Chapitre I
L’ENFANT, UN ÊTRE À FORMER
NOUVEAUX LIEUX, NOUVELLES INSTITUTIONS
DES RÉGENTS ET D’ANCIENS ÉLÈVES TÉMOIGNENT
BIBLIOTHÈQUE SONORE

Mentor : une éducation à la vertu

Comment les auteurs classiques représentent-ils les précepteurs ? Dans ses Aventures de Télémaque (1699), roman d’apprentissage jouissant d’un succès inouï pendant deux siècles, Fénelon développe particulièrement le personnage de Mentor, emprunté à l’Odyssée. Le nom propre de ce personnage de fiction deviendra d’ailleurs un nom commun au cours du XVIIIe siècle.
Chez Homère, Mentor servait déjà de précepteur à Télémaque et l’incitait à se mettre en quête de son père Ulysse au moment où les prétendants pressaient Pénélope de se choisir un nouvel époux. Fénelon, lui, écrit son roman pour le duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV destiné à régner, ainsi que pour ses jeunes frères dont il a aussi la charge en tant que précepteur.
Fénelon continue la tradition du « miroir des princes ». Son roman transforme le périple de Télémaque à la recherche de son père en un itinéraire le rendant digne de la royauté. Cela va de pair avec un apprentissage de la vertu : le lecteur saura décoder les allusions à la culture antique païenne, qui sont à transposer vers les valeurs et le monde chrétiens.
Mentor joue donc un rôle essentiel, celui de guide promouvant les valeurs que doit porter un roi selon Fénelon. La première de ces valeurs est la paix. Mentor vient aussi apporter son aide quand il s’agit d’édicter des lois et des règlements. Il ne manque pas, dans ses prescriptions, de faire une place précise à la culture et aux beaux-arts. Enfin, il protège Télémaque et lui apporte son aide, comme la déesse de la sagesse Minerve-Athéna le faisait pour son père dans l’Odyssée. Mais avec lui, la sagesse devient aussi morale et spirituelle et il finit par révéler son identité divine à son élève.
Qui est véritablement Mentor : un ancien plein de sagesse ? Un précepteur modèle ? Un père de substitution ? Un peu tout cela. Sous ses habits de sage vieillard, Mentor ne manque pas d’énergie. Il joue, certes, du fait de l’absence d’Ulysse, un rôle de substitut paternel, mais son affection pour son élève demeure discrète. Ses conseils bienveillants font parfois place à des remontrances et il lui arrive d’imposer des frustrations dans l’immédiat.
Ainsi, au début du roman, quand les habitants de la Crète proposent à Télémaque de devenir leur souverain, Mentor empêche son élève, à vrai dire flatté et assez tenté, d’accepter cette proposition qui le détournerait de sa double quête : partir à la recherche de son père Ulysse et conquérir le trône d’Ithaque. Et c’est même en utilisant la force que Mentor évacue Télémaque de l’île de Calypso où la passion amoureuse pour une nymphe risquait de lui faire oublier sa mission.
Au bout de cette éducation, l’élève devra être en mesure de réfléchir, d’appliquer et de tenir seul. N’est-ce pas là, en fin de compte, le but de toute éducation ? Ainsi, certains épisodes mettent en scène une séparation de l’élève et du maître, d’abord accidentelle et douloureuse, puis – un peu plus loin dans le roman et dans la progression du jeune homme – volontaire et mieux réfléchie. Malgré les erreurs commises en ces occasions, se met doucement en place un apprentissage de l’autonomie. C’est la disparition du précepteur qui est ainsi programmée.


Dans cette première édition officielle du roman, l’illustration du livre XI produit un écart entre la légende et l’image : si Télémaque a la première place dans la légende, c’est Mentor, avec son rameau sur l’axe médian, qui occupe la place la plus visible de l’illustration.
« Telemaque et Mentor proposent la paix », dans Fénelon, Les Avantures [sic] de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, F. Delaulne, 1717, t. 1, Livre XI, entre p. 398 et p. 399 © BnF/Gallica

Dans une nouvelle édition du roman de 1730, l’illustration qui correspond au livre XII montre comment Mentor apporte son aide non pas à Télémaque mais à Idoménée, roi de Crète arrogant : si l’âge plus avancé de ce dernier aurait dû l’exempter de l’aide d’un précepteur, ses nombreuses erreurs rendent les leçons encore nécessaires.
« Mentor fait faire à Idomenée des Reglemens pour le Commerce, les Arts, et la Police dans Salante », dans Fénelon, Les Avantures [sic] de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, Veuve Delaulne, 1730, t. 1, Livre XII, p. 252 © BnF/Gallica

Parmi les conseils que dispense Mentor à ses élèves princiers, les beaux-arts ne sont pas négligés.
« Academie des Beaux-arts érigée par Mentor », dans Fénelon, Les Avantures [sic] de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, F. Delaulne, 1717, t. 1, Livre XII, entre p. 428 et p. 429 © BnF/Gallica

Dans son manuscrit autographe, Fénelon a régulièrement remplacé le nom de la déesse Minerve par celui, plus humain et plus proche de Télémaque, de Mentor.
Manuscrit autographe des Aventures de Télémaque © BnF/Gallica, Français 14944

Tandis que Télémaque décline l’offre de la couronne crétoise sous la pression de Mentor, ce dernier n’a aucun mal à la repousser quand elle lui est faite et trouve lui-même parmi les Crétois un sage digne d’exercer cette exigeante charge : l’illustration magnifie le rôle de Mentor dans une scène de couronnement.
« Telemaque et Mentor refusent la royauté de Crète et font couronner Aristodême », dans Fénelon, Les Avantures [sic] de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, Veuve Delaulne, 1730, Livre VI, p. 116 © BnF/Gallica

C’est parce qu’il désespère de pouvoir ramener Télémaque à la raison que Mentor emploie la manière forte pour le faire échapper au charme de la nymphe Eucharis et à l’emprise perverse qu’exerce l’île de Calypso.
« Mentor jette Telemaque dans la mer et s’y precipite avec lui ; pour s’échaper de l’Ille de Calypso », dans Fénelon, Les Avantures [sic] de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, Veuve Delaulne, 1730, t. 1, Livre VII, entre p. 222 et p. 223 © BnF/Gallica

Entre la tentation qu’incarne au début du roman Calypso (comme cela avait été le cas pour Ulysse) et le sens de la vertu et du devoir qu’incarne Mentor, Télémaque fera peu à peu son choix.
Ottaviano Mascherini, « Trois figures : Calypso, Télémaque et Mentor », XVIe-XVIIe s. © Musée du Louvre, département des Arts graphiques, Dist. RMN / Réunion des musées nationaux

Ce frontispice donne au guide de Télémaque les traits de Minerve et non de Mentor. Tandis que la déesse de la sagesse conduit vers la vertu, cette illustration qui ouvre le deuxième temps des aventures de Télémaque semble préparer la disparition progressive du précepteur.
Fénelon, Les Avantures de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, F. Delaulne, 1717, t. 2 (frontispice) © BnF/Gallica

Mentor : une éducation à la vertu

Comment les auteurs classiques représentent-ils les précepteurs ? Dans ses Aventures de Télémaque (1699), roman d’apprentissage jouissant d’un succès inouï pendant deux siècles, Fénelon développe particulièrement le personnage de Mentor, emprunté à l’Odyssée. Le nom propre de ce personnage de fiction deviendra d’ailleurs un nom commun au cours du XVIIIe siècle.
Chez Homère, Mentor servait déjà de précepteur à Télémaque et l’incitait à se mettre en quête de son père Ulysse au moment où les prétendants pressaient Pénélope de se choisir un nouvel époux. Fénelon, lui, écrit son roman pour le duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV destiné à régner, ainsi que pour ses jeunes frères dont il a aussi la charge en tant que précepteur.
Fénelon continue la tradition du « miroir des princes ». Son roman transforme le périple de Télémaque à la recherche de son père en un itinéraire le rendant digne de la royauté. Cela va de pair avec un apprentissage de la vertu : le lecteur saura décoder les allusions à la culture antique païenne, qui sont à transposer vers les valeurs et le monde chrétiens.
Mentor joue donc un rôle essentiel, celui de guide promouvant les valeurs que doit porter un roi selon Fénelon. La première de ces valeurs est la paix. Mentor vient aussi apporter son aide quand il s’agit d’édicter des lois et des règlements. Il ne manque pas, dans ses prescriptions, de faire une place précise à la culture et aux beaux-arts. Enfin, il protège Télémaque et lui apporte son aide, comme la déesse de la sagesse Minerve-Athéna le faisait pour son père dans l’Odyssée. Mais avec lui, la sagesse devient aussi morale et spirituelle et il finit par révéler son identité divine à son élève.
Qui est véritablement Mentor : un ancien plein de sagesse ? Un précepteur modèle ? Un père de substitution ? Un peu tout cela. Sous ses habits de sage vieillard, Mentor ne manque pas d’énergie. Il joue, certes, du fait de l’absence d’Ulysse, un rôle de substitut paternel, mais son affection pour son élève demeure discrète. Ses conseils bienveillants font parfois place à des remontrances et il lui arrive d’imposer des frustrations dans l’immédiat.
Ainsi, au début du roman, quand les habitants de la Crète proposent à Télémaque de devenir leur souverain, Mentor empêche son élève, à vrai dire flatté et assez tenté, d’accepter cette proposition qui le détournerait de sa double quête : partir à la recherche de son père Ulysse et conquérir le trône d’Ithaque. Et c’est même en utilisant la force que Mentor évacue Télémaque de l’île de Calypso où la passion amoureuse pour une nymphe risquait de lui faire oublier sa mission.
Au bout de cette éducation, l’élève devra être en mesure de réfléchir, d’appliquer et de tenir seul. N’est-ce pas là, en fin de compte, le but de toute éducation ? Ainsi, certains épisodes mettent en scène une séparation de l’élève et du maître, d’abord accidentelle et douloureuse, puis – un peu plus loin dans le roman et dans la progression du jeune homme – volontaire et mieux réfléchie. Malgré les erreurs commises en ces occasions, se met doucement en place un apprentissage de l’autonomie. C’est la disparition du précepteur qui est ainsi programmée.


Dans cette première édition officielle du roman, l’illustration du livre XI produit un écart entre la légende et l’image : si Télémaque a la première place dans la légende, c’est Mentor, avec son rameau sur l’axe médian, qui occupe la place la plus visible de l’illustration.
« Telemaque et Mentor proposent la paix », dans Fénelon, Les Avantures [sic] de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, F. Delaulne, 1717, t. 1, Livre XI, entre p. 398 et p. 399 © BnF/Gallica

Dans une nouvelle édition du roman de 1730, l’illustration qui correspond au livre XII montre comment Mentor apporte son aide non pas à Télémaque mais à Idoménée, roi de Crète arrogant : si l’âge plus avancé de ce dernier aurait dû l’exempter de l’aide d’un précepteur, ses nombreuses erreurs rendent les leçons encore nécessaires.
« Mentor fait faire à Idomenée des Reglemens pour le Commerce, les Arts, et la Police dans Salante », dans Fénelon, Les Avantures [sic] de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, Veuve Delaulne, 1730, t. 1, Livre XII, p. 252 © BnF/Gallica

Parmi les conseils que dispense Mentor à ses élèves princiers, les beaux-arts ne sont pas négligés.
« Academie des Beaux-arts érigée par Mentor », dans Fénelon, Les Avantures [sic] de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, F. Delaulne, 1717, t. 1, Livre XII, entre p. 428 et p. 429 © BnF/Gallica

Dans son manuscrit autographe, Fénelon a régulièrement remplacé le nom de la déesse Minerve par celui, plus humain et plus proche de Télémaque, de Mentor.
Manuscrit autographe des Aventures de Télémaque © BnF/Gallica, Français 14944

Tandis que Télémaque décline l’offre de la couronne crétoise sous la pression de Mentor, ce dernier n’a aucun mal à la repousser quand elle lui est faite et trouve lui-même parmi les Crétois un sage digne d’exercer cette exigeante charge : l’illustration magnifie le rôle de Mentor dans une scène de couronnement.
« Telemaque et Mentor refusent la royauté de Crète et font couronner Aristodême », dans Fénelon, Les Avantures [sic] de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, Veuve Delaulne, 1730, Livre VI, p. 116 © BnF/Gallica

C’est parce qu’il désespère de pouvoir ramener Télémaque à la raison que Mentor emploie la manière forte pour le faire échapper au charme de la nymphe Eucharis et à l’emprise perverse qu’exerce l’île de Calypso.
« Mentor jette Telemaque dans la mer et s’y precipite avec lui ; pour s’échaper de l’Ille de Calypso », dans Fénelon, Les Avantures [sic] de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, Veuve Delaulne, 1730, t. 1, Livre VII, entre p. 222 et p. 223 © BnF/Gallica

Entre la tentation qu’incarne au début du roman Calypso (comme cela avait été le cas pour Ulysse) et le sens de la vertu et du devoir qu’incarne Mentor, Télémaque fera peu à peu son choix.
Ottaviano Mascherini, « Trois figures : Calypso, Télémaque et Mentor », XVIe-XVIIe s. © Musée du Louvre, département des Arts graphiques, Dist. RMN / Réunion des musées nationaux

Ce frontispice donne au guide de Télémaque les traits de Minerve et non de Mentor. Tandis que la déesse de la sagesse conduit vers la vertu, cette illustration qui ouvre le deuxième temps des aventures de Télémaque semble préparer la disparition progressive du précepteur.
Fénelon, Les Avantures de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, F. Delaulne, 1717, t. 2 (frontispice) © BnF/Gallica

Mentor : une éducation à la vertu

Comment les auteurs classiques représentent-ils les précepteurs ? Dans ses Aventures de Télémaque (1699), roman d’apprentissage jouissant d’un succès inouï pendant deux siècles, Fénelon développe particulièrement le personnage de Mentor, emprunté à l’Odyssée. Le nom propre de ce personnage de fiction deviendra d’ailleurs un nom commun au cours du XVIIIe siècle.
Chez Homère, Mentor servait déjà de précepteur à Télémaque et l’incitait à se mettre en quête de son père Ulysse au moment où les prétendants pressaient Pénélope de se choisir un nouvel époux. Fénelon, lui, écrit son roman pour le duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV destiné à régner, ainsi que pour ses jeunes frères dont il a aussi la charge en tant que précepteur.
Fénelon continue la tradition du « miroir des princes ». Son roman transforme le périple de Télémaque à la recherche de son père en un itinéraire le rendant digne de la royauté. Cela va de pair avec un apprentissage de la vertu : le lecteur saura décoder les allusions à la culture antique païenne, qui sont à transposer vers les valeurs et le monde chrétiens.
Mentor joue donc un rôle essentiel, celui de guide promouvant les valeurs que doit porter un roi selon Fénelon. La première de ces valeurs est la paix. Mentor vient aussi apporter son aide quand il s’agit d’édicter des lois et des règlements. Il ne manque pas, dans ses prescriptions, de faire une place précise à la culture et aux beaux-arts. Enfin, il protège Télémaque et lui apporte son aide, comme la déesse de la sagesse Minerve-Athéna le faisait pour son père dans l’Odyssée. Mais avec lui, la sagesse devient aussi morale et spirituelle et il finit par révéler son identité divine à son élève.
Qui est véritablement Mentor : un ancien plein de sagesse ? Un précepteur modèle ? Un père de substitution ? Un peu tout cela. Sous ses habits de sage vieillard, Mentor ne manque pas d’énergie. Il joue, certes, du fait de l’absence d’Ulysse, un rôle de substitut paternel, mais son affection pour son élève demeure discrète. Ses conseils bienveillants font parfois place à des remontrances et il lui arrive d’imposer des frustrations dans l’immédiat.
Ainsi, au début du roman, quand les habitants de la Crète proposent à Télémaque de devenir leur souverain, Mentor empêche son élève, à vrai dire flatté et assez tenté, d’accepter cette proposition qui le détournerait de sa double quête : partir à la recherche de son père Ulysse et conquérir le trône d’Ithaque. Et c’est même en utilisant la force que Mentor évacue Télémaque de l’île de Calypso où la passion amoureuse pour une nymphe risquait de lui faire oublier sa mission.
Au bout de cette éducation, l’élève devra être en mesure de réfléchir, d’appliquer et de tenir seul. N’est-ce pas là, en fin de compte, le but de toute éducation ? Ainsi, certains épisodes mettent en scène une séparation de l’élève et du maître, d’abord accidentelle et douloureuse, puis – un peu plus loin dans le roman et dans la progression du jeune homme – volontaire et mieux réfléchie. Malgré les erreurs commises en ces occasions, se met doucement en place un apprentissage de l’autonomie. C’est la disparition du précepteur qui est ainsi programmée.


Dans cette première édition officielle du roman, l’illustration du livre XI produit un écart entre la légende et l’image : si Télémaque a la première place dans la légende, c’est Mentor, avec son rameau sur l’axe médian, qui occupe la place la plus visible de l’illustration.
« Telemaque et Mentor proposent la paix », dans Fénelon, Les Avantures [sic] de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, F. Delaulne, 1717, t. 1, Livre XI, entre p. 398 et p. 399 © BnF/Gallica

Dans une nouvelle édition du roman de 1730, l’illustration qui correspond au livre XII montre comment Mentor apporte son aide non pas à Télémaque mais à Idoménée, roi de Crète arrogant : si l’âge plus avancé de ce dernier aurait dû l’exempter de l’aide d’un précepteur, ses nombreuses erreurs rendent les leçons encore nécessaires.
« Mentor fait faire à Idomenée des Reglemens pour le Commerce, les Arts, et la Police dans Salante », dans Fénelon, Les Avantures [sic] de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, Veuve Delaulne, 1730, t. 1, Livre XII, p. 252 © BnF/Gallica

Parmi les conseils que dispense Mentor à ses élèves princiers, les beaux-arts ne sont pas négligés.
« Academie des Beaux-arts érigée par Mentor », dans Fénelon, Les Avantures [sic] de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, F. Delaulne, 1717, t. 1, Livre XII, entre p. 428 et p. 429 © BnF/Gallica

Dans son manuscrit autographe, Fénelon a régulièrement remplacé le nom de la déesse Minerve par celui, plus humain et plus proche de Télémaque, de Mentor.
Manuscrit autographe des Aventures de Télémaque © BnF/Gallica, Français 14944

Tandis que Télémaque décline l’offre de la couronne crétoise sous la pression de Mentor, ce dernier n’a aucun mal à la repousser quand elle lui est faite et trouve lui-même parmi les Crétois un sage digne d’exercer cette exigeante charge : l’illustration magnifie le rôle de Mentor dans une scène de couronnement.
« Telemaque et Mentor refusent la royauté de Crète et font couronner Aristodême », dans Fénelon, Les Avantures [sic] de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, Veuve Delaulne, 1730, Livre VI, p. 116 © BnF/Gallica

C’est parce qu’il désespère de pouvoir ramener Télémaque à la raison que Mentor emploie la manière forte pour le faire échapper au charme de la nymphe Eucharis et à l’emprise perverse qu’exerce l’île de Calypso.
« Mentor jette Telemaque dans la mer et s’y precipite avec lui ; pour s’échaper de l’Ille de Calypso », dans Fénelon, Les Avantures [sic] de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, Veuve Delaulne, 1730, t. 1, Livre VII, entre p. 222 et p. 223 © BnF/Gallica

Entre la tentation qu’incarne au début du roman Calypso (comme cela avait été le cas pour Ulysse) et le sens de la vertu et du devoir qu’incarne Mentor, Télémaque fera peu à peu son choix.
Ottaviano Mascherini, « Trois figures : Calypso, Télémaque et Mentor », XVIe-XVIIe s. © Musée du Louvre, département des Arts graphiques, Dist. RMN / Réunion des musées nationaux

Ce frontispice donne au guide de Télémaque les traits de Minerve et non de Mentor. Tandis que la déesse de la sagesse conduit vers la vertu, cette illustration qui ouvre le deuxième temps des aventures de Télémaque semble préparer la disparition progressive du précepteur.
Fénelon, Les Avantures de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, F. Delaulne, 1717, t. 2 (frontispice) © BnF/Gallica


Mentor : une éducation à la vertu

Comment les auteurs classiques représentent-ils les précepteurs ? Dans ses Aventures de Télémaque (1699), roman d’apprentissage jouissant d’un succès inouï pendant deux siècles, Fénelon développe particulièrement le personnage de Mentor, emprunté à l’Odyssée. Le nom propre de ce personnage de fiction deviendra d’ailleurs un nom commun au cours du XVIIIe siècle.
Chez Homère, Mentor servait déjà de précepteur à Télémaque et l’incitait à se mettre en quête de son père Ulysse au moment où les prétendants pressaient Pénélope de se choisir un nouvel époux. Fénelon, lui, écrit son roman pour le duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV destiné à régner, ainsi que pour ses jeunes frères dont il a aussi la charge en tant que précepteur.
Fénelon continue la tradition du « miroir des princes ». Son roman transforme le périple de Télémaque à la recherche de son père en un itinéraire le rendant digne de la royauté. Cela va de pair avec un apprentissage de la vertu : le lecteur saura décoder les allusions à la culture antique païenne, qui sont à transposer vers les valeurs et le monde chrétiens.
Mentor joue donc un rôle essentiel, celui de guide promouvant les valeurs que doit porter un roi selon Fénelon. La première de ces valeurs est la paix. Mentor vient aussi apporter son aide quand il s’agit d’édicter des lois et des règlements. Il ne manque pas, dans ses prescriptions, de faire une place précise à la culture et aux beaux-arts. Enfin, il protège Télémaque et lui apporte son aide, comme la déesse de la sagesse Minerve-Athéna le faisait pour son père dans l’Odyssée. Mais avec lui, la sagesse devient aussi morale et spirituelle et il finit par révéler son identité divine à son élève.
Qui est véritablement Mentor : un ancien plein de sagesse ? Un précepteur modèle ? Un père de substitution ? Un peu tout cela. Sous ses habits de sage vieillard, Mentor ne manque pas d’énergie. Il joue, certes, du fait de l’absence d’Ulysse, un rôle de substitut paternel, mais son affection pour son élève demeure discrète. Ses conseils bienveillants font parfois place à des remontrances et il lui arrive d’imposer des frustrations dans l’immédiat.
Ainsi, au début du roman, quand les habitants de la Crète proposent à Télémaque de devenir leur souverain, Mentor empêche son élève, à vrai dire flatté et assez tenté, d’accepter cette proposition qui le détournerait de sa double quête : partir à la recherche de son père Ulysse et conquérir le trône d’Ithaque. Et c’est même en utilisant la force que Mentor évacue Télémaque de l’île de Calypso où la passion amoureuse pour une nymphe risquait de lui faire oublier sa mission.
Au bout de cette éducation, l’élève devra être en mesure de réfléchir, d’appliquer et de tenir seul. N’est-ce pas là, en fin de compte, le but de toute éducation ? Ainsi, certains épisodes mettent en scène une séparation de l’élève et du maître, d’abord accidentelle et douloureuse, puis – un peu plus loin dans le roman et dans la progression du jeune homme – volontaire et mieux réfléchie. Malgré les erreurs commises en ces occasions, se met doucement en place un apprentissage de l’autonomie. C’est la disparition du précepteur qui est ainsi programmée.


Dans cette première édition officielle du roman, l’illustration du livre XI produit un écart entre la légende et l’image : si Télémaque a la première place dans la légende, c’est Mentor, avec son rameau sur l’axe médian, qui occupe la place la plus visible de l’illustration.
« Telemaque et Mentor proposent la paix », dans Fénelon, Les Avantures [sic] de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, F. Delaulne, 1717, t. 1, Livre XI, entre p. 398 et p. 399 © BnF/Gallica

Dans une nouvelle édition du roman de 1730, l’illustration qui correspond au livre XII montre comment Mentor apporte son aide non pas à Télémaque mais à Idoménée, roi de Crète arrogant : si l’âge plus avancé de ce dernier aurait dû l’exempter de l’aide d’un précepteur, ses nombreuses erreurs rendent les leçons encore nécessaires.
« Mentor fait faire à Idomenée des Reglemens pour le Commerce, les Arts, et la Police dans Salante », dans Fénelon, Les Avantures [sic] de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, Veuve Delaulne, 1730, t. 1, Livre XII, p. 252 © BnF/Gallica

Parmi les conseils que dispense Mentor à ses élèves princiers, les beaux-arts ne sont pas négligés.
« Academie des Beaux-arts érigée par Mentor », dans Fénelon, Les Avantures [sic] de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, F. Delaulne, 1717, t. 1, Livre XII, entre p. 428 et p. 429 © BnF/Gallica

Dans son manuscrit autographe, Fénelon a régulièrement remplacé le nom de la déesse Minerve par celui, plus humain et plus proche de Télémaque, de Mentor.
Manuscrit autographe des Aventures de Télémaque © BnF/Gallica, Français 14944

Tandis que Télémaque décline l’offre de la couronne crétoise sous la pression de Mentor, ce dernier n’a aucun mal à la repousser quand elle lui est faite et trouve lui-même parmi les Crétois un sage digne d’exercer cette exigeante charge : l’illustration magnifie le rôle de Mentor dans une scène de couronnement.
« Telemaque et Mentor refusent la royauté de Crète et font couronner Aristodême », dans Fénelon, Les Avantures [sic] de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, Veuve Delaulne, 1730, Livre VI, p. 116 © BnF/Gallica

C’est parce qu’il désespère de pouvoir ramener Télémaque à la raison que Mentor emploie la manière forte pour le faire échapper au charme de la nymphe Eucharis et à l’emprise perverse qu’exerce l’île de Calypso.
« Mentor jette Telemaque dans la mer et s’y precipite avec lui ; pour s’échaper de l’Ille de Calypso », dans Fénelon, Les Avantures [sic] de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, Veuve Delaulne, 1730, t. 1, Livre VII, entre p. 222 et p. 223 © BnF/Gallica

Entre la tentation qu’incarne au début du roman Calypso (comme cela avait été le cas pour Ulysse) et le sens de la vertu et du devoir qu’incarne Mentor, Télémaque fera peu à peu son choix.
Ottaviano Mascherini, « Trois figures : Calypso, Télémaque et Mentor », XVIe-XVIIe s. © Musée du Louvre, département des Arts graphiques, Dist. RMN / Réunion des musées nationaux

Ce frontispice donne au guide de Télémaque les traits de Minerve et non de Mentor. Tandis que la déesse de la sagesse conduit vers la vertu, cette illustration qui ouvre le deuxième temps des aventures de Télémaque semble préparer la disparition progressive du précepteur.
Fénelon, Les Avantures de Telemaque fils d’Ulysse, Paris, F. Delaulne, 1717, t. 2 (frontispice) © BnF/Gallica
