Chapitre I
L’ENFANT, UN ÊTRE À FORMER
NOUVEAUX LIEUX, NOUVELLES INSTITUTIONS
DES RÉGENTS ET D’ANCIENS ÉLÈVES TÉMOIGNENT
BIBLIOTHÈQUE SONORE
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Le grec ne suffit pas : du temps où la France hébraïsait
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Au temps de Rabelais, l’appétit de savoir est immense dans les milieux éclairés et la redécouverte des langues et des cultures anciennes suscite l’enthousiasme. Aux yeux des humanistes, qui sont avant tout des philologues (des spécialistes des langues), la connaissance du grec et du latin ne suffit pas pour être véritablement docte. L’apprentissage de l’hébreu et même des langues araméennes se diffuse dans les cercles chrétiens grâce à des savants comme le professeur réformé Jean Mercier ou le dominicain Sanctes Pagnino.
Rabelais salue les progrès de l’érudition lorsqu’il décrit le programme d’études encyclopédique visant à transformer le prince Pantagruel en « un abîme de science ». Le jeune géant est envoyé à Paris par son père pour étudier, entre autres, la médecine arabe et les langues orientales bibliques : l’hébreu, le syriaque et le chaldéen, c’est-à-dire l’araméen, langue parlée du Christ. Cet appétit pantagruélique pour les langues est à mettre en relation avec l’essor contemporain des études biblistes, avec la publication de dictionnaires polyglottes et avec la création du Collège royal.
C’est d’Allemagne et de Hollande qu’est venue la renaissance des langues sacrées. Le géographe, mathématicien et hébraïste Münster (1489-1552) est éduqué à Tübingen : sous l’influence de Luther, il se lance dans l’enseignement de l’hébreu et de l’araméen en vue de restituer les textes les plus authentiques de l’époque des Apôtres. Il nous donne le premier dictionnaire imprimé dans la langue appelée le chaldéen.
Quant à Johannes Reuchlin, l’oncle de Melanchthon, il se forme à l’hébreu en s’instruisant auprès de rabbins et publie les premières grammaires hébraïques en latin. Au-delà même de la grammaire, il étend sa curiosité à tous les aspects de la langue sacrée.
En France, une chaire d’hébreu est créée au Collège royal en 1530. On y vient écouter les leçons publiques d’un savant italien qui a fui le Sac de Rome, Guidacerio (1477-1542) et celles du grand Vatable (vers 1495-1547), qui n’est pas moins savant en grec qu’en hébreu.
L’enseignement du grec et de l’hébreu – des langues qui donnent accès aux Écritures dans le texte – se diffuse au sein de familles nobles de confession protestante. Après ses exploits précoces à domicile, Agrippa d’Aubigné, âgé d’à peine dix ans, quitte sa Saintonge natale pour rejoindre la pension parisienne ouverte par Mathieu Béroald (vers 1520-1576), un professeur d’humanités réputé, lui-même formé dans sa jeunesse au collège du cardinal Lemoine par son propre oncle, François Vatable. Mais Béroald et son brillant élève doivent bientôt fuir Paris : la guerre civile qui éclate en 1562 met brutalement un terme à une enfance bercée par les humanités.
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Dans cet cahier manuscrit (en latin) portant sur les principes de la grammaire hébraïque, l’alphabet hébreu est présenté avec la correspondance numérique des lettres (Aleph = 1, Beth = 2, etc.).
D. Rupertus Reginaldus, Grammatica hebraica brevis et accurata nova methodo et magis genuino ordino proposita [cahier de cours], XVIIe s. © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans, MS A 521 (Photo : NW)
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Un exemple de traduction du chaldéen en latin : la traduction par Jean Mercier (vers 1510 ?-1570) du court livre biblique d’Aggée (un des Petits Prophètes).
Chaldaea translatio Haggaei prophetae, recèns latinitate donata cum scholiis haud infrugiferis per Johannem Mercerum, Paris, M. Le Jeune, 1551 (frontispice) © BnF/Gallica
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Dans cette édition savante, le texte et sa traduction figurent sur deux colonnes en vis-à-vis. Il s’agit de l’extrait de la dernière page du texte (chap. 2, verset 22) : « Je mettrai sens dessus dessous le trône des royaumes, je détruirai la puissance des empires des nations […]. »
Chaldaea translatio Haggaei prophetae, recèns latinitate donata cum scholiis haud infrugiferis per Johannem Mercerum, Paris, M. Le Jeune, 1551 © BnF/Gallica
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Sanctes Pagnino (1470-1541) est un éminent bibliste du XVIe siècle, auteur d’un Trésor de la langue sacrée (en latin et hébreu) très diffusé dans les milieux savants. Ici, la page finale, avec une annotation manuscrite (1694, congrégation des frères mauristes de l’abbaye Saint-Vincent au Mans).
Hoc est thesaurus linguae sanctæ. Sic enim inscribere placuit lexicon hoc Hebraicum etc., autore Sant. Pagnino, Lyon, S. Gryphe, 1529 (frontispice) © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Cette Porte des langues saintes est un dictionnaire trilingue hébreu-latin-grec utile pour les études biblistes.
Paul-Martin Alberti, Porta Linguae sanctae hoc est lexicon novum hebraeo-latino-biblicum, Bautzen, F. Arnst, 1704 © Prytanée National Militaire (Photo : Sylvie Tisserand)
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Johannes Reuchlin de Pforzheim (1455-1522) est l’auteur d’un des premiers ouvrages (en latin) de la Renaissance enseignant les rudiments de l’hébreu (1506). Voici la marque de l’imprimeur Thomas Anshelm (1465-1523), qui a d’abord exercé à Pforzheim et a publié le De rudimentis hebraicis libri tres en avril 1506 à Haguenau (Bas-Rhin).
Joh. Reuchlini Phorcens. de rudimentis hebraicis libri tres, Haguenau, Th. Anshelm, 1506 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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La dernière page du De rudimentis hebraicis libri tres de Reuchlin, avec des caractères imprimés imitant les cursives hébraïques.
Joh. Reuchlini Phorcens. de rudimentis hebraicis libri tres, Haguenau, Th. Anshelm, 1506 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Une page du troisième livre du De rudimentis hebraicis libri tres de Reuchlin, sur des locutions de temps et de lieux en hébreu (avec traduction latine).
Joh. Reuchlini Phorcens. de rudimentis hebraicis libri tres, Haguenau, Th. Anshelm, 1506, p. 616 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Au-delà de la langue et de la grammaire hébraïque, les spécialistes s’intéressent même à la musique liturgique et à sa transcription comme le montre cet exemple de la transcription de la musique liturgique (ashkénaze) dans la grammaire hébraïque de Reuchlin.
Johannes Reuchlin, De Accentibus et orthographia linguæ hebraicæ, a Joh. Reuchlino, libri tres, Haguenau, Th. Anshelm, 1518, f. XII r° © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Agacio Guidacerio (Agathius Guidacerius) fut professeur d’hébreu à Rome avant de se réfugier en Avignon et à Paris. Cet Alphabet hébraïque de 1533 pourrait avoir été la base de l’enseignement de l’hébreu au Collège royal où il professa de 1530 à 1540. Sur la page de titre, la découpe du papier – qui laisse apparaître une partie de la page suivante – vise probablement à retirer le nom du propriétaire de l’exemplaire, au temps où la possession de livres hébraïques pouvait rendre suspect de sympathies réformées.
Alphabetum Hebraicum. Adjectus est et Abdias propheta, ut habeat linguae Sanctae candidatus in quo se exerceat, Paris, Chr. Wechel, 1533 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Préface d’Agathius au Lecteur et présentation de l’alphabet hébraïque.
Alphabetum Hebraicum. Adjectus est et Abdias propheta, ut habeat linguae Sanctae candidatus in quo se exerceat, Paris, Chr. Wechel, 1533 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Le grec ne suffit pas : du temps où la France hébraïsait
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Au temps de Rabelais, l’appétit de savoir est immense dans les milieux éclairés et la redécouverte des langues et des cultures anciennes suscite l’enthousiasme. Aux yeux des humanistes, qui sont avant tout des philologues (des spécialistes des langues), la connaissance du grec et du latin ne suffit pas pour être véritablement docte. L’apprentissage de l’hébreu et même des langues araméennes se diffuse dans les cercles chrétiens grâce à des savants comme le professeur réformé Jean Mercier ou le dominicain Sanctes Pagnino.
Rabelais salue les progrès de l’érudition lorsqu’il décrit le programme d’études encyclopédique visant à transformer le prince Pantagruel en « un abîme de science ». Le jeune géant est envoyé à Paris par son père pour étudier, entre autres, la médecine arabe et les langues orientales bibliques : l’hébreu, le syriaque et le chaldéen, c’est-à-dire l’araméen, langue parlée du Christ. Cet appétit pantagruélique pour les langues est à mettre en relation avec l’essor contemporain des études biblistes, avec la publication de dictionnaires polyglottes et avec la création du Collège royal.
C’est d’Allemagne et de Hollande qu’est venue la renaissance des langues sacrées. Le géographe, mathématicien et hébraïste Münster (1489-1552) est éduqué à Tübingen : sous l’influence de Luther, il se lance dans l’enseignement de l’hébreu et de l’araméen en vue de restituer les textes les plus authentiques de l’époque des Apôtres. Il nous donne le premier dictionnaire imprimé dans la langue appelée le chaldéen.
Quant à Johannes Reuchlin, l’oncle de Melanchthon, il se forme à l’hébreu en s’instruisant auprès de rabbins et publie les premières grammaires hébraïques en latin. Au-delà même de la grammaire, il étend sa curiosité à tous les aspects de la langue sacrée.
En France, une chaire d’hébreu est créée au Collège royal en 1530. On y vient écouter les leçons publiques d’un savant italien qui a fui le Sac de Rome, Guidacerio (1477-1542) et celles du grand Vatable (vers 1495-1547), qui n’est pas moins savant en grec qu’en hébreu.
L’enseignement du grec et de l’hébreu – des langues qui donnent accès aux Écritures dans le texte – se diffuse au sein de familles nobles de confession protestante. Après ses exploits précoces à domicile, Agrippa d’Aubigné, âgé d’à peine dix ans, quitte sa Saintonge natale pour rejoindre la pension parisienne ouverte par Mathieu Béroald (vers 1520-1576), un professeur d’humanités réputé, lui-même formé dans sa jeunesse au collège du cardinal Lemoine par son propre oncle, François Vatable. Mais Béroald et son brillant élève doivent bientôt fuir Paris : la guerre civile qui éclate en 1562 met brutalement un terme à une enfance bercée par les humanités.
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Dans cet cahier manuscrit (en latin) portant sur les principes de la grammaire hébraïque, l’alphabet hébreu est présenté avec la correspondance numérique des lettres (Aleph = 1, Beth = 2, etc.).
D. Rupertus Reginaldus, Grammatica hebraica brevis et accurata nova methodo et magis genuino ordino proposita [cahier de cours], XVIIe s. © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans, MS A 521 (Photo : NW)
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Un exemple de traduction du chaldéen en latin : la traduction par Jean Mercier (vers 1510 ?-1570) du court livre biblique d’Aggée (un des Petits Prophètes).
Chaldaea translatio Haggaei prophetae, recèns latinitate donata cum scholiis haud infrugiferis per Johannem Mercerum, Paris, M. Le Jeune, 1551 (frontispice) © BnF/Gallica
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Dans cette édition savante, le texte et sa traduction figurent sur deux colonnes en vis-à-vis. Il s’agit de l’extrait de la dernière page du texte (chap. 2, verset 22) : « Je mettrai sens dessus dessous le trône des royaumes, je détruirai la puissance des empires des nations […]. »
Chaldaea translatio Haggaei prophetae, recèns latinitate donata cum scholiis haud infrugiferis per Johannem Mercerum, Paris, M. Le Jeune, 1551 © BnF/Gallica
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Sanctes Pagnino (1470-1541) est un éminent bibliste du XVIe siècle, auteur d’un Trésor de la langue sacrée (en latin et hébreu) très diffusé dans les milieux savants. Ici, la page finale, avec une annotation manuscrite (1694, congrégation des frères mauristes de l’abbaye Saint-Vincent au Mans).
Hoc est thesaurus linguae sanctæ. Sic enim inscribere placuit lexicon hoc Hebraicum etc., autore Sant. Pagnino, Lyon, S. Gryphe, 1529 (frontispice) © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Cette Porte des langues saintes est un dictionnaire trilingue hébreu-latin-grec utile pour les études biblistes.
Paul-Martin Alberti, Porta Linguae sanctae hoc est lexicon novum hebraeo-latino-biblicum, Bautzen, F. Arnst, 1704 © Prytanée National Militaire (Photo : Sylvie Tisserand)
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Johannes Reuchlin de Pforzheim (1455-1522) est l’auteur d’un des premiers ouvrages (en latin) de la Renaissance enseignant les rudiments de l’hébreu (1506). Voici la marque de l’imprimeur Thomas Anshelm (1465-1523), qui a d’abord exercé à Pforzheim et a publié le De rudimentis hebraicis libri tres en avril 1506 à Haguenau (Bas-Rhin).
Joh. Reuchlini Phorcens. de rudimentis hebraicis libri tres, Haguenau, Th. Anshelm, 1506 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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La dernière page du De rudimentis hebraicis libri tres de Reuchlin, avec des caractères imprimés imitant les cursives hébraïques.
Joh. Reuchlini Phorcens. de rudimentis hebraicis libri tres, Haguenau, Th. Anshelm, 1506 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Une page du troisième livre du De rudimentis hebraicis libri tres de Reuchlin, sur des locutions de temps et de lieux en hébreu (avec traduction latine).
Joh. Reuchlini Phorcens. de rudimentis hebraicis libri tres, Haguenau, Th. Anshelm, 1506, p. 616 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Au-delà de la langue et de la grammaire hébraïque, les spécialistes s’intéressent même à la musique liturgique et à sa transcription comme le montre cet exemple de la transcription de la musique liturgique (ashkénaze) dans la grammaire hébraïque de Reuchlin.
Johannes Reuchlin, De Accentibus et orthographia linguæ hebraicæ, a Joh. Reuchlino, libri tres, Haguenau, Th. Anshelm, 1518, f. XII r° © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Agacio Guidacerio (Agathius Guidacerius) fut professeur d’hébreu à Rome avant de se réfugier en Avignon et à Paris. Cet Alphabet hébraïque de 1533 pourrait avoir été la base de l’enseignement de l’hébreu au Collège royal où il professa de 1530 à 1540. Sur la page de titre, la découpe du papier – qui laisse apparaître une partie de la page suivante – vise probablement à retirer le nom du propriétaire de l’exemplaire, au temps où la possession de livres hébraïques pouvait rendre suspect de sympathies réformées.
Alphabetum Hebraicum. Adjectus est et Abdias propheta, ut habeat linguae Sanctae candidatus in quo se exerceat, Paris, Chr. Wechel, 1533 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Préface d’Agathius au Lecteur et présentation de l’alphabet hébraïque.
Alphabetum Hebraicum. Adjectus est et Abdias propheta, ut habeat linguae Sanctae candidatus in quo se exerceat, Paris, Chr. Wechel, 1533 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Au temps de Rabelais, l’appétit de savoir est immense dans les milieux éclairés et la redécouverte des langues et des cultures anciennes suscite l’enthousiasme. Aux yeux des humanistes, qui sont avant tout des philologues (des spécialistes des langues), la connaissance du grec et du latin ne suffit pas pour être véritablement docte. L’apprentissage de l’hébreu et même des langues araméennes se diffuse dans les cercles chrétiens grâce à des savants comme le professeur réformé Jean Mercier ou le dominicain Sanctes Pagnino.
Rabelais salue les progrès de l’érudition lorsqu’il décrit le programme d’études encyclopédique visant à transformer le prince Pantagruel en « un abîme de science ». Le jeune géant est envoyé à Paris par son père pour étudier, entre autres, la médecine arabe et les langues orientales bibliques : l’hébreu, le syriaque et le chaldéen, c’est-à-dire l’araméen, langue parlée du Christ. Cet appétit pantagruélique pour les langues est à mettre en relation avec l’essor contemporain des études biblistes, avec la publication de dictionnaires polyglottes et avec la création du Collège royal.
C’est d’Allemagne et de Hollande qu’est venue la renaissance des langues sacrées. Le géographe, mathématicien et hébraïste Münster (1489-1552) est éduqué à Tübingen : sous l’influence de Luther, il se lance dans l’enseignement de l’hébreu et de l’araméen en vue de restituer les textes les plus authentiques de l’époque des Apôtres. Il nous donne le premier dictionnaire imprimé dans la langue appelée le chaldéen.
Quant à Johannes Reuchlin, l’oncle de Melanchthon, il se forme à l’hébreu en s’instruisant auprès de rabbins et publie les premières grammaires hébraïques en latin. Au-delà même de la grammaire, il étend sa curiosité à tous les aspects de la langue sacrée.
En France, une chaire d’hébreu est créée au Collège royal en 1530. On y vient écouter les leçons publiques d’un savant italien qui a fui le Sac de Rome, Guidacerio (1477-1542) et celles du grand Vatable (vers 1495-1547), qui n’est pas moins savant en grec qu’en hébreu.
L’enseignement du grec et de l’hébreu – des langues qui donnent accès aux Écritures dans le texte – se diffuse au sein de familles nobles de confession protestante. Après ses exploits précoces à domicile, Agrippa d’Aubigné, âgé d’à peine dix ans, quitte sa Saintonge natale pour rejoindre la pension parisienne ouverte par Mathieu Béroald (vers 1520-1576), un professeur d’humanités réputé, lui-même formé dans sa jeunesse au collège du cardinal Lemoine par son propre oncle, François Vatable. Mais Béroald et son brillant élève doivent bientôt fuir Paris : la guerre civile qui éclate en 1562 met brutalement un terme à une enfance bercée par les humanités.
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Dans cet cahier manuscrit (en latin) portant sur les principes de la grammaire hébraïque, l’alphabet hébreu est présenté avec la correspondance numérique des lettres (Aleph = 1, Beth = 2, etc.).
D. Rupertus Reginaldus, Grammatica hebraica brevis et accurata nova methodo et magis genuino ordino proposita [cahier de cours], XVIIe s. © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans, MS A 521 (Photo : NW)
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Un exemple de traduction du chaldéen en latin : la traduction par Jean Mercier (vers 1510 ?-1570) du court livre biblique d’Aggée (un des Petits Prophètes).
Chaldaea translatio Haggaei prophetae, recèns latinitate donata cum scholiis haud infrugiferis per Johannem Mercerum, Paris, M. Le Jeune, 1551 (frontispice) © BnF/Gallica
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Dans cette édition savante, le texte et sa traduction figurent sur deux colonnes en vis-à-vis. Il s’agit de l’extrait de la dernière page du texte (chap. 2, verset 22) : « Je mettrai sens dessus dessous le trône des royaumes, je détruirai la puissance des empires des nations […]. »
Chaldaea translatio Haggaei prophetae, recèns latinitate donata cum scholiis haud infrugiferis per Johannem Mercerum, Paris, M. Le Jeune, 1551 © BnF/Gallica
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Sanctes Pagnino (1470-1541) est un éminent bibliste du XVIe siècle, auteur d’un Trésor de la langue sacrée (en latin et hébreu) très diffusé dans les milieux savants. Ici, la page finale, avec une annotation manuscrite (1694, congrégation des frères mauristes de l’abbaye Saint-Vincent au Mans).
Hoc est thesaurus linguae sanctæ. Sic enim inscribere placuit lexicon hoc Hebraicum etc., autore Sant. Pagnino, Lyon, S. Gryphe, 1529 (frontispice) © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Cette Porte des langues saintes est un dictionnaire trilingue hébreu-latin-grec utile pour les études biblistes.
Paul-Martin Alberti, Porta Linguae sanctae hoc est lexicon novum hebraeo-latino-biblicum, Bautzen, F. Arnst, 1704 © Prytanée National Militaire (Photo : Sylvie Tisserand)
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Johannes Reuchlin de Pforzheim (1455-1522) est l’auteur d’un des premiers ouvrages (en latin) de la Renaissance enseignant les rudiments de l’hébreu (1506). Voici la marque de l’imprimeur Thomas Anshelm (1465-1523), qui a d’abord exercé à Pforzheim et a publié le De rudimentis hebraicis libri tres en avril 1506 à Haguenau (Bas-Rhin).
Joh. Reuchlini Phorcens. de rudimentis hebraicis libri tres, Haguenau, Th. Anshelm, 1506 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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La dernière page du De rudimentis hebraicis libri tres de Reuchlin, avec des caractères imprimés imitant les cursives hébraïques.
Joh. Reuchlini Phorcens. de rudimentis hebraicis libri tres, Haguenau, Th. Anshelm, 1506 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Une page du troisième livre du De rudimentis hebraicis libri tres de Reuchlin, sur des locutions de temps et de lieux en hébreu (avec traduction latine).
Joh. Reuchlini Phorcens. de rudimentis hebraicis libri tres, Haguenau, Th. Anshelm, 1506, p. 616 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Au-delà de la langue et de la grammaire hébraïque, les spécialistes s’intéressent même à la musique liturgique et à sa transcription comme le montre cet exemple de la transcription de la musique liturgique (ashkénaze) dans la grammaire hébraïque de Reuchlin.
Johannes Reuchlin, De Accentibus et orthographia linguæ hebraicæ, a Joh. Reuchlino, libri tres, Haguenau, Th. Anshelm, 1518, f. XII r° © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Agacio Guidacerio (Agathius Guidacerius) fut professeur d’hébreu à Rome avant de se réfugier en Avignon et à Paris. Cet Alphabet hébraïque de 1533 pourrait avoir été la base de l’enseignement de l’hébreu au Collège royal où il professa de 1530 à 1540. Sur la page de titre, la découpe du papier – qui laisse apparaître une partie de la page suivante – vise probablement à retirer le nom du propriétaire de l’exemplaire, au temps où la possession de livres hébraïques pouvait rendre suspect de sympathies réformées.
Alphabetum Hebraicum. Adjectus est et Abdias propheta, ut habeat linguae Sanctae candidatus in quo se exerceat, Paris, Chr. Wechel, 1533 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Préface d’Agathius au Lecteur et présentation de l’alphabet hébraïque.
Alphabetum Hebraicum. Adjectus est et Abdias propheta, ut habeat linguae Sanctae candidatus in quo se exerceat, Paris, Chr. Wechel, 1533 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Le grec ne suffit pas : du temps où la France hébraïsait
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Au temps de Rabelais, l’appétit de savoir est immense dans les milieux éclairés et la redécouverte des langues et des cultures anciennes suscite l’enthousiasme. Aux yeux des humanistes, qui sont avant tout des philologues (des spécialistes des langues), la connaissance du grec et du latin ne suffit pas pour être véritablement docte. L’apprentissage de l’hébreu et même des langues araméennes se diffuse dans les cercles chrétiens grâce à des savants comme le professeur réformé Jean Mercier ou le dominicain Sanctes Pagnino.
Rabelais salue les progrès de l’érudition lorsqu’il décrit le programme d’études encyclopédique visant à transformer le prince Pantagruel en « un abîme de science ». Le jeune géant est envoyé à Paris par son père pour étudier, entre autres, la médecine arabe et les langues orientales bibliques : l’hébreu, le syriaque et le chaldéen, c’est-à-dire l’araméen, langue parlée du Christ. Cet appétit pantagruélique pour les langues est à mettre en relation avec l’essor contemporain des études biblistes, avec la publication de dictionnaires polyglottes et avec la création du Collège royal.
C’est d’Allemagne et de Hollande qu’est venue la renaissance des langues sacrées. Le géographe, mathématicien et hébraïste Münster (1489-1552) est éduqué à Tübingen : sous l’influence de Luther, il se lance dans l’enseignement de l’hébreu et de l’araméen en vue de restituer les textes les plus authentiques de l’époque des Apôtres. Il nous donne le premier dictionnaire imprimé dans la langue appelée le chaldéen.
Quant à Johannes Reuchlin, l’oncle de Melanchthon, il se forme à l’hébreu en s’instruisant auprès de rabbins et publie les premières grammaires hébraïques en latin. Au-delà même de la grammaire, il étend sa curiosité à tous les aspects de la langue sacrée.
En France, une chaire d’hébreu est créée au Collège royal en 1530. On y vient écouter les leçons publiques d’un savant italien qui a fui le Sac de Rome, Guidacerio (1477-1542) et celles du grand Vatable (vers 1495-1547), qui n’est pas moins savant en grec qu’en hébreu.
L’enseignement du grec et de l’hébreu – des langues qui donnent accès aux Écritures dans le texte – se diffuse au sein de familles nobles de confession protestante. Après ses exploits précoces à domicile, Agrippa d’Aubigné, âgé d’à peine dix ans, quitte sa Saintonge natale pour rejoindre la pension parisienne ouverte par Mathieu Béroald (vers 1520-1576), un professeur d’humanités réputé, lui-même formé dans sa jeunesse au collège du cardinal Lemoine par son propre oncle, François Vatable. Mais Béroald et son brillant élève doivent bientôt fuir Paris : la guerre civile qui éclate en 1562 met brutalement un terme à une enfance bercée par les humanités.
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Dans cet cahier manuscrit (en latin) portant sur les principes de la grammaire hébraïque, l’alphabet hébreu est présenté avec la correspondance numérique des lettres (Aleph = 1, Beth = 2, etc.).
D. Rupertus Reginaldus, Grammatica hebraica brevis et accurata nova methodo et magis genuino ordino proposita [cahier de cours], XVIIe s. © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans, MS A 521 (Photo : NW)
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Un exemple de traduction du chaldéen en latin : la traduction par Jean Mercier (vers 1510 ?-1570) du court livre biblique d’Aggée (un des Petits Prophètes).
Chaldaea translatio Haggaei prophetae, recèns latinitate donata cum scholiis haud infrugiferis per Johannem Mercerum, Paris, M. Le Jeune, 1551 (frontispice) © BnF/Gallica
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Dans cette édition savante, le texte et sa traduction figurent sur deux colonnes en vis-à-vis. Il s’agit de l’extrait de la dernière page du texte (chap. 2, verset 22) : « Je mettrai sens dessus dessous le trône des royaumes, je détruirai la puissance des empires des nations […]. »
Chaldaea translatio Haggaei prophetae, recèns latinitate donata cum scholiis haud infrugiferis per Johannem Mercerum, Paris, M. Le Jeune, 1551 © BnF/Gallica
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Sanctes Pagnino (1470-1541) est un éminent bibliste du XVIe siècle, auteur d’un Trésor de la langue sacrée (en latin et hébreu) très diffusé dans les milieux savants. Ici, la page finale, avec une annotation manuscrite (1694, congrégation des frères mauristes de l’abbaye Saint-Vincent au Mans).
Hoc est thesaurus linguae sanctæ. Sic enim inscribere placuit lexicon hoc Hebraicum etc., autore Sant. Pagnino, Lyon, S. Gryphe, 1529 (frontispice) © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Paul-Martin Alberti, Porta Linguae sanctae hoc est lexicon novum hebraeo-latino-biblicum, Bautzen, F. Arnst, 1704 © Prytanée National Militaire (Photo : Sylvie Tisserand)
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Johannes Reuchlin de Pforzheim (1455-1522) est l’auteur d’un des premiers ouvrages (en latin) de la Renaissance enseignant les rudiments de l’hébreu (1506). Voici la marque de l’imprimeur Thomas Anshelm (1465-1523), qui a d’abord exercé à Pforzheim et a publié le De rudimentis hebraicis libri tres en avril 1506 à Haguenau (Bas-Rhin).
Joh. Reuchlini Phorcens. de rudimentis hebraicis libri tres, Haguenau, Th. Anshelm, 1506 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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La dernière page du De rudimentis hebraicis libri tres de Reuchlin, avec des caractères imprimés imitant les cursives hébraïques.
Joh. Reuchlini Phorcens. de rudimentis hebraicis libri tres, Haguenau, Th. Anshelm, 1506 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Une page du troisième livre du De rudimentis hebraicis libri tres de Reuchlin, sur des locutions de temps et de lieux en hébreu (avec traduction latine).
Joh. Reuchlini Phorcens. de rudimentis hebraicis libri tres, Haguenau, Th. Anshelm, 1506, p. 616 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Au-delà de la langue et de la grammaire hébraïque, les spécialistes s’intéressent même à la musique liturgique et à sa transcription comme le montre cet exemple de la transcription de la musique liturgique (ashkénaze) dans la grammaire hébraïque de Reuchlin.
Johannes Reuchlin, De Accentibus et orthographia linguæ hebraicæ, a Joh. Reuchlino, libri tres, Haguenau, Th. Anshelm, 1518, f. XII r° © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Agacio Guidacerio (Agathius Guidacerius) fut professeur d’hébreu à Rome avant de se réfugier en Avignon et à Paris. Cet Alphabet hébraïque de 1533 pourrait avoir été la base de l’enseignement de l’hébreu au Collège royal où il professa de 1530 à 1540. Sur la page de titre, la découpe du papier – qui laisse apparaître une partie de la page suivante – vise probablement à retirer le nom du propriétaire de l’exemplaire, au temps où la possession de livres hébraïques pouvait rendre suspect de sympathies réformées.
Alphabetum Hebraicum. Adjectus est et Abdias propheta, ut habeat linguae Sanctae candidatus in quo se exerceat, Paris, Chr. Wechel, 1533 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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Préface d’Agathius au Lecteur et présentation de l’alphabet hébraïque.
Alphabetum Hebraicum. Adjectus est et Abdias propheta, ut habeat linguae Sanctae candidatus in quo se exerceat, Paris, Chr. Wechel, 1533 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : PL)
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