aune d’idéologies de norme et d’unité qui marquent les pratiques comme les traditions éducatives (Klinkenberg, Lodge), génèrent des ressentis sociaux de culpabilité et d’insécurité linguistique (Francard, Boudreau, Bretegnier). Les travaux montrent aussi la conflictualité à l’œuvre dans les rapports de force inégalitaires qui peuvent se (re)jouer dans l’appropriation du français en relation aux autres langues du répertoire.
  • On peut lire dans plusieurs portraits [p-6-7-8-10-17-18-19-20] la minorisation qui s’exerce sur la / des langues déjà-là « à l’ombre de la langue légitime » (Boudreau, 2016), « mieux que l’arabe, hein » [p-14], en particulier thématisée par Seydou [p-17], dans l’ambivalence ressentie par rapport au wolof, qu’il « n’appelait même pas langue », fortement stigmatisée dans l’enfance en contraste du français à l’inverse survalorisée, dénigrée puis réhabilitée dans la mobilité migratoire dans une fonction véhiculaire et d’affirmation identitaire, emblème de « sénégalité ». Mais on remarque aussi la manière dont la revalorisation de la langue maternelle s’opère par le filtrage de carcans idéologiques selon lesquels le wolof est réinvesti dans une image idéalisée delangue pure, de langue-norme par rapport à laquelle il se positionne comme garant, prescripteur, puriste.
  • On lit aussi dans ces portraits les pluralités inégalitaires multiples et enchevêtrées, d’autres langues dominantes marquant des rapports de distinction, l’arabe par rapport à une langue « berbère » [p- 7-8-16], dans des expériences pouvant relever de doubles minorisations [p-8-16].
  • Les portraits concernent aussi des pays de socialisation initiale marquées par d’autres histoires de colonisation, ayant opéré des assimilations linguistiques en faveur de l’espagnol ou du portugais [p-4, 5] et tous sont historiquement ou plus récemment
  • marqués par la présence de l’anglais.

1.4. Et l’anglais dans tout ça ?

  • Présent dès la petite enfance au titre de vernaculaire familial en contact [p-2, 4], appris en tant que LVE dès l’école primaire ou au secondaire, l’anglais s’inscrit dans la totalité des répertoires des témoins scolarisés au-delà du primaire, là encore selon différents statuts, fonctions, valeurs, en contextes et dans la singularité située de chaque histoire expérientielle.
  • Outre la scolarisation des témoins, la place de l’anglais est liée à l’implantation sociohistorique de la langue dans les différents pays de socialisation, au Bengladesh [p-3], sous domination coloniale britannique pendant 2 siècles, ou encore en Corée du Sud [p-2], en relation forte avec les Etats-Unis, conférant à l’anglais un statut de premier plan qui marque l’offre mais aussi les cultures et pratiques éducatives, le monde du travail, l’espace social et médiatique. L’influence de l’anglais est aussi prégnante en Colombie, mais s’accroit également fortement en Algérie, et au Maroc, commençant parfois à supplanter le français dans des secteurs traditionnellement francophones.
  • Langue ultra-dominante sur le marché linguistique mondial (Calvet, 1999), devenue majeure et incontournable dans l’offre éducative des pays du monde entier, la diffusion de l’anglais s’opère à travers une image d’hyper-modernité associée à la mondialisation (Heller, 2007) mais aussi s’impose comme modèle unique (Hagège, 2012), s’inscrit dans un processus de globalisation par unification, qui « produit et reproduit de la domination, de l’hégémonie, de l’inégalité » (Forlot 2010 : 100), exerce une pression forte sur les autres langues, le français notamment.
  • Dans les répertoires des collégiens, l’anglais constitue bien une langue de poids (Gasquet-Cyrus & Petitjean, 2009), mais ce poids apparait pour eux moins faire pression, qu’importance. Un ressenti d’hégémonie apparait toutefois perceptible dans la tension qui semble s’exercer pour RU [p-3] dans le ressenti négatif de sa compétence en anglais, la minoration récurrente de son bilinguisme (bengali-anglais), derrière lequel apparaissent aussi d’autres langues.
  • L’anglais est pour les collégiens présent et familier, investi comme langue moderne, langue retrouvée au fil des pays de vie, langue « de secours » [p-1], langue passerelle (Forlot, 2009) par laquelle on passe pour entrer dans le français [p-2, 4], perçue plus facile que le français, associée au plaisir et à la liberté, et donnant envie de chanter voire d’écrire… [p-1], vécue comme plus appropriable, moins normative ? Ces notions se retrouvent chez certains adultes [p-9].
  • « L’anglais » fait aussi figure, quand la fille de SI [p-12], 5 ans, entendant sa mère parler au téléphone en mahorais, langue maternelle non transmise, lui demande : « Maman pourquoi tu parles anglais ? »
  • La lecture des portraits sociolangagiers donne à apercevoir des expériences ordinaires de la diversité, de socialisation en situations sociolinguistiques de contacts, dans des biographies marquées, avant l’arrivée en France, par des mobilités migratoires pouvant comporter plusieurs pays de vie [portraits 1, 2, 13], s’être produites avant la naissance [p-20], ou s’opérer d’un espace rural à un espace urbain [p- 8, 16], impliquant chaque fois de nouvelles langues et appropriations langagières, des processus de recompositions plurilingues en dynamiques, d’intégration… entre inclusion et exclusion.

1.1. Que de langues dans ces répertoires !

    • Précisons ici que notre usage de « langue(s) » repose sur une conception sociolinguistique souple, renvoie, pour chaque portrait, à toutes celles énoncées par les témoins comme associées à leur biographie, inscrites dans leur répertoire, y compris celles auxquelles ils peuvent précisément refuser le statut de « langue » et identifier par distinction en tant que « dialectes », « créoles », « patois », ou encore celles qu’ils ne parlent pas, n’ont pas reçues, mais qui demeurent catégorisées, thématisées dans les discours identitaires.
    • La pluralité linguistique frappe en particulier dans certains portraits de collégiens, bi-plurilingues précoces, mais aussi ayant été, avant leur arrivée en France, scolarisés par le vecteur de plusieurs langues relevant parfois d’alphabets différents, successivement (russe/polonais [p-1], coréen/anglais [p-2]), ou simultanément (bengali, anglais [p-3]).
    • Les portraits des adultes parents et/ou étudiants montrent aussi presque tous des socialisations en contextes d’hétérogénéité, thématisée en termes de contacts, ou de frontières et de séparations [p-16, 20], et peuvent aussi comporter plusieurs langues de scolarisation [p-6, 7, 8]… et/ou d’éducation, si l’on compte les années d’enseignement coranique [p-12, 14]. On remarque pourtant que la totalité d’entre eux n’énoncent qu’une seule langue maternelle …

1.2. Plusieurs langues… mais au-delà de les compter, les qualifier : statuts, fonctions, valeurs

1) A propos de langue(s) maternelle(s)

  • La notion de « langue maternelle » est problématique, idéologiquement construite et instrumentalisée, poser cette question est plein de pièges, et y répondre n’a rien anodin.
    • Un écueil important, pour le chercheur, est de ne pas se décentrer par rapport à ses propres représentations, normes et idéaux notamment en termes de « langues » et de « transmission », de pré-catégoriser mais aussi d’attendre de l’unité, ce qui peut avoir comme effet une réponse lissée, la désignation d’une langue attendue, par exemple officielle, masquant la complexité d’un contact à une autre, moins visible, moins légitime.
  • La lecture des portraits montre la complexité de répertoires dans lesquelles la langue de socialisation et des interactions initiales, n’est pas forcément la langue de filiation maternelle (CG-Mb), celle ou l’unique que le locuteur investit en tant que référent majeur de construction identitaire, le vernaculaire quotidien le plus fréquent, ou encore celle dans laquelle il est le plus compétent.
    • Le portrait de CG [p-2] montre que définir sa ou ses langues maternelle(s) n’a rien d’une évidence. L’enfant cite d’abord l’ourdou, langue du père, connue et pratiquée par la mère, elle-même d’origine comorienne mais dont la langue n’a pas été maintenue, puis il se ravise : c’est l’anglais, présente, en contact, comme vernaculaire familial, mais aussi devenue, a contrario de l’ourdou, une langue formellement apprise puis de scolarisation et dans laquelle il est ainsi devenu plus compétent. On voit ainsi la diversité des critères mais également que la question de « la langue maternelle » induit d’abord dans la réponse une logique du singulier, l’ourdou ou l’anglais, qui, sitôt levée quand l’enquêteur suggère la possibilité de les associer, donne à l’enfant à y inclure la troisième, le coréen, que ses parents n’ont jamais parlé mais qui a constitué pour lui la première langue de scolarisation, vecteur d’apprentissages et d’amitiés enfantines. On voit ainsi aussi les enjeux identitaires à l’œuvre dans la désignation des langues « maternelles », des langues qui, pour le sujet, comptent comme ses langues, d’en choisir une… ou deux… plutôt que d’autres, ce choix pouvant poser au sujet certains conflits de loyauté : ne pas énoncer l’une, est-ce la dénigrer ?...

2) Des langues diversement « statufiées », diversement légitimées : explorer les statuts implicites

  • Les répertoires sont donc pluriels, mais surtout composés de langues dotées de statuts divers, officielles, nationales, régionales, minoritaires, ou non statufiées, qui les positionnent dans une hiérarchisation sociolinguistique, auxquels s’associent des fonctions sociales, des domaines d’usages autorisés ou sanctionnés, et qui leur confèrent une reconnaissance inégale, au sein de l’espace social, mais aussi, diversement, aux yeux de leurs locuteurs. Ce qui intéresse ici l’analyse est d’interroger la manière dont les locuteurs interprètent ces statuts et se positionnent par rapport aux idéologies de langues inégales : En quoi, comment, et avec quels enjeux socio-identitaires, la disparité statutaire des langues se joue-t-elle dans l’expérience plurilingue ? Est-elle signifiante, perçue comme stigmatisante ?
  • Dans les portraits, cette disparité statutaire s’aperçoit dans les répertoires associant des langues inégalement aménagées, une langue orale ou réservée à des pratiques informelles en contraste d’une autre faisant norme, quand la langue première n’est pas celle de la scolarisation ou n’est pas apprise formellement, dans les biographies marquées par un processus de minorisation et d’assimilation progressive de l’hétérogénéité linguistique, une langue devenue fonctionnellement mineure, et/ou minorisée du point de vue sa valeur. Elle se joue aussi dans la diversité des modalités d’appropriation, des langues « apprises dans la vie » [p-20], dont l’appropriation s’est opérée en contact, dans le cadre de pratiques pouvant être stigmatisées, voire cachées [p-1, 5], construisant des ressources et des savoir-faire langagiers opérationnels en situations sociales, à l’oral et parfois à l’écrit, mais qui ne font pas toujours compétence aux yeux des locuteurs [p-3].
  • L’analyse vise ainsi à saisir les statuts « implicites », selon lesquels les locuteurs investissent leurs langues, les images qu’ils y associent, les symboles qu’elles constituent pour eux, la manière dont ils agissent leurs statuts et leurs fonctions, interprètent leurs différences, mais aussi interprètent que ces différences marquent leur expérience, les marquent en tant que locuteurs et/ou en tant qu’apprenants.
    • On voit dans les portraits d’adultes le poids des idéologies sur la manière dont les locuteurs catégorisent et hiérarchisent leurs langues, les valorisent [p-11] ou les dévalorisent [p-7, 8, 10, 14], s’approprient la minorisation et la reprennent à leur compte [p-10]. On voit aussi que cependant, les statuts officiels ne priment pas toujours quand les locuteurs valuent leurs langues. Ainsi Mb [p-20] dévalorise le wolof, grande langue nationale mais pour lui vecteur de perte identitaire…, a contrario du manjak, sa langue de filiation et de pratiques familiales, qu’il valorise fortement malgré sa non-reconnaissance officielle.
    • On voir ici la manière dont les relations aux langues se construisent en tension entre deux pôles représentationnels (Canut, Bretegnier), à l’aune de deux figures idéalisées de « la langue », un idéal social, figure de langue-norme, et un idéal psychique, figure de langue-origine qui peuvent entrer en concordance, ou en contradiction, ou encore s’équilibrer dans la conciliation de deux langues: dans le portrait 20, le « capital » (Bourdieu) que lui confère son appropriation du français en tant que langue co-identitaire lui permet d’affirmer sa langue manjak, minorée mais pour lui majeure, et de renverser le rapport de force inégalitaire qui se jouait avec les autres langues.

1.3. Des langues parmi lesquelles le français, l’expérience francophone en contacts et en mobilités

  • 13 témoins proviennent de situations francophones, anciennes colonies françaises devenues pays indépendants dans lesquels le français est demeuré symboliquement fort selon différents statuts, langue-matière introduite dès le primaire et d’enseignement dans le supérieur en Algérie et au Maroc qui l’ont statufié « première langue étrangère », langue officielle au Gabon et au Sénégal en contacts de « langues nationales », de même qu’à Mayotte, restée territoire français, récemment départementalisée, qui reconnait le mahorais comme « langue régionale ».
  • Ces portraits peuvent contribuer à un corpus pour l’analyse des rapports construits au français, en amont et en aval des mobilités migratoires et d’intégration en France, de l’expérience et des imaginaires francophones en contacts et en mobilités, que les travaux thématisent souvent en termes de malaises à l’aune d’idéologies de norme et d’unité qui marquent les pratiques comme les traditions éducatives (Klinkenberg, Lodge), génèrent des ressentis sociaux de culpabilité et d’insécurité linguistique (Francard, Boudreau, Bretegnier). Les travaux montrent aussi la conflictualité à l’œuvre dans les rapports de force inégalitaires qui peuvent se (re)jouer dans l’appropriation du français en relation aux autres langues du répertoire.
  • On peut lire dans plusieurs portraits [p-6-7-8-10-17-18-19-20] la minorisation qui s’exerce sur la / des langues déjà-là « à l’ombre de la langue légitime » (Boudreau, 2016), « mieux que l’arabe, hein » [p-14], en particulier thématisée par Seydou [p-17], dans l’ambivalence ressentie par rapport au wolof, qu’il « n’appelait même pas langue », fortement stigmatisée dans l’enfance en contraste du français à l’inverse survalorisée, dénigrée puis réhabilitée dans la mobilité migratoire dans une fonction véhiculaire et d’affirmation identitaire, emblème de « sénégalité ». Mais on remarque aussi la manière dont la revalorisation de la langue maternelle s’opère par le filtrage de carcans idéologiques selon lesquels le wolof est réinvesti dans une image idéalisée delangue pure, de langue-norme par rapport à laquelle il se positionne comme garant, prescripteur, puriste.
  • On lit aussi dans ces portraits les pluralités inégalitaires multiples et enchevêtrées, d’autres langues dominantes marquant des rapports de distinction, l’arabe par rapport à une langue « berbère » [p- 7-8-16], dans des expériences pouvant relever de doubles minorisations [p-8-16].
  • Les portraits concernent aussi des pays de socialisation initiale marquées par d’autres histoires de colonisation, ayant opéré des assimilations linguistiques en faveur de l’espagnol ou du portugais [p-4, 5] et tous sont historiquement ou plus récemment
  • marqués par la présence de l’anglais.

1.4. Et l’anglais dans tout ça ?

  • Présent dès la petite enfance au titre de vernaculaire familial en contact [p-2, 4], appris en tant que LVE dès l’école primaire ou au secondaire, l’anglais s’inscrit dans la totalité des répertoires des témoins scolarisés au-delà du primaire, là encore selon différents statuts, fonctions, valeurs, en contextes et dans la singularité située de chaque histoire expérientielle.
  • Outre la scolarisation des témoins, la place de l’anglais est liée à l’implantation sociohistorique de la langue dans les différents pays de socialisation, au Bengladesh [p-3], sous domination coloniale britannique pendant 2 siècles, ou encore en Corée du Sud [p-2], en relation forte avec les Etats-Unis, conférant à l’anglais un statut de premier plan qui marque l’offre mais aussi les cultures et pratiques éducatives, le monde du travail, l’espace social et médiatique. L’influence de l’anglais est aussi prégnante en Colombie, mais s’accroit également fortement en Algérie, et au Maroc, commençant parfois à supplanter le français dans des secteurs traditionnellement francophones.
  • Langue ultra-dominante sur le marché linguistique mondial (Calvet, 1999), devenue majeure et incontournable dans l’offre éducative des pays du monde entier, la diffusion de l’anglais s’opère à travers une image d’hyper-modernité associée à la mondialisation (Heller, 2007) mais aussi s’impose comme modèle unique (Hagège, 2012), s’inscrit dans un processus de globalisation par unification, qui « produit et reproduit de la domination, de l’hégémonie, de l’inégalité » (Forlot 2010 : 100), exerce une pression forte sur les autres langues, le français notamment.
  • Dans les répertoires des collégiens, l’anglais constitue bien une langue de poids (Gasquet-Cyrus & Petitjean, 2009), mais ce poids apparait pour eux moins faire pression, qu’importance. Un ressenti d’hégémonie apparait toutefois perceptible dans la tension qui semble s’exercer pour RU [p-3] dans le ressenti négatif de sa compétence en anglais, la minoration récurrente de son bilinguisme (bengali-anglais), derrière lequel apparaissent aussi d’autres langues.
  • L’anglais est pour les collégiens présent et familier, investi comme langue moderne, langue retrouvée au fil des pays de vie, langue « de secours » [p-1], langue passerelle (Forlot, 2009) par laquelle on passe pour entrer dans le français [p-2, 4], perçue plus facile que le français, associée au plaisir et à la liberté, et donnant envie de chanter voire d’écrire… [p-1], vécue comme plus appropriable, moins normative ? Ces notions se retrouvent chez certains adultes [p-9].
  • « L’anglais » fait aussi figure, quand la fille de SI [p-12], 5 ans, entendant sa mère parler au téléphone en mahorais, langue maternelle non transmise, lui demande : « Maman pourquoi tu parles anglais ? »
  • La lecture des portraits sociolangagiers donne à apercevoir des expériences ordinaires de la diversité, de socialisation en situations sociolinguistiques de contacts, dans des biographies marquées, avant l’arrivée en France, par des mobilités migratoires pouvant comporter plusieurs pays de vie [portraits 1, 2, 13], s’être produites avant la naissance [p-20], ou s’opérer d’un espace rural à un espace urbain [p- 8, 16], impliquant chaque fois de nouvelles langues et appropriations langagières, des processus de recompositions plurilingues en dynamiques, d’intégration… entre inclusion et exclusion.

1.1. Que de langues dans ces répertoires !

    • Précisons ici que notre usage de « langue(s) » repose sur une conception sociolinguistique souple, renvoie, pour chaque portrait, à toutes celles énoncées par les témoins comme associées à leur biographie, inscrites dans leur répertoire, y compris celles auxquelles ils peuvent précisément refuser le statut de « langue » et identifier par distinction en tant que « dialectes », « créoles », « patois », ou encore celles qu’ils ne parlent pas, n’ont pas reçues, mais qui demeurent catégorisées, thématisées dans les discours identitaires.
    • La pluralité linguistique frappe en particulier dans certains portraits de collégiens, bi-plurilingues précoces, mais aussi ayant été, avant leur arrivée en France, scolarisés par le vecteur de plusieurs langues relevant parfois d’alphabets différents, successivement (russe/polonais [p-1], coréen/anglais [p-2]), ou simultanément (bengali, anglais [p-3]).
    • Les portraits des adultes parents et/ou étudiants montrent aussi presque tous des socialisations en contextes d’hétérogénéité, thématisée en termes de contacts, ou de frontières et de séparations [p-16, 20], et peuvent aussi comporter plusieurs langues de scolarisation [p-6, 7, 8]… et/ou d’éducation, si l’on compte les années d’enseignement coranique [p-12, 14]. On remarque pourtant que la totalité d’entre eux n’énoncent qu’une seule langue maternelle …

1.2. Plusieurs langues… mais au-delà de les compter, les qualifier : statuts, fonctions, valeurs

1) A propos de langue(s) maternelle(s)

  • La notion de « langue maternelle » est problématique, idéologiquement construite et instrumentalisée, poser cette question est plein de pièges, et y répondre n’a rien anodin.
    • Un écueil important, pour le chercheur, est de ne pas se décentrer par rapport à ses propres représentations, normes et idéaux notamment en termes de « langues » et de « transmission », de pré-catégoriser mais aussi d’attendre de l’unité, ce qui peut avoir comme effet une réponse lissée, la désignation d’une langue attendue, par exemple officielle, masquant la complexité d’un contact à une autre, moins visible, moins légitime.
  • La lecture des portraits montre la complexité de répertoires dans lesquelles la langue de socialisation et des interactions initiales, n’est pas forcément la langue de filiation maternelle (CG-Mb), celle ou l’unique que le locuteur investit en tant que référent majeur de construction identitaire, le vernaculaire quotidien le plus fréquent, ou encore celle dans laquelle il est le plus compétent.
    • Le portrait de CG [p-2] montre que définir sa ou ses langues maternelle(s) n’a rien d’une évidence. L’enfant cite d’abord l’ourdou, langue du père, connue et pratiquée par la mère, elle-même d’origine comorienne mais dont la langue n’a pas été maintenue, puis il se ravise : c’est l’anglais, présente, en contact, comme vernaculaire familial, mais aussi devenue, a contrario de l’ourdou, une langue formellement apprise puis de scolarisation et dans laquelle il est ainsi devenu plus compétent. On voit ainsi la diversité des critères mais également que la question de « la langue maternelle » induit d’abord dans la réponse une logique du singulier, l’ourdou ou l’anglais, qui, sitôt levée quand l’enquêteur suggère la possibilité de les associer, donne à l’enfant à y inclure la troisième, le coréen, que ses parents n’ont jamais parlé mais qui a constitué pour lui la première langue de scolarisation, vecteur d’apprentissages et d’amitiés enfantines. On voit ainsi aussi les enjeux identitaires à l’œuvre dans la désignation des langues « maternelles », des langues qui, pour le sujet, comptent comme ses langues, d’en choisir une… ou deux… plutôt que d’autres, ce choix pouvant poser au sujet certains conflits de loyauté : ne pas énoncer l’une, est-ce la dénigrer ?...

2) Des langues diversement « statufiées », diversement légitimées : explorer les statuts implicites

  • Les répertoires sont donc pluriels, mais surtout composés de langues dotées de statuts divers, officielles, nationales, régionales, minoritaires, ou non statufiées, qui les positionnent dans une hiérarchisation sociolinguistique, auxquels s’associent des fonctions sociales, des domaines d’usages autorisés ou sanctionnés, et qui leur confèrent une reconnaissance inégale, au sein de l’espace social, mais aussi, diversement, aux yeux de leurs locuteurs. Ce qui intéresse ici l’analyse est d’interroger la manière dont les locuteurs interprètent ces statuts et se positionnent par rapport aux idéologies de langues inégales : En quoi, comment, et avec quels enjeux socio-identitaires, la disparité statutaire des langues se joue-t-elle dans l’expérience plurilingue ? Est-elle signifiante, perçue comme stigmatisante ?
  • Dans les portraits, cette disparité statutaire s’aperçoit dans les répertoires associant des langues inégalement aménagées, une langue orale ou réservée à des pratiques informelles en contraste d’une autre faisant norme, quand la langue première n’est pas celle de la scolarisation ou n’est pas apprise formellement, dans les biographies marquées par un processus de minorisation et d’assimilation progressive de l’hétérogénéité linguistique, une langue devenue fonctionnellement mineure, et/ou minorisée du point de vue sa valeur. Elle se joue aussi dans la diversité des modalités d’appropriation, des langues « apprises dans la vie » [p-20], dont l’appropriation s’est opérée en contact, dans le cadre de pratiques pouvant être stigmatisées, voire cachées [p-1, 5], construisant des ressources et des savoir-faire langagiers opérationnels en situations sociales, à l’oral et parfois à l’écrit, mais qui ne font pas toujours compétence aux yeux des locuteurs [p-3].
  • L’analyse vise ainsi à saisir les statuts « implicites », selon lesquels les locuteurs investissent leurs langues, les images qu’ils y associent, les symboles qu’elles constituent pour eux, la manière dont ils agissent leurs statuts et leurs fonctions, interprètent leurs différences, mais aussi interprètent que ces différences marquent leur expérience, les marquent en tant que locuteurs et/ou en tant qu’apprenants.
    • On voit dans les portraits d’adultes le poids des idéologies sur la manière dont les locuteurs catégorisent et hiérarchisent leurs langues, les valorisent [p-11] ou les dévalorisent [p-7, 8, 10, 14], s’approprient la minorisation et la reprennent à leur compte [p-10]. On voit aussi que cependant, les statuts officiels ne priment pas toujours quand les locuteurs valuent leurs langues. Ainsi Mb [p-20] dévalorise le wolof, grande langue nationale mais pour lui vecteur de perte identitaire…, a contrario du manjak, sa langue de filiation et de pratiques familiales, qu’il valorise fortement malgré sa non-reconnaissance officielle.
    • On voir ici la manière dont les relations aux langues se construisent en tension entre deux pôles représentationnels (Canut, Bretegnier), à l’aune de deux figures idéalisées de « la langue », un idéal social, figure de langue-norme, et un idéal psychique, figure de langue-origine qui peuvent entrer en concordance, ou en contradiction, ou encore s’équilibrer dans la conciliation de deux langues: dans le portrait 20, le « capital » (Bourdieu) que lui confère son appropriation du français en tant que langue co-identitaire lui permet d’affirmer sa langue manjak, minorée mais pour lui majeure, et de renverser le rapport de force inégalitaire qui se jouait avec les autres langues.

1.3. Des langues parmi lesquelles le français, l’expérience francophone en contacts et en mobilités

  • 13 témoins proviennent de situations francophones, anciennes colonies françaises devenues pays indépendants dans lesquels le français est demeuré symboliquement fort selon différents statuts, langue-matière introduite dès le primaire et d’enseignement dans le supérieur en Algérie et au Maroc qui l’ont statufié « première langue étrangère », langue officielle au Gabon et au Sénégal en contacts de « langues nationales », de même qu’à Mayotte, restée territoire français, récemment départementalisée, qui reconnait le mahorais comme « langue régionale ».
  • Ces portraits peuvent contribuer à un corpus pour l’analyse des rapports construits au français, en amont et en aval des mobilités migratoires et d’intégration en France, de l’expérience et des imaginaires francophones en contacts et en mobilités, que les travaux thématisent souvent en termes de malaises à l’aune d’idéologies de norme et d’unité qui marquent les pratiques comme les traditions éducatives (Klinkenberg, Lodge), génèrent des ressentis sociaux de culpabilité et d’insécurité linguistique (Francard, Boudreau, Bretegnier). Les travaux montrent aussi la conflictualité à l’œuvre dans les rapports de force inégalitaires qui peuvent se (re)jouer dans l’appropriation du français en relation aux autres langues du répertoire.
  • On peut lire dans plusieurs portraits [p-6-7-8-10-17-18-19-20] la minorisation qui s’exerce sur la / des langues déjà-là « à l’ombre de la langue légitime » (Boudreau, 2016), « mieux que l’arabe, hein » [p-14], en particulier thématisée par Seydou [p-17], dans l’ambivalence ressentie par rapport au wolof, qu’il « n’appelait même pas langue », fortement stigmatisée dans l’enfance en contraste du français à l’inverse survalorisée, dénigrée puis réhabilitée dans la mobilité migratoire dans une fonction véhiculaire et d’affirmation identitaire, emblème de « sénégalité ». Mais on remarque aussi la manière dont la revalorisation de la langue maternelle s’opère par le filtrage de carcans idéologiques selon lesquels le wolof est réinvesti dans une image idéalisée delangue pure, de langue-norme par rapport à laquelle il se positionne comme garant, prescripteur, puriste.
  • On lit aussi dans ces portraits les pluralités inégalitaires multiples et enchevêtrées, d’autres langues dominantes marquant des rapports de distinction, l’arabe par rapport à une langue « berbère » [p- 7-8-16], dans des expériences pouvant relever de doubles minorisations [p-8-16].
  • Les portraits concernent aussi des pays de socialisation initiale marquées par d’autres histoires de colonisation, ayant opéré des assimilations linguistiques en faveur de l’espagnol ou du portugais [p-4, 5] et tous sont historiquement ou plus récemment
  • marqués par la présence de l’anglais.

1.4. Et l’anglais dans tout ça ?

  • Présent dès la petite enfance au titre de vernaculaire familial en contact [p-2, 4], appris en tant que LVE dès l’école primaire ou au secondaire, l’anglais s’inscrit dans la totalité des répertoires des témoins scolarisés au-delà du primaire, là encore selon différents statuts, fonctions, valeurs, en contextes et dans la singularité située de chaque histoire expérientielle.
  • Outre la scolarisation des témoins, la place de l’anglais est liée à l’implantation sociohistorique de la langue dans les différents pays de socialisation, au Bengladesh [p-3], sous domination coloniale britannique pendant 2 siècles, ou encore en Corée du Sud [p-2], en relation forte avec les Etats-Unis, conférant à l’anglais un statut de premier plan qui marque l’offre mais aussi les cultures et pratiques éducatives, le monde du travail, l’espace social et médiatique. L’influence de l’anglais est aussi prégnante en Colombie, mais s’accroit également fortement en Algérie, et au Maroc, commençant parfois à supplanter le français dans des secteurs traditionnellement francophones.
  • Langue ultra-dominante sur le marché linguistique mondial (Calvet, 1999), devenue majeure et incontournable dans l’offre éducative des pays du monde entier, la diffusion de l’anglais s’opère à travers une image d’hyper-modernité associée à la mondialisation (Heller, 2007) mais aussi s’impose comme modèle unique (Hagège, 2012), s’inscrit dans un processus de globalisation par unification, qui « produit et reproduit de la domination, de l’hégémonie, de l’inégalité » (Forlot 2010 : 100), exerce une pression forte sur les autres langues, le français notamment.
  • Dans les répertoires des collégiens, l’anglais constitue bien une langue de poids (Gasquet-Cyrus & Petitjean, 2009), mais ce poids apparait pour eux moins faire pression, qu’importance. Un ressenti d’hégémonie apparait toutefois perceptible dans la tension qui semble s’exercer pour RU [p-3] dans le ressenti négatif de sa compétence en anglais, la minoration récurrente de son bilinguisme (bengali-anglais), derrière lequel apparaissent aussi d’autres langues.
  • L’anglais est pour les collégiens présent et familier, investi comme langue moderne, langue retrouvée au fil des pays de vie, langue « de secours » [p-1], langue passerelle (Forlot, 2009) par laquelle on passe pour entrer dans le français [p-2, 4], perçue plus facile que le français, associée au plaisir et à la liberté, et donnant envie de chanter voire d’écrire… [p-1], vécue comme plus appropriable, moins normative ? Ces notions se retrouvent chez certains adultes [p-9].
  • « L’anglais » fait aussi figure, quand la fille de SI [p-12], 5 ans, entendant sa mère parler au téléphone en mahorais, langue maternelle non transmise, lui demande : « Maman pourquoi tu parles anglais ? »