Chapitre I
L’ENFANT, UN ÊTRE À FORMER
NOUVEAUX LIEUX, NOUVELLES INSTITUTIONS
DES RÉGENTS ET D’ANCIENS ÉLÈVES TÉMOIGNENT
BIBLIOTHÈQUE SONORE
Les dialogues ou colloques scolaires : apprendre à converser en latin, mais pas seulement…
Dans les années 1520, alors qu’il est employé comme précepteur particulier, Érasme imagine de courts dialogues en latin pour initier son élève à l’art de la conversation, tout en lui faisant acquérir les rudiments de la langue. La scénographie de ces petites comédies en un acte est fort simple : deux personnages, qui ne se sont pas vus depuis longtemps, se rencontrent dans un lieu public et entament une discussion.
Il s’agit de compléter les cours de grammaire latine et les leçons de vocabulaire que les élèves reçoivent par ailleurs. Ces conversations latines, plus récréatives, sont symptomatiques de l’éducation humaniste. On n’a certainement pas attendu le XVIe siècle pour s’aviser que l’enfant apprenait mieux en s’amusant et qu’il est préférable de tourner les apprentissages sous forme de jeux. Mais ce sont des précepteurs acquis aux idées humanistes qui systématisent l’apprentissage ludique et progressif – une méthode qui utilise l’amour du jeu et le goût du concret chez l’enfant dans l’espoir de faire de lui un élève appliqué et, au bout du compte, un savant versé dans l’étude.
Érasme n’a pas inventé ce genre de l’entretien familier, utilisé dans l’Antiquité, mais il l’a perfectionné. Ses dialogues sont destinés à être expliqués d’abord en classe par un professeur, puis appris par cœur par les enfants qui peuvent aussi se distribuer les répliques.
Ces Formules (Familiarum colloquiorum formulæ) utilisent beaucoup le modèle des questions-réponses et amènent l’élève à enrichir et à varier son expression. Le latin est inculqué tout à fait comme une langue vivante. L’accent est mis sur les tournures courantes et les mots du quotidien. L’édition de 1522 est dédiée à un enfant de huit ans qui porte lui-même le prénom d’Erasmius et qui était le fils du célèbre imprimeur humaniste bâlois Froben.
Il est vrai que l’enfant promis à faire des études devait se préparer tôt à parler latin car à l’adolescence, il allait intégrer un collège d’humanités où il serait tenu de parler latin avec le régent et avec des condisciples qui sont d’ailleurs, parfois, de nationalité étrangère. Les collèges possédaient aussi des bibliothèques où l’élève allait trouver surtout des livres en latin. Et les spectacles de fin d’année sont, généralement, donnés en latin.
Réédités et augmentés, les entretiens familiers d’Érasme en latin rencontrent une grande fortune éditoriale, sont utilisés dans les écoles et sont traduits en français et dans d’autres langues européennes.
Érasme fait des émules chez les pédagogues réformés qui, chacun à sa manière, reprennent la formule. Érasme voulait former l’enfant à la fois à la langue latine et aux bonnes mœurs. Tel est aussi le projet de Sébastien Castellion (1515-1563) qui a dirigé le collège de Rive à Genève dans les années 1540. Ses Dialogues sacrés publiés à Genève en 1543 se concentrent sur l’instruction chrétienne et amènent l’enfant à se familiariser avec les figures majeures de l’Ancien Testament (tels Adam et Eve) qui sont imaginées en train de dialoguer. Ce sont de petites saynètes à faire jouer aux enfants pour leur apprendre le latin.
Quant à Mathurin Cordier (1479-1564), ce grammairien et professeur de rhétorique qui a été le premier maître de Calvin au collège de la Marche à Paris, puis qui a enseigné à Genève et à Lausanne, il est connu comme un pédagogue hors pair. À plus de quatre-vingts ans, il prépare des Colloques scolaires en latin qui paraissent l’année même de sa mort à Lyon en 1564. Ce pédagogue du latin vivant sait se mettre « à hauteur d’enfant » et se soucie à la fois de l’éducation morale et du bien-être (y compris corporel) de l’enfant. Le succès de son livre, rapidement édité en version bilingue latin-français, ne se dément pas jusqu’au XIXe siècle.
Comme l’Éloge de la Folie, publié en 1511, en a donné la preuve, Érasme manie à merveille l’art de traiter des questions sérieuses de manière enjouée et badine et sait mettre en scène des confrontations où s’expriment des points de vue divergents. Durant les dix années qui suivent la première édition de son recueil bâlois, il prolonge son ouvrage, au départ grammatical, pour en faire un recueil de « colloques » (Colloquia) plus ambitieux.
Les personnages en présence entament une conversation sur des sujets délicats, qui ne manqueront pas de faire réagir les censeurs des facultés de théologie de Louvain et de Paris. Quant à Luther, il ne sera pas plus indulgent.
Si l’université de Paris condamne les Colloques d’Érasme en 1529, un autre humaniste prend la relève, l’Espagnol Juan Luis Vivès (1492-1540). Ses Dialogues en latin de 1538 mettent aussi en place des saynètes vivantes autour de thèmes quotidiens. L’ouvrage, bientôt publié avec une traduction française en vis-à-vis (1560), est plébiscité dans les écoles et réédité pendant quatre siècles.
Pendant ce temps, sous la plume d’Érasme, le dialogue scolaire est devenu un espace où se déploient des convictions qu’on risque de payer de sa vie.
Ses Colloques abordent tout un éventail de thèmes qui font écho à d’autres écrits de sa plume : les soins à procurer aux nouveau-nés ; le besoin fondamental de jouer des enfants ; l’inanité des méthodes éducatives fondées sur la peur, l’intimidation ou les châtiments corporels.
La satire se fait plus virulente encore lorsqu’il est question de sujets à controverse : l’instruction des femmes, le mariage et les conditions de l’harmonie conjugale, la restauration des lettres antiques, la juste cause de l’hébraïsant allemand Johannes Reuchlin, la vraie piété, la vanité des règles monastiques et des pèlerinages, l’hypocrisie des princes de l’Église, ou encore le scandale des guerres entre chrétiens.
Les dialogues ou colloques scolaires : apprendre à converser en latin, mais pas seulement…
Dans les années 1520, alors qu’il est employé comme précepteur particulier, Érasme imagine de courts dialogues en latin pour initier son élève à l’art de la conversation, tout en lui faisant acquérir les rudiments de la langue. La scénographie de ces petites comédies en un acte est fort simple : deux personnages, qui ne se sont pas vus depuis longtemps, se rencontrent dans un lieu public et entament une discussion.
Il s’agit de compléter les cours de grammaire latine et les leçons de vocabulaire que les élèves reçoivent par ailleurs. Ces conversations latines, plus récréatives, sont symptomatiques de l’éducation humaniste. On n’a certainement pas attendu le XVIe siècle pour s’aviser que l’enfant apprenait mieux en s’amusant et qu’il est préférable de tourner les apprentissages sous forme de jeux. Mais ce sont des précepteurs acquis aux idées humanistes qui systématisent l’apprentissage ludique et progressif – une méthode qui utilise l’amour du jeu et le goût du concret chez l’enfant dans l’espoir de faire de lui un élève appliqué et, au bout du compte, un savant versé dans l’étude.
Érasme n’a pas inventé ce genre de l’entretien familier, utilisé dans l’Antiquité, mais il l’a perfectionné. Ses dialogues sont destinés à être expliqués d’abord en classe par un professeur, puis appris par cœur par les enfants qui peuvent aussi se distribuer les répliques.
Ces Formules (Familiarum colloquiorum formulæ) utilisent beaucoup le modèle des questions-réponses et amènent l’élève à enrichir et à varier son expression. Le latin est inculqué tout à fait comme une langue vivante. L’accent est mis sur les tournures courantes et les mots du quotidien. L’édition de 1522 est dédiée à un enfant de huit ans qui porte lui-même le prénom d’Erasmius et qui était le fils du célèbre imprimeur humaniste bâlois Froben.
Il est vrai que l’enfant promis à faire des études devait se préparer tôt à parler latin car à l’adolescence, il allait intégrer un collège d’humanités où il serait tenu de parler latin avec le régent et avec des condisciples qui sont d’ailleurs, parfois, de nationalité étrangère. Les collèges possédaient aussi des bibliothèques où l’élève allait trouver surtout des livres en latin. Et les spectacles de fin d’année sont, généralement, donnés en latin.
Réédités et augmentés, les entretiens familiers d’Érasme en latin rencontrent une grande fortune éditoriale, sont utilisés dans les écoles et sont traduits en français et dans d’autres langues européennes.
Érasme fait des émules chez les pédagogues réformés qui, chacun à sa manière, reprennent la formule. Érasme voulait former l’enfant à la fois à la langue latine et aux bonnes mœurs. Tel est aussi le projet de Sébastien Castellion (1515-1563) qui a dirigé le collège de Rive à Genève dans les années 1540. Ses Dialogues sacrés publiés à Genève en 1543 se concentrent sur l’instruction chrétienne et amènent l’enfant à se familiariser avec les figures majeures de l’Ancien Testament (tels Adam et Eve) qui sont imaginées en train de dialoguer. Ce sont de petites saynètes à faire jouer aux enfants pour leur apprendre le latin.
Quant à Mathurin Cordier (1479-1564), ce grammairien et professeur de rhétorique qui a été le premier maître de Calvin au collège de la Marche à Paris, puis qui a enseigné à Genève et à Lausanne, il est connu comme un pédagogue hors pair. À plus de quatre-vingts ans, il prépare des Colloques scolaires en latin qui paraissent l’année même de sa mort à Lyon en 1564. Ce pédagogue du latin vivant sait se mettre « à hauteur d’enfant » et se soucie à la fois de l’éducation morale et du bien-être (y compris corporel) de l’enfant. Le succès de son livre, rapidement édité en version bilingue latin-français, ne se dément pas jusqu’au XIXe siècle.
Comme l’Éloge de la Folie, publié en 1511, en a donné la preuve, Érasme manie à merveille l’art de traiter des questions sérieuses de manière enjouée et badine et sait mettre en scène des confrontations où s’expriment des points de vue divergents. Durant les dix années qui suivent la première édition de son recueil bâlois, il prolonge son ouvrage, au départ grammatical, pour en faire un recueil de « colloques » (Colloquia) plus ambitieux.
Les personnages en présence entament une conversation sur des sujets délicats, qui ne manqueront pas de faire réagir les censeurs des facultés de théologie de Louvain et de Paris. Quant à Luther, il ne sera pas plus indulgent.
Si l’université de Paris condamne les Colloques d’Érasme en 1529, un autre humaniste prend la relève, l’Espagnol Juan Luis Vivès (1492-1540). Ses Dialogues en latin de 1538 mettent aussi en place des saynètes vivantes autour de thèmes quotidiens. L’ouvrage, bientôt publié avec une traduction française en vis-à-vis (1560), est plébiscité dans les écoles et réédité pendant quatre siècles.
Pendant ce temps, sous la plume d’Érasme, le dialogue scolaire est devenu un espace où se déploient des convictions qu’on risque de payer de sa vie.
Ses Colloques abordent tout un éventail de thèmes qui font écho à d’autres écrits de sa plume : les soins à procurer aux nouveau-nés ; le besoin fondamental de jouer des enfants ; l’inanité des méthodes éducatives fondées sur la peur, l’intimidation ou les châtiments corporels.
La satire se fait plus virulente encore lorsqu’il est question de sujets à controverse : l’instruction des femmes, le mariage et les conditions de l’harmonie conjugale, la restauration des lettres antiques, la juste cause de l’hébraïsant allemand Johannes Reuchlin, la vraie piété, la vanité des règles monastiques et des pèlerinages, l’hypocrisie des princes de l’Église, ou encore le scandale des guerres entre chrétiens.
Les dialogues ou colloques scolaires : apprendre à converser en latin, mais pas seulement…
Dans les années 1520, alors qu’il est employé comme précepteur particulier, Érasme imagine de courts dialogues en latin pour initier son élève à l’art de la conversation, tout en lui faisant acquérir les rudiments de la langue. La scénographie de ces petites comédies en un acte est fort simple : deux personnages, qui ne se sont pas vus depuis longtemps, se rencontrent dans un lieu public et entament une discussion.
Il s’agit de compléter les cours de grammaire latine et les leçons de vocabulaire que les élèves reçoivent par ailleurs. Ces conversations latines, plus récréatives, sont symptomatiques de l’éducation humaniste. On n’a certainement pas attendu le XVIe siècle pour s’aviser que l’enfant apprenait mieux en s’amusant et qu’il est préférable de tourner les apprentissages sous forme de jeux. Mais ce sont des précepteurs acquis aux idées humanistes qui systématisent l’apprentissage ludique et progressif – une méthode qui utilise l’amour du jeu et le goût du concret chez l’enfant dans l’espoir de faire de lui un élève appliqué et, au bout du compte, un savant versé dans l’étude.
Érasme n’a pas inventé ce genre de l’entretien familier, utilisé dans l’Antiquité, mais il l’a perfectionné. Ses dialogues sont destinés à être expliqués d’abord en classe par un professeur, puis appris par cœur par les enfants qui peuvent aussi se distribuer les répliques.
Ces Formules (Familiarum colloquiorum formulæ) utilisent beaucoup le modèle des questions-réponses et amènent l’élève à enrichir et à varier son expression. Le latin est inculqué tout à fait comme une langue vivante. L’accent est mis sur les tournures courantes et les mots du quotidien. L’édition de 1522 est dédiée à un enfant de huit ans qui porte lui-même le prénom d’Erasmius et qui était le fils du célèbre imprimeur humaniste bâlois Froben.
Il est vrai que l’enfant promis à faire des études devait se préparer tôt à parler latin car à l’adolescence, il allait intégrer un collège d’humanités où il serait tenu de parler latin avec le régent et avec des condisciples qui sont d’ailleurs, parfois, de nationalité étrangère. Les collèges possédaient aussi des bibliothèques où l’élève allait trouver surtout des livres en latin. Et les spectacles de fin d’année sont, généralement, donnés en latin.
Réédités et augmentés, les entretiens familiers d’Érasme en latin rencontrent une grande fortune éditoriale, sont utilisés dans les écoles et sont traduits en français et dans d’autres langues européennes.
Érasme fait des émules chez les pédagogues réformés qui, chacun à sa manière, reprennent la formule. Érasme voulait former l’enfant à la fois à la langue latine et aux bonnes mœurs. Tel est aussi le projet de Sébastien Castellion (1515-1563) qui a dirigé le collège de Rive à Genève dans les années 1540. Ses Dialogues sacrés publiés à Genève en 1543 se concentrent sur l’instruction chrétienne et amènent l’enfant à se familiariser avec les figures majeures de l’Ancien Testament (tels Adam et Eve) qui sont imaginées en train de dialoguer. Ce sont de petites saynètes à faire jouer aux enfants pour leur apprendre le latin.
Quant à Mathurin Cordier (1479-1564), ce grammairien et professeur de rhétorique qui a été le premier maître de Calvin au collège de la Marche à Paris, puis qui a enseigné à Genève et à Lausanne, il est connu comme un pédagogue hors pair. À plus de quatre-vingts ans, il prépare des Colloques scolaires en latin qui paraissent l’année même de sa mort à Lyon en 1564. Ce pédagogue du latin vivant sait se mettre « à hauteur d’enfant » et se soucie à la fois de l’éducation morale et du bien-être (y compris corporel) de l’enfant. Le succès de son livre, rapidement édité en version bilingue latin-français, ne se dément pas jusqu’au XIXe siècle.
Comme l’Éloge de la Folie, publié en 1511, en a donné la preuve, Érasme manie à merveille l’art de traiter des questions sérieuses de manière enjouée et badine et sait mettre en scène des confrontations où s’expriment des points de vue divergents. Durant les dix années qui suivent la première édition de son recueil bâlois, il prolonge son ouvrage, au départ grammatical, pour en faire un recueil de « colloques » (Colloquia) plus ambitieux.
Les personnages en présence entament une conversation sur des sujets délicats, qui ne manqueront pas de faire réagir les censeurs des facultés de théologie de Louvain et de Paris. Quant à Luther, il ne sera pas plus indulgent.
Si l’université de Paris condamne les Colloques d’Érasme en 1529, un autre humaniste prend la relève, l’Espagnol Juan Luis Vivès (1492-1540). Ses Dialogues en latin de 1538 mettent aussi en place des saynètes vivantes autour de thèmes quotidiens. L’ouvrage, bientôt publié avec une traduction française en vis-à-vis (1560), est plébiscité dans les écoles et réédité pendant quatre siècles.
Pendant ce temps, sous la plume d’Érasme, le dialogue scolaire est devenu un espace où se déploient des convictions qu’on risque de payer de sa vie.
Ses Colloques abordent tout un éventail de thèmes qui font écho à d’autres écrits de sa plume : les soins à procurer aux nouveau-nés ; le besoin fondamental de jouer des enfants ; l’inanité des méthodes éducatives fondées sur la peur, l’intimidation ou les châtiments corporels.
La satire se fait plus virulente encore lorsqu’il est question de sujets à controverse : l’instruction des femmes, le mariage et les conditions de l’harmonie conjugale, la restauration des lettres antiques, la juste cause de l’hébraïsant allemand Johannes Reuchlin, la vraie piété, la vanité des règles monastiques et des pèlerinages, l’hypocrisie des princes de l’Église, ou encore le scandale des guerres entre chrétiens.
Les dialogues ou colloques scolaires : apprendre à converser en latin, mais pas seulement…
Dans les années 1520, alors qu’il est employé comme précepteur particulier, Érasme imagine de courts dialogues en latin pour initier son élève à l’art de la conversation, tout en lui faisant acquérir les rudiments de la langue. La scénographie de ces petites comédies en un acte est fort simple : deux personnages, qui ne se sont pas vus depuis longtemps, se rencontrent dans un lieu public et entament une discussion.
Il s’agit de compléter les cours de grammaire latine et les leçons de vocabulaire que les élèves reçoivent par ailleurs. Ces conversations latines, plus récréatives, sont symptomatiques de l’éducation humaniste. On n’a certainement pas attendu le XVIe siècle pour s’aviser que l’enfant apprenait mieux en s’amusant et qu’il est préférable de tourner les apprentissages sous forme de jeux. Mais ce sont des précepteurs acquis aux idées humanistes qui systématisent l’apprentissage ludique et progressif – une méthode qui utilise l’amour du jeu et le goût du concret chez l’enfant dans l’espoir de faire de lui un élève appliqué et, au bout du compte, un savant versé dans l’étude.
Érasme n’a pas inventé ce genre de l’entretien familier, utilisé dans l’Antiquité, mais il l’a perfectionné. Ses dialogues sont destinés à être expliqués d’abord en classe par un professeur, puis appris par cœur par les enfants qui peuvent aussi se distribuer les répliques.
Ces Formules (Familiarum colloquiorum formulæ) utilisent beaucoup le modèle des questions-réponses et amènent l’élève à enrichir et à varier son expression. Le latin est inculqué tout à fait comme une langue vivante. L’accent est mis sur les tournures courantes et les mots du quotidien. L’édition de 1522 est dédiée à un enfant de huit ans qui porte lui-même le prénom d’Erasmius et qui était le fils du célèbre imprimeur humaniste bâlois Froben.
Il est vrai que l’enfant promis à faire des études devait se préparer tôt à parler latin car à l’adolescence, il allait intégrer un collège d’humanités où il serait tenu de parler latin avec le régent et avec des condisciples qui sont d’ailleurs, parfois, de nationalité étrangère. Les collèges possédaient aussi des bibliothèques où l’élève allait trouver surtout des livres en latin. Et les spectacles de fin d’année sont, généralement, donnés en latin.
Réédités et augmentés, les entretiens familiers d’Érasme en latin rencontrent une grande fortune éditoriale, sont utilisés dans les écoles et sont traduits en français et dans d’autres langues européennes.
Érasme fait des émules chez les pédagogues réformés qui, chacun à sa manière, reprennent la formule. Érasme voulait former l’enfant à la fois à la langue latine et aux bonnes mœurs. Tel est aussi le projet de Sébastien Castellion (1515-1563) qui a dirigé le collège de Rive à Genève dans les années 1540. Ses Dialogues sacrés publiés à Genève en 1543 se concentrent sur l’instruction chrétienne et amènent l’enfant à se familiariser avec les figures majeures de l’Ancien Testament (tels Adam et Eve) qui sont imaginées en train de dialoguer. Ce sont de petites saynètes à faire jouer aux enfants pour leur apprendre le latin.
Quant à Mathurin Cordier (1479-1564), ce grammairien et professeur de rhétorique qui a été le premier maître de Calvin au collège de la Marche à Paris, puis qui a enseigné à Genève et à Lausanne, il est connu comme un pédagogue hors pair. À plus de quatre-vingts ans, il prépare des Colloques scolaires en latin qui paraissent l’année même de sa mort à Lyon en 1564. Ce pédagogue du latin vivant sait se mettre « à hauteur d’enfant » et se soucie à la fois de l’éducation morale et du bien-être (y compris corporel) de l’enfant. Le succès de son livre, rapidement édité en version bilingue latin-français, ne se dément pas jusqu’au XIXe siècle.
Comme l’Éloge de la Folie, publié en 1511, en a donné la preuve, Érasme manie à merveille l’art de traiter des questions sérieuses de manière enjouée et badine et sait mettre en scène des confrontations où s’expriment des points de vue divergents. Durant les dix années qui suivent la première édition de son recueil bâlois, il prolonge son ouvrage, au départ grammatical, pour en faire un recueil de « colloques » (Colloquia) plus ambitieux.
Les personnages en présence entament une conversation sur des sujets délicats, qui ne manqueront pas de faire réagir les censeurs des facultés de théologie de Louvain et de Paris. Quant à Luther, il ne sera pas plus indulgent.
Si l’université de Paris condamne les Colloques d’Érasme en 1529, un autre humaniste prend la relève, l’Espagnol Juan Luis Vivès (1492-1540). Ses Dialogues en latin de 1538 mettent aussi en place des saynètes vivantes autour de thèmes quotidiens. L’ouvrage, bientôt publié avec une traduction française en vis-à-vis (1560), est plébiscité dans les écoles et réédité pendant quatre siècles.
Pendant ce temps, sous la plume d’Érasme, le dialogue scolaire est devenu un espace où se déploient des convictions qu’on risque de payer de sa vie.
Ses Colloques abordent tout un éventail de thèmes qui font écho à d’autres écrits de sa plume : les soins à procurer aux nouveau-nés ; le besoin fondamental de jouer des enfants ; l’inanité des méthodes éducatives fondées sur la peur, l’intimidation ou les châtiments corporels.
La satire se fait plus virulente encore lorsqu’il est question de sujets à controverse : l’instruction des femmes, le mariage et les conditions de l’harmonie conjugale, la restauration des lettres antiques, la juste cause de l’hébraïsant allemand Johannes Reuchlin, la vraie piété, la vanité des règles monastiques et des pèlerinages, l’hypocrisie des princes de l’Église, ou encore le scandale des guerres entre chrétiens.