Chapitre I
L’ENFANT, UN ÊTRE À FORMER
NOUVEAUX LIEUX, NOUVELLES INSTITUTIONS
DES RÉGENTS ET D’ANCIENS ÉLÈVES TÉMOIGNENT
BIBLIOTHÈQUE SONORE

Quels livres pour l’école ?

Nouveaux manuels
La nouvelle pédagogie et les nouveaux programmes d’enseignement exigent de nouveaux instruments, aussi bien pour l’apprentissage des rudiments, que pour les classes avancées dans les collèges. Qu’enseigner, dans quel ordre, de quelle manière ? Des efforts sont faits pour mieux organiser la transmission du savoir, rendre la matière à la portée de l’élève et faciliter la mémorisation. On ressent le besoin de réformer toutes les disciplines des arts libéraux pour refonder l’enseignement selon les principes de l’humanisme. Pour les classes inférieures, centrées sur le perfectionnement du latin, la lecture de textes classiques et les exercices de rhétorique, on propose de nouvelles méthodes censées accélérer l’apprentissage. Les nouvelles éditions scolaires portent non seulement sur des traités antiques correspondant aux différentes disciplines qui composaient le cursus, mais aussi sur des traités modernes. Les régents font un effort de vulgarisation considérable. À l’instar d’Oronce Finé, ils sont à la fois auteurs de traités scientifiques et d’ouvrages scolaires qui abrègent leurs enseignements et les rendent compréhensibles aux élèves et aux étudiants. Pour le deuxième cycle d’enseignement, des ouvrages d’arithmétique, d’astronomie ou de musique remplacent les anciens manuels.
Les auteurs classiques s’invitent en classe
Selon les humanistes, le latin doit s’apprendre directement des auteurs latins ; il faut boire l’eau à sa source ! Ce sont les orateurs, les historiens et les poètes classiques qui nous enseignent l’art de la rhétorique mieux que n’importe quel traité. Pour en tirer un vrai profit, le contact avec la prose ou la poésie latine et grecque doit être direct, sans intermédiaire de commentaires. Ainsi, dans les collèges d’humanités, la lecture des auteurs classiques devient le pilier de l’enseignement. Un esprit formé par de pareilles lectures devient capable de tout, s’exclame le fils de Racine en louant l’éducation humaniste qu’a reçue son père dans les Petites Écoles de Port-Royal.
Un nouveau canon scolaire rempli d’œuvres convenables pour le jeune public se constitue petit à petit. Cicéron est en tête de tous les auteurs latins. Il est considéré comme le maître de l’éloquence et comme un moraliste judicieux. L’historien Tite-live est reconnu pour ses harangues et les narrations simples qui conviennent aux jeunes élèves, Virgile pour sa poésie élégante et honnête. Les Odes d’Horace et son Art Poétique sont à apprendre par cœur. Parmi les auteurs grecs, les œuvres morales de Plutarque sont jugées les plus belles et les plus utiles pour l’éducation des enfants. Ce corpus reste relativement stable jusqu’au XVIIIe siècle. La littérature de jeunesse n’existe pas encore, c’est dans les œuvres de l’Antiquité que l’on cherche des histoires passionnantes, des personnages attachants et les vertus à transmettre.
Or les humanistes se heurtent vite à un paradoxe. Les auteurs classiques qu’ils admirent tant n’étaient-ils pas païens ? Cette incongruité donne lieu à des éditions sélectives ou expurgées. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, la collection des ouvrages classiques, dite Ad usum Delphini, conçue à l’origine pour le fils de Louis XIV, trouve son chemin vers l’enseignement scolaire. Une autre façon de mettre les auteurs classiques à la portée des élèves sans heurter les mœurs, est de proposer des anthologies d’extraits (rédigés dans un latin plus familier) ou des recueils de sentences.
Usages du livre
Aujourd’hui, le respect pour le livre se traduit par le soin qu’on y apporte. Il n’est pas question de gribouiller dessus ! Pour les humanistes, respecter l’ouvrage, c’est se l’approprier, l’utiliser souvent, l’annoter. Lire c’est engager une conversation amicale avec les sages du passé comme nous l’ont dit Machiavel ou Montaigne.
Les textes classiques appartenant au corpus scolaire font l’objet d’éditions bon marché, appelées « feuilles classiques ». Ce sont des livrets de petit format avec des interlignes conséquents et des marges importantes, ainsi que des pages vierges que l’élève couvre avec ses notes. Ils constituent souvent des supports de cours. Les élèves ou les étudiants y notent les éclaircissements de leurs régents qui analysent les textes ligne à ligne, mot par mot, aussi bien du point de vue de la beauté de la langue que de l’enseignement moral ou philosophique contenu. Le maître prête parfois l’ouvrage pour que les élèves moins aisés puissent le copier. Les élèves retranscrivent souvent sous la dictée des professeurs certains textes canoniques comme les traités de rhétorique et de poétique, dans les cahiers qui sont spécialement conçus à cet effet.
Au-delà du monde livresque
De l’éducation antique, les pédagogues humanistes retiennent aussi l’idée de l’observation directe – non seulement l’observation des textes antiques pour retrouver leur pureté originelle, mais aussi l’observation de la nature. C’est, entre autres, l’avis de Barthélemy Latomus, lecteur de rhétorique, qui dit dans son discours prononcé le 25 octobre 1540 au Collège de France : La vraie science ne résulte pas seulement des livres. Elle résulte de l’usage et de l’expérience.
Ce principe pousse les humanistes à étudier le corps humain au lieu de se contenter de lire les livres d’anatomie, à observer le ciel, si l’on s’intéresse à l’astronomie. Certains enfants, comme les petits Ambroise Paré ou René Descartes sont portés vers l’exploration de l’homme et de la nature, considérant qu’il y a plus de choses à chercher encore qu’il n’y en a de trouvées.
La gloire des collèges d’humanités est au bout du compte relative. Montaigne, déçu des collèges de son temps, de vraies geôles pour une jeunesse captive, voit plus de profit à exercer le jugement des enfants en dehors de l’école : J’ay ouy tenir à gens d’entendement que ces colleges où on les envoie, dequoy ils ont foison, les abrutissent ainsin. […] Au nostre [l’enfant de bonne maison à éduquer], un cabinet, un jardin, la table et le lit, la solitude, la compaignie, le matin et le vespre, toutes heures luy seront unes, toutes places luy seront estude : car la philosophie, qui, comme formatrice des jugements et des meurs, sera sa principale leçon, a ce privilege de se mesler par tout.


Sur cet autel représentant Sainte Anne, la mère de la Vierge, avec toutes ses filles, les deux frères se disputent un livre. De quel livre s’agit-il ? Savent-ils lire déjà ? Le bébé assis plus bas joue avec un volume enluminé mis à l’envers. Visiblement, ce n’est pour lui qu’un curieux objet bariolé.
Quentin Massys, Triptyque de la confrérie Sainte-Anne à Louvain, vers 1507-1508 © Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles (WGA)

Ce jeune homme curieux étudie le globe céleste avec les constellations en forme d’animaux en le comparant à ses notes.
Olivier van Deuren, A Young Astronomer, vers 1685 © The National Gallery (Creative Commons licence)

Le manuel de latin, La porte ouverte des langues (Janua linguarum reserata), publié en 1629 par Comenius propose une nouvelle méthode d’apprentissage de langues. Le lecteur compare des phrases simples en latin à celles rédigées en langues vernaculaires. Cette méthode intuitive fut populaire parmi les régents de grammaire latine. Ce petit volume appartenait à un certain Charles Callot et contient ses notes marginales.
I. A. Comenii Janua aurea reserata duarum linguarum, sive compendiosa methodus latinam et gallicam linguam perdiscendi, sub titulis centum, periodis mille comprehensa, et vocabulis bis mille ad minimum aucta, trad. Nathanaël Duëz, Paris, C. Thiboust, 1659 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : NW)

Oronce Finé (1494-1555) fut un mathématicien, astronome et cartographe français, le premier titulaire de la chaire de Mathématiques au Collège de France (1530-1555). Il publia des traités d’arithmétique, de mathématiques et d’astronomie, mais aussi des ouvrages à usage scolaire comme ce manuel d’arithmétique en quatre livres dont le frontispice représente les personnifications des disciplines du trivium, deuxième cycle des arts libéraux, basé sur l’étude des chiffres.
Orontii Finei [...] arithmetica practica, libris quatuor [...] recens ab authore castigata, aucta et recognita, Paris, S. de Colines, 1535 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : NW)

Sur cette gravure provenant d’un manuel académique, l’allégorie de l’Astronomie est assise entre la muse Uranie qui préside à l’astronomie et l’astrologie et Ptolémée, astronome et géographe grec qui a observé les astres et décrit le ciel.
Johannes de Sacro Bosco, Textus de sphera Johannis de Sacrobosco cum additione [...] adjecta [...] illustratus cum compositione Anuli astronomici Boni Latensis, et geometria Euclidis Megarensisr, Paris, H. Estienne, 1511 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : NW)

Cette scène d’enseignement provient d’un manuel de musique, discipline faisant partie des arts libéraux qui repose sur l’étude des harmonies et nécessite une maîtrise des mathématiques.
Francesco Gafori, De harmonia musicorum instrumentorum opus..., Milan, G. Da Ponte, 1518 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : NW)

Un imprimeur italien Alde Manuce (1449-1515) invente un nouveau format de livre « de poche » et les caractères imprimés bien lisibles pour mieux diffuser les chef-d’œuvres de la culture antique et les rendre à la portée de tous, y compris de la jeunesse studieuse. Ce tableau rend hommage à l’imprimeur humaniste en mettant entre les mains de ce jeune homme un livre de petit format.
Giovanni Cariani, L’Homme au livre vert, vers 1510-1520 © Fine Arts Museums de San Francisco

Les jeunes gens à la Renaissance lisaient aussi les auteurs contemporains à la mode à l’instar de ce jeune homme florentin qui tient à la main probablement un recueil de Pétrarque.
Agnolo Bronzino, Portrait d’un jeune homme, vers 1530 © Metropolitan Museum of Art

On recommande aux élèves la lecture des lettres familières de Cicéron écrites dans un style pur et simple.
Epistolarum selectarum Ciceronis. Libri tres. Quae ob perspicuitatem sententiarum, et rerum varietatem, literariis ludis congestae sunt, et distinctae, Veuve de J. Durant, M. Nicod, 1592 © Bibliothèque de Genève / e-rara

Les anthologies d’extraits ou les recueils de sentences tirées des textes antiques étaient plus aisément utilisables dans les collèges que les ouvrages entiers. L’étude du latin, surtout celui de Cicéron, était cruciale dans le parcours scolaire, car bien manier la langue signifiait bien penser et être capable, une fois adulte, de bien manier les choses. Ce recueil des Pensées de Cicéron du XVIIIe siècle est une traduction de l’édition latine publiée dans le cadre de la collection « à l’usage du Dauphin ».
Pensées de Cicéron, traduites, pour servir à l’éducation de la Jeunesse, par M. l’Abbé d’Olivet, de l’Académie Françoise, Paris, Barbou, 1764, p. 8-9 © Collection particulière de Natalia Wawrzyniak (Photo : NW)

Les régents annotaient leurs copies de textes canoniques qu’ils utilisaient en cours, en soulignant les passages, en les couvrant de notes, de traductions et d’explications, parfois aussi des corrections de coquilles ou d’erreurs, signe que l’ouvrage a été « bien digéré ».
Aristotelis eorum quae physica sequuntur, sive metaphysicorum, ut vocant, libri tredecim..., Paris, 1553 © Angers, Ville d’Angers, Bibliothèque municipale, Rés. SA 247 (Photo : M.-É. Gautier).
Ce livre a été numérisé dans le cadre du projet “Bibliothèques humanistes ligériennes” - Equipex Biblissima (Commulysse).

Ce cahier avec les gravures des auteurs classiques et contemporains, fut utilisé pour y noter les textes théoriques portant sur la rhétorique et la poésie, parsemés d’extraits littéraires en guise d’exemples.
Portrait de Cicéron, dans Institutiones oratoriae [cahier de cours], XVIIIe s. © Angers, Ville d’Angers, Bibliothèque municipale, MS 504 (487) (Photo : NW)

D’un côté, l’exploration de la nature procure à l’enfant la connaissance directe des choses. De l’autre côté, Comenius considère que le maître d’école est comme le jardinier qui soigne ses plantes selon leurs besoins et leurs possibilités.
Charles Le Brun, d’après François Desportes, Les Enfants jardiniers. Été. Enfants arrosant et jouant avec un chien, vers 1717 © RMN-Grand Palais (Château de Pau) / René-Gabriel Ojéda

À la verité, nous voyons encores qu’il n’est rien si gentil [noble] que les petits enfans en France : mais ordinairement ils trompent l’esperance qu’on en a conceue, et, hommes faicts, on n’y voit aucune excellence. J’ay ouy tenir à gens d’entendement que ces colleges où on les envoie, dequoy ils ont foison, les abrutissent ainsi, écrit Montaigne dans le chapitre « De l’Institution des enfans » (Essais, I, 26).
Essais de Michel seigneur de Montaigne, Paris, A. L’Angelier, 1588 © BnF/Gallica

Quels livres pour l’école ?

Nouveaux manuels
La nouvelle pédagogie et les nouveaux programmes d’enseignement exigent de nouveaux instruments, aussi bien pour l’apprentissage des rudiments, que pour les classes avancées dans les collèges. Qu’enseigner, dans quel ordre, de quelle manière ? Des efforts sont faits pour mieux organiser la transmission du savoir, rendre la matière à la portée de l’élève et faciliter la mémorisation. On ressent le besoin de réformer toutes les disciplines des arts libéraux pour refonder l’enseignement selon les principes de l’humanisme. Pour les classes inférieures, centrées sur le perfectionnement du latin, la lecture de textes classiques et les exercices de rhétorique, on propose de nouvelles méthodes censées accélérer l’apprentissage. Les nouvelles éditions scolaires portent non seulement sur des traités antiques correspondant aux différentes disciplines qui composaient le cursus, mais aussi sur des traités modernes. Les régents font un effort de vulgarisation considérable. À l’instar d’Oronce Finé, ils sont à la fois auteurs de traités scientifiques et d’ouvrages scolaires qui abrègent leurs enseignements et les rendent compréhensibles aux élèves et aux étudiants. Pour le deuxième cycle d’enseignement, des ouvrages d’arithmétique, d’astronomie ou de musique remplacent les anciens manuels.
Les auteurs classiques s’invitent en classe
Selon les humanistes, le latin doit s’apprendre directement des auteurs latins ; il faut boire l’eau à sa source ! Ce sont les orateurs, les historiens et les poètes classiques qui nous enseignent l’art de la rhétorique mieux que n’importe quel traité. Pour en tirer un vrai profit, le contact avec la prose ou la poésie latine et grecque doit être direct, sans intermédiaire de commentaires. Ainsi, dans les collèges d’humanités, la lecture des auteurs classiques devient le pilier de l’enseignement. Un esprit formé par de pareilles lectures devient capable de tout, s’exclame le fils de Racine en louant l’éducation humaniste qu’a reçue son père dans les Petites Écoles de Port-Royal.
Un nouveau canon scolaire rempli d’œuvres convenables pour le jeune public se constitue petit à petit. Cicéron est en tête de tous les auteurs latins. Il est considéré comme le maître de l’éloquence et comme un moraliste judicieux. L’historien Tite-live est reconnu pour ses harangues et les narrations simples qui conviennent aux jeunes élèves, Virgile pour sa poésie élégante et honnête. Les Odes d’Horace et son Art Poétique sont à apprendre par cœur. Parmi les auteurs grecs, les œuvres morales de Plutarque sont jugées les plus belles et les plus utiles pour l’éducation des enfants. Ce corpus reste relativement stable jusqu’au XVIIIe siècle. La littérature de jeunesse n’existe pas encore, c’est dans les œuvres de l’Antiquité que l’on cherche des histoires passionnantes, des personnages attachants et les vertus à transmettre.
Or les humanistes se heurtent vite à un paradoxe. Les auteurs classiques qu’ils admirent tant n’étaient-ils pas païens ? Cette incongruité donne lieu à des éditions sélectives ou expurgées. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, la collection des ouvrages classiques, dite Ad usum Delphini, conçue à l’origine pour le fils de Louis XIV, trouve son chemin vers l’enseignement scolaire. Une autre façon de mettre les auteurs classiques à la portée des élèves sans heurter les mœurs, est de proposer des anthologies d’extraits (rédigés dans un latin plus familier) ou des recueils de sentences.
Usages du livre
Aujourd’hui, le respect pour le livre se traduit par le soin qu’on y apporte. Il n’est pas question de gribouiller dessus ! Pour les humanistes, respecter l’ouvrage, c’est se l’approprier, l’utiliser souvent, l’annoter. Lire c’est engager une conversation amicale avec les sages du passé comme nous l’ont dit Machiavel ou Montaigne.
Les textes classiques appartenant au corpus scolaire font l’objet d’éditions bon marché, appelées « feuilles classiques ». Ce sont des livrets de petit format avec des interlignes conséquents et des marges importantes, ainsi que des pages vierges que l’élève couvre avec ses notes. Ils constituent souvent des supports de cours. Les élèves ou les étudiants y notent les éclaircissements de leurs régents qui analysent les textes ligne à ligne, mot par mot, aussi bien du point de vue de la beauté de la langue que de l’enseignement moral ou philosophique contenu. Le maître prête parfois l’ouvrage pour que les élèves moins aisés puissent le copier. Les élèves retranscrivent souvent sous la dictée des professeurs certains textes canoniques comme les traités de rhétorique et de poétique, dans les cahiers qui sont spécialement conçus à cet effet.
Au-delà du monde livresque
De l’éducation antique, les pédagogues humanistes retiennent aussi l’idée de l’observation directe – non seulement l’observation des textes antiques pour retrouver leur pureté originelle, mais aussi l’observation de la nature. C’est, entre autres, l’avis de Barthélemy Latomus, lecteur de rhétorique, qui dit dans son discours prononcé le 25 octobre 1540 au Collège de France : La vraie science ne résulte pas seulement des livres. Elle résulte de l’usage et de l’expérience.
Ce principe pousse les humanistes à étudier le corps humain au lieu de se contenter de lire les livres d’anatomie, à observer le ciel, si l’on s’intéresse à l’astronomie. Certains enfants, comme les petits Ambroise Paré ou René Descartes sont portés vers l’exploration de l’homme et de la nature, considérant qu’il y a plus de choses à chercher encore qu’il n’y en a de trouvées.
La gloire des collèges d’humanités est au bout du compte relative. Montaigne, déçu des collèges de son temps, de vraies geôles pour une jeunesse captive, voit plus de profit à exercer le jugement des enfants en dehors de l’école : J’ay ouy tenir à gens d’entendement que ces colleges où on les envoie, dequoy ils ont foison, les abrutissent ainsin. […] Au nostre [l’enfant de bonne maison à éduquer], un cabinet, un jardin, la table et le lit, la solitude, la compaignie, le matin et le vespre, toutes heures luy seront unes, toutes places luy seront estude : car la philosophie, qui, comme formatrice des jugements et des meurs, sera sa principale leçon, a ce privilege de se mesler par tout.


Sur cet autel représentant Sainte Anne, la mère de la Vierge, avec toutes ses filles, les deux frères se disputent un livre. De quel livre s’agit-il ? Savent-ils lire déjà ? Le bébé assis plus bas joue avec un volume enluminé mis à l’envers. Visiblement, ce n’est pour lui qu’un curieux objet bariolé.
Quentin Massys, Triptyque de la confrérie Sainte-Anne à Louvain, vers 1507-1508 © Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles (WGA)

Ce jeune homme curieux étudie le globe céleste avec les constellations en forme d’animaux en le comparant à ses notes.
Olivier van Deuren, A Young Astronomer, vers 1685 © The National Gallery (Creative Commons licence)

Le manuel de latin, La porte ouverte des langues (Janua linguarum reserata), publié en 1629 par Comenius propose une nouvelle méthode d’apprentissage de langues. Le lecteur compare des phrases simples en latin à celles rédigées en langues vernaculaires. Cette méthode intuitive fut populaire parmi les régents de grammaire latine. Ce petit volume appartenait à un certain Charles Callot et contient ses notes marginales.
I. A. Comenii Janua aurea reserata duarum linguarum, sive compendiosa methodus latinam et gallicam linguam perdiscendi, sub titulis centum, periodis mille comprehensa, et vocabulis bis mille ad minimum aucta, trad. Nathanaël Duëz, Paris, C. Thiboust, 1659 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : NW)

Oronce Finé (1494-1555) fut un mathématicien, astronome et cartographe français, le premier titulaire de la chaire de Mathématiques au Collège de France (1530-1555). Il publia des traités d’arithmétique, de mathématiques et d’astronomie, mais aussi des ouvrages à usage scolaire comme ce manuel d’arithmétique en quatre livres dont le frontispice représente les personnifications des disciplines du trivium, deuxième cycle des arts libéraux, basé sur l’étude des chiffres.
Orontii Finei [...] arithmetica practica, libris quatuor [...] recens ab authore castigata, aucta et recognita, Paris, S. de Colines, 1535 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : NW)

Sur cette gravure provenant d’un manuel académique, l’allégorie de l’Astronomie est assise entre la muse Uranie qui préside à l’astronomie et l’astrologie et Ptolémée, astronome et géographe grec qui a observé les astres et décrit le ciel.
Johannes de Sacro Bosco, Textus de sphera Johannis de Sacrobosco cum additione [...] adjecta [...] illustratus cum compositione Anuli astronomici Boni Latensis, et geometria Euclidis Megarensisr, Paris, H. Estienne, 1511 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : NW)

Cette scène d’enseignement provient d’un manuel de musique, discipline faisant partie des arts libéraux qui repose sur l’étude des harmonies et nécessite une maîtrise des mathématiques.
Francesco Gafori, De harmonia musicorum instrumentorum opus..., Milan, G. Da Ponte, 1518 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : NW)

Un imprimeur italien Alde Manuce (1449-1515) invente un nouveau format de livre « de poche » et les caractères imprimés bien lisibles pour mieux diffuser les chef-d’œuvres de la culture antique et les rendre à la portée de tous, y compris de la jeunesse studieuse. Ce tableau rend hommage à l’imprimeur humaniste en mettant entre les mains de ce jeune homme un livre de petit format.
Giovanni Cariani, L’Homme au livre vert, vers 1510-1520 © Fine Arts Museums de San Francisco

Les jeunes gens à la Renaissance lisaient aussi les auteurs contemporains à la mode à l’instar de ce jeune homme florentin qui tient à la main probablement un recueil de Pétrarque.
Agnolo Bronzino, Portrait d’un jeune homme, vers 1530 © Metropolitan Museum of Art

On recommande aux élèves la lecture des lettres familières de Cicéron écrites dans un style pur et simple.
Epistolarum selectarum Ciceronis. Libri tres. Quae ob perspicuitatem sententiarum, et rerum varietatem, literariis ludis congestae sunt, et distinctae, Veuve de J. Durant, M. Nicod, 1592 © Bibliothèque de Genève / e-rara

Les anthologies d’extraits ou les recueils de sentences tirées des textes antiques étaient plus aisément utilisables dans les collèges que les ouvrages entiers. L’étude du latin, surtout celui de Cicéron, était cruciale dans le parcours scolaire, car bien manier la langue signifiait bien penser et être capable, une fois adulte, de bien manier les choses. Ce recueil des Pensées de Cicéron du XVIIIe siècle est une traduction de l’édition latine publiée dans le cadre de la collection « à l’usage du Dauphin ».
Pensées de Cicéron, traduites, pour servir à l’éducation de la Jeunesse, par M. l’Abbé d’Olivet, de l’Académie Françoise, Paris, Barbou, 1764, p. 8-9 © Collection particulière de Natalia Wawrzyniak (Photo : NW)

Les régents annotaient leurs copies de textes canoniques qu’ils utilisaient en cours, en soulignant les passages, en les couvrant de notes, de traductions et d’explications, parfois aussi des corrections de coquilles ou d’erreurs, signe que l’ouvrage a été « bien digéré ».
Aristotelis eorum quae physica sequuntur, sive metaphysicorum, ut vocant, libri tredecim..., Paris, 1553 © Angers, Ville d’Angers, Bibliothèque municipale, Rés. SA 247 (Photo : M.-É. Gautier).
Ce livre a été numérisé dans le cadre du projet “Bibliothèques humanistes ligériennes” - Equipex Biblissima (Commulysse).

Ce cahier avec les gravures des auteurs classiques et contemporains, fut utilisé pour y noter les textes théoriques portant sur la rhétorique et la poésie, parsemés d’extraits littéraires en guise d’exemples.
Portrait de Cicéron, dans Institutiones oratoriae [cahier de cours], XVIIIe s. © Angers, Ville d’Angers, Bibliothèque municipale, MS 504 (487) (Photo : NW)

D’un côté, l’exploration de la nature procure à l’enfant la connaissance directe des choses. De l’autre côté, Comenius considère que le maître d’école est comme le jardinier qui soigne ses plantes selon leurs besoins et leurs possibilités.
Charles Le Brun, d’après François Desportes, Les Enfants jardiniers. Été. Enfants arrosant et jouant avec un chien, vers 1717 © RMN-Grand Palais (Château de Pau) / René-Gabriel Ojéda

À la verité, nous voyons encores qu’il n’est rien si gentil [noble] que les petits enfans en France : mais ordinairement ils trompent l’esperance qu’on en a conceue, et, hommes faicts, on n’y voit aucune excellence. J’ay ouy tenir à gens d’entendement que ces colleges où on les envoie, dequoy ils ont foison, les abrutissent ainsi, écrit Montaigne dans le chapitre « De l’Institution des enfans » (Essais, I, 26).
Essais de Michel seigneur de Montaigne, Paris, A. L’Angelier, 1588 © BnF/Gallica

Quels livres pour l’école ?

Nouveaux manuels
La nouvelle pédagogie et les nouveaux programmes d’enseignement exigent de nouveaux instruments, aussi bien pour l’apprentissage des rudiments, que pour les classes avancées dans les collèges. Qu’enseigner, dans quel ordre, de quelle manière ? Des efforts sont faits pour mieux organiser la transmission du savoir, rendre la matière à la portée de l’élève et faciliter la mémorisation. On ressent le besoin de réformer toutes les disciplines des arts libéraux pour refonder l’enseignement selon les principes de l’humanisme. Pour les classes inférieures, centrées sur le perfectionnement du latin, la lecture de textes classiques et les exercices de rhétorique, on propose de nouvelles méthodes censées accélérer l’apprentissage. Les nouvelles éditions scolaires portent non seulement sur des traités antiques correspondant aux différentes disciplines qui composaient le cursus, mais aussi sur des traités modernes. Les régents font un effort de vulgarisation considérable. À l’instar d’Oronce Finé, ils sont à la fois auteurs de traités scientifiques et d’ouvrages scolaires qui abrègent leurs enseignements et les rendent compréhensibles aux élèves et aux étudiants. Pour le deuxième cycle d’enseignement, des ouvrages d’arithmétique, d’astronomie ou de musique remplacent les anciens manuels.
Les auteurs classiques s’invitent en classe
Selon les humanistes, le latin doit s’apprendre directement des auteurs latins ; il faut boire l’eau à sa source ! Ce sont les orateurs, les historiens et les poètes classiques qui nous enseignent l’art de la rhétorique mieux que n’importe quel traité. Pour en tirer un vrai profit, le contact avec la prose ou la poésie latine et grecque doit être direct, sans intermédiaire de commentaires. Ainsi, dans les collèges d’humanités, la lecture des auteurs classiques devient le pilier de l’enseignement. Un esprit formé par de pareilles lectures devient capable de tout, s’exclame le fils de Racine en louant l’éducation humaniste qu’a reçue son père dans les Petites Écoles de Port-Royal.
Un nouveau canon scolaire rempli d’œuvres convenables pour le jeune public se constitue petit à petit. Cicéron est en tête de tous les auteurs latins. Il est considéré comme le maître de l’éloquence et comme un moraliste judicieux. L’historien Tite-live est reconnu pour ses harangues et les narrations simples qui conviennent aux jeunes élèves, Virgile pour sa poésie élégante et honnête. Les Odes d’Horace et son Art Poétique sont à apprendre par cœur. Parmi les auteurs grecs, les œuvres morales de Plutarque sont jugées les plus belles et les plus utiles pour l’éducation des enfants. Ce corpus reste relativement stable jusqu’au XVIIIe siècle. La littérature de jeunesse n’existe pas encore, c’est dans les œuvres de l’Antiquité que l’on cherche des histoires passionnantes, des personnages attachants et les vertus à transmettre.
Or les humanistes se heurtent vite à un paradoxe. Les auteurs classiques qu’ils admirent tant n’étaient-ils pas païens ? Cette incongruité donne lieu à des éditions sélectives ou expurgées. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, la collection des ouvrages classiques, dite Ad usum Delphini, conçue à l’origine pour le fils de Louis XIV, trouve son chemin vers l’enseignement scolaire. Une autre façon de mettre les auteurs classiques à la portée des élèves sans heurter les mœurs, est de proposer des anthologies d’extraits (rédigés dans un latin plus familier) ou des recueils de sentences.
Usages du livre
Aujourd’hui, le respect pour le livre se traduit par le soin qu’on y apporte. Il n’est pas question de gribouiller dessus ! Pour les humanistes, respecter l’ouvrage, c’est se l’approprier, l’utiliser souvent, l’annoter. Lire c’est engager une conversation amicale avec les sages du passé comme nous l’ont dit Machiavel ou Montaigne.
Les textes classiques appartenant au corpus scolaire font l’objet d’éditions bon marché, appelées « feuilles classiques ». Ce sont des livrets de petit format avec des interlignes conséquents et des marges importantes, ainsi que des pages vierges que l’élève couvre avec ses notes. Ils constituent souvent des supports de cours. Les élèves ou les étudiants y notent les éclaircissements de leurs régents qui analysent les textes ligne à ligne, mot par mot, aussi bien du point de vue de la beauté de la langue que de l’enseignement moral ou philosophique contenu. Le maître prête parfois l’ouvrage pour que les élèves moins aisés puissent le copier. Les élèves retranscrivent souvent sous la dictée des professeurs certains textes canoniques comme les traités de rhétorique et de poétique, dans les cahiers qui sont spécialement conçus à cet effet.
Au-delà du monde livresque
De l’éducation antique, les pédagogues humanistes retiennent aussi l’idée de l’observation directe – non seulement l’observation des textes antiques pour retrouver leur pureté originelle, mais aussi l’observation de la nature. C’est, entre autres, l’avis de Barthélemy Latomus, lecteur de rhétorique, qui dit dans son discours prononcé le 25 octobre 1540 au Collège de France : La vraie science ne résulte pas seulement des livres. Elle résulte de l’usage et de l’expérience.
Ce principe pousse les humanistes à étudier le corps humain au lieu de se contenter de lire les livres d’anatomie, à observer le ciel, si l’on s’intéresse à l’astronomie. Certains enfants, comme les petits Ambroise Paré ou René Descartes sont portés vers l’exploration de l’homme et de la nature, considérant qu’il y a plus de choses à chercher encore qu’il n’y en a de trouvées.
La gloire des collèges d’humanités est au bout du compte relative. Montaigne, déçu des collèges de son temps, de vraies geôles pour une jeunesse captive, voit plus de profit à exercer le jugement des enfants en dehors de l’école : J’ay ouy tenir à gens d’entendement que ces colleges où on les envoie, dequoy ils ont foison, les abrutissent ainsin. […] Au nostre [l’enfant de bonne maison à éduquer], un cabinet, un jardin, la table et le lit, la solitude, la compaignie, le matin et le vespre, toutes heures luy seront unes, toutes places luy seront estude : car la philosophie, qui, comme formatrice des jugements et des meurs, sera sa principale leçon, a ce privilege de se mesler par tout.


Sur cet autel représentant Sainte Anne, la mère de la Vierge, avec toutes ses filles, les deux frères se disputent un livre. De quel livre s’agit-il ? Savent-ils lire déjà ? Le bébé assis plus bas joue avec un volume enluminé mis à l’envers. Visiblement, ce n’est pour lui qu’un curieux objet bariolé.
Quentin Massys, Triptyque de la confrérie Sainte-Anne à Louvain, vers 1507-1508 © Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles (WGA)

Ce jeune homme curieux étudie le globe céleste avec les constellations en forme d’animaux en le comparant à ses notes.
Olivier van Deuren, A Young Astronomer, vers 1685 © The National Gallery (Creative Commons licence)

Le manuel de latin, La porte ouverte des langues (Janua linguarum reserata), publié en 1629 par Comenius propose une nouvelle méthode d’apprentissage de langues. Le lecteur compare des phrases simples en latin à celles rédigées en langues vernaculaires. Cette méthode intuitive fut populaire parmi les régents de grammaire latine. Ce petit volume appartenait à un certain Charles Callot et contient ses notes marginales.
I. A. Comenii Janua aurea reserata duarum linguarum, sive compendiosa methodus latinam et gallicam linguam perdiscendi, sub titulis centum, periodis mille comprehensa, et vocabulis bis mille ad minimum aucta, trad. Nathanaël Duëz, Paris, C. Thiboust, 1659 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : NW)

Oronce Finé (1494-1555) fut un mathématicien, astronome et cartographe français, le premier titulaire de la chaire de Mathématiques au Collège de France (1530-1555). Il publia des traités d’arithmétique, de mathématiques et d’astronomie, mais aussi des ouvrages à usage scolaire comme ce manuel d’arithmétique en quatre livres dont le frontispice représente les personnifications des disciplines du trivium, deuxième cycle des arts libéraux, basé sur l’étude des chiffres.
Orontii Finei [...] arithmetica practica, libris quatuor [...] recens ab authore castigata, aucta et recognita, Paris, S. de Colines, 1535 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : NW)

Sur cette gravure provenant d’un manuel académique, l’allégorie de l’Astronomie est assise entre la muse Uranie qui préside à l’astronomie et l’astrologie et Ptolémée, astronome et géographe grec qui a observé les astres et décrit le ciel.
Johannes de Sacro Bosco, Textus de sphera Johannis de Sacrobosco cum additione [...] adjecta [...] illustratus cum compositione Anuli astronomici Boni Latensis, et geometria Euclidis Megarensisr, Paris, H. Estienne, 1511 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : NW)

Cette scène d’enseignement provient d’un manuel de musique, discipline faisant partie des arts libéraux qui repose sur l’étude des harmonies et nécessite une maîtrise des mathématiques.
Francesco Gafori, De harmonia musicorum instrumentorum opus..., Milan, G. Da Ponte, 1518 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : NW)

Un imprimeur italien Alde Manuce (1449-1515) invente un nouveau format de livre « de poche » et les caractères imprimés bien lisibles pour mieux diffuser les chef-d’œuvres de la culture antique et les rendre à la portée de tous, y compris de la jeunesse studieuse. Ce tableau rend hommage à l’imprimeur humaniste en mettant entre les mains de ce jeune homme un livre de petit format.
Giovanni Cariani, L’Homme au livre vert, vers 1510-1520 © Fine Arts Museums de San Francisco

Les jeunes gens à la Renaissance lisaient aussi les auteurs contemporains à la mode à l’instar de ce jeune homme florentin qui tient à la main probablement un recueil de Pétrarque.
Agnolo Bronzino, Portrait d’un jeune homme, vers 1530 © Metropolitan Museum of Art

On recommande aux élèves la lecture des lettres familières de Cicéron écrites dans un style pur et simple.
Epistolarum selectarum Ciceronis. Libri tres. Quae ob perspicuitatem sententiarum, et rerum varietatem, literariis ludis congestae sunt, et distinctae, Veuve de J. Durant, M. Nicod, 1592 © Bibliothèque de Genève / e-rara

Les anthologies d’extraits ou les recueils de sentences tirées des textes antiques étaient plus aisément utilisables dans les collèges que les ouvrages entiers. L’étude du latin, surtout celui de Cicéron, était cruciale dans le parcours scolaire, car bien manier la langue signifiait bien penser et être capable, une fois adulte, de bien manier les choses. Ce recueil des Pensées de Cicéron du XVIIIe siècle est une traduction de l’édition latine publiée dans le cadre de la collection « à l’usage du Dauphin ».
Pensées de Cicéron, traduites, pour servir à l’éducation de la Jeunesse, par M. l’Abbé d’Olivet, de l’Académie Françoise, Paris, Barbou, 1764, p. 8-9 © Collection particulière de Natalia Wawrzyniak (Photo : NW)

Les régents annotaient leurs copies de textes canoniques qu’ils utilisaient en cours, en soulignant les passages, en les couvrant de notes, de traductions et d’explications, parfois aussi des corrections de coquilles ou d’erreurs, signe que l’ouvrage a été « bien digéré ».
Aristotelis eorum quae physica sequuntur, sive metaphysicorum, ut vocant, libri tredecim..., Paris, 1553 © Angers, Ville d’Angers, Bibliothèque municipale, Rés. SA 247 (Photo : M.-É. Gautier).
Ce livre a été numérisé dans le cadre du projet “Bibliothèques humanistes ligériennes” - Equipex Biblissima (Commulysse).

Ce cahier avec les gravures des auteurs classiques et contemporains, fut utilisé pour y noter les textes théoriques portant sur la rhétorique et la poésie, parsemés d’extraits littéraires en guise d’exemples.
Portrait de Cicéron, dans Institutiones oratoriae [cahier de cours], XVIIIe s. © Angers, Ville d’Angers, Bibliothèque municipale, MS 504 (487) (Photo : NW)

D’un côté, l’exploration de la nature procure à l’enfant la connaissance directe des choses. De l’autre côté, Comenius considère que le maître d’école est comme le jardinier qui soigne ses plantes selon leurs besoins et leurs possibilités.
Charles Le Brun, d’après François Desportes, Les Enfants jardiniers. Été. Enfants arrosant et jouant avec un chien, vers 1717 © RMN-Grand Palais (Château de Pau) / René-Gabriel Ojéda

À la verité, nous voyons encores qu’il n’est rien si gentil [noble] que les petits enfans en France : mais ordinairement ils trompent l’esperance qu’on en a conceue, et, hommes faicts, on n’y voit aucune excellence. J’ay ouy tenir à gens d’entendement que ces colleges où on les envoie, dequoy ils ont foison, les abrutissent ainsi, écrit Montaigne dans le chapitre « De l’Institution des enfans » (Essais, I, 26).
Essais de Michel seigneur de Montaigne, Paris, A. L’Angelier, 1588 © BnF/Gallica


Quels livres pour l’école ?

Nouveaux manuels
La nouvelle pédagogie et les nouveaux programmes d’enseignement exigent de nouveaux instruments, aussi bien pour l’apprentissage des rudiments, que pour les classes avancées dans les collèges. Qu’enseigner, dans quel ordre, de quelle manière ? Des efforts sont faits pour mieux organiser la transmission du savoir, rendre la matière à la portée de l’élève et faciliter la mémorisation. On ressent le besoin de réformer toutes les disciplines des arts libéraux pour refonder l’enseignement selon les principes de l’humanisme. Pour les classes inférieures, centrées sur le perfectionnement du latin, la lecture de textes classiques et les exercices de rhétorique, on propose de nouvelles méthodes censées accélérer l’apprentissage. Les nouvelles éditions scolaires portent non seulement sur des traités antiques correspondant aux différentes disciplines qui composaient le cursus, mais aussi sur des traités modernes. Les régents font un effort de vulgarisation considérable. À l’instar d’Oronce Finé, ils sont à la fois auteurs de traités scientifiques et d’ouvrages scolaires qui abrègent leurs enseignements et les rendent compréhensibles aux élèves et aux étudiants. Pour le deuxième cycle d’enseignement, des ouvrages d’arithmétique, d’astronomie ou de musique remplacent les anciens manuels.
Les auteurs classiques s’invitent en classe
Selon les humanistes, le latin doit s’apprendre directement des auteurs latins ; il faut boire l’eau à sa source ! Ce sont les orateurs, les historiens et les poètes classiques qui nous enseignent l’art de la rhétorique mieux que n’importe quel traité. Pour en tirer un vrai profit, le contact avec la prose ou la poésie latine et grecque doit être direct, sans intermédiaire de commentaires. Ainsi, dans les collèges d’humanités, la lecture des auteurs classiques devient le pilier de l’enseignement. Un esprit formé par de pareilles lectures devient capable de tout, s’exclame le fils de Racine en louant l’éducation humaniste qu’a reçue son père dans les Petites Écoles de Port-Royal.
Un nouveau canon scolaire rempli d’œuvres convenables pour le jeune public se constitue petit à petit. Cicéron est en tête de tous les auteurs latins. Il est considéré comme le maître de l’éloquence et comme un moraliste judicieux. L’historien Tite-live est reconnu pour ses harangues et les narrations simples qui conviennent aux jeunes élèves, Virgile pour sa poésie élégante et honnête. Les Odes d’Horace et son Art Poétique sont à apprendre par cœur. Parmi les auteurs grecs, les œuvres morales de Plutarque sont jugées les plus belles et les plus utiles pour l’éducation des enfants. Ce corpus reste relativement stable jusqu’au XVIIIe siècle. La littérature de jeunesse n’existe pas encore, c’est dans les œuvres de l’Antiquité que l’on cherche des histoires passionnantes, des personnages attachants et les vertus à transmettre.
Or les humanistes se heurtent vite à un paradoxe. Les auteurs classiques qu’ils admirent tant n’étaient-ils pas païens ? Cette incongruité donne lieu à des éditions sélectives ou expurgées. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, la collection des ouvrages classiques, dite Ad usum Delphini, conçue à l’origine pour le fils de Louis XIV, trouve son chemin vers l’enseignement scolaire. Une autre façon de mettre les auteurs classiques à la portée des élèves sans heurter les mœurs, est de proposer des anthologies d’extraits (rédigés dans un latin plus familier) ou des recueils de sentences.
Usages du livre
Aujourd’hui, le respect pour le livre se traduit par le soin qu’on y apporte. Il n’est pas question de gribouiller dessus ! Pour les humanistes, respecter l’ouvrage, c’est se l’approprier, l’utiliser souvent, l’annoter. Lire c’est engager une conversation amicale avec les sages du passé comme nous l’ont dit Machiavel ou Montaigne.
Les textes classiques appartenant au corpus scolaire font l’objet d’éditions bon marché, appelées « feuilles classiques ». Ce sont des livrets de petit format avec des interlignes conséquents et des marges importantes, ainsi que des pages vierges que l’élève couvre avec ses notes. Ils constituent souvent des supports de cours. Les élèves ou les étudiants y notent les éclaircissements de leurs régents qui analysent les textes ligne à ligne, mot par mot, aussi bien du point de vue de la beauté de la langue que de l’enseignement moral ou philosophique contenu. Le maître prête parfois l’ouvrage pour que les élèves moins aisés puissent le copier. Les élèves retranscrivent souvent sous la dictée des professeurs certains textes canoniques comme les traités de rhétorique et de poétique, dans les cahiers qui sont spécialement conçus à cet effet.
Au-delà du monde livresque
De l’éducation antique, les pédagogues humanistes retiennent aussi l’idée de l’observation directe – non seulement l’observation des textes antiques pour retrouver leur pureté originelle, mais aussi l’observation de la nature. C’est, entre autres, l’avis de Barthélemy Latomus, lecteur de rhétorique, qui dit dans son discours prononcé le 25 octobre 1540 au Collège de France : La vraie science ne résulte pas seulement des livres. Elle résulte de l’usage et de l’expérience.
Ce principe pousse les humanistes à étudier le corps humain au lieu de se contenter de lire les livres d’anatomie, à observer le ciel, si l’on s’intéresse à l’astronomie. Certains enfants, comme les petits Ambroise Paré ou René Descartes sont portés vers l’exploration de l’homme et de la nature, considérant qu’il y a plus de choses à chercher encore qu’il n’y en a de trouvées.
La gloire des collèges d’humanités est au bout du compte relative. Montaigne, déçu des collèges de son temps, de vraies geôles pour une jeunesse captive, voit plus de profit à exercer le jugement des enfants en dehors de l’école : J’ay ouy tenir à gens d’entendement que ces colleges où on les envoie, dequoy ils ont foison, les abrutissent ainsin. […] Au nostre [l’enfant de bonne maison à éduquer], un cabinet, un jardin, la table et le lit, la solitude, la compaignie, le matin et le vespre, toutes heures luy seront unes, toutes places luy seront estude : car la philosophie, qui, comme formatrice des jugements et des meurs, sera sa principale leçon, a ce privilege de se mesler par tout.


Sur cet autel représentant Sainte Anne, la mère de la Vierge, avec toutes ses filles, les deux frères se disputent un livre. De quel livre s’agit-il ? Savent-ils lire déjà ? Le bébé assis plus bas joue avec un volume enluminé mis à l’envers. Visiblement, ce n’est pour lui qu’un curieux objet bariolé.
Quentin Massys, Triptyque de la confrérie Sainte-Anne à Louvain, vers 1507-1508 © Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles (WGA)

Ce jeune homme curieux étudie le globe céleste avec les constellations en forme d’animaux en le comparant à ses notes.
Olivier van Deuren, A Young Astronomer, vers 1685 © The National Gallery (Creative Commons licence)

Le manuel de latin, La porte ouverte des langues (Janua linguarum reserata), publié en 1629 par Comenius propose une nouvelle méthode d’apprentissage de langues. Le lecteur compare des phrases simples en latin à celles rédigées en langues vernaculaires. Cette méthode intuitive fut populaire parmi les régents de grammaire latine. Ce petit volume appartenait à un certain Charles Callot et contient ses notes marginales.
I. A. Comenii Janua aurea reserata duarum linguarum, sive compendiosa methodus latinam et gallicam linguam perdiscendi, sub titulis centum, periodis mille comprehensa, et vocabulis bis mille ad minimum aucta, trad. Nathanaël Duëz, Paris, C. Thiboust, 1659 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : NW)

Oronce Finé (1494-1555) fut un mathématicien, astronome et cartographe français, le premier titulaire de la chaire de Mathématiques au Collège de France (1530-1555). Il publia des traités d’arithmétique, de mathématiques et d’astronomie, mais aussi des ouvrages à usage scolaire comme ce manuel d’arithmétique en quatre livres dont le frontispice représente les personnifications des disciplines du trivium, deuxième cycle des arts libéraux, basé sur l’étude des chiffres.
Orontii Finei [...] arithmetica practica, libris quatuor [...] recens ab authore castigata, aucta et recognita, Paris, S. de Colines, 1535 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : NW)

Sur cette gravure provenant d’un manuel académique, l’allégorie de l’Astronomie est assise entre la muse Uranie qui préside à l’astronomie et l’astrologie et Ptolémée, astronome et géographe grec qui a observé les astres et décrit le ciel.
Johannes de Sacro Bosco, Textus de sphera Johannis de Sacrobosco cum additione [...] adjecta [...] illustratus cum compositione Anuli astronomici Boni Latensis, et geometria Euclidis Megarensisr, Paris, H. Estienne, 1511 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : NW)

Cette scène d’enseignement provient d’un manuel de musique, discipline faisant partie des arts libéraux qui repose sur l’étude des harmonies et nécessite une maîtrise des mathématiques.
Francesco Gafori, De harmonia musicorum instrumentorum opus..., Milan, G. Da Ponte, 1518 © Médiathèque Louis Aragon, Le Mans (Photo : NW)

Un imprimeur italien Alde Manuce (1449-1515) invente un nouveau format de livre « de poche » et les caractères imprimés bien lisibles pour mieux diffuser les chef-d’œuvres de la culture antique et les rendre à la portée de tous, y compris de la jeunesse studieuse. Ce tableau rend hommage à l’imprimeur humaniste en mettant entre les mains de ce jeune homme un livre de petit format.
Giovanni Cariani, L’Homme au livre vert, vers 1510-1520 © Fine Arts Museums de San Francisco

Les jeunes gens à la Renaissance lisaient aussi les auteurs contemporains à la mode à l’instar de ce jeune homme florentin qui tient à la main probablement un recueil de Pétrarque.
Agnolo Bronzino, Portrait d’un jeune homme, vers 1530 © Metropolitan Museum of Art

On recommande aux élèves la lecture des lettres familières de Cicéron écrites dans un style pur et simple.
Epistolarum selectarum Ciceronis. Libri tres. Quae ob perspicuitatem sententiarum, et rerum varietatem, literariis ludis congestae sunt, et distinctae, Veuve de J. Durant, M. Nicod, 1592 © Bibliothèque de Genève / e-rara

Les anthologies d’extraits ou les recueils de sentences tirées des textes antiques étaient plus aisément utilisables dans les collèges que les ouvrages entiers. L’étude du latin, surtout celui de Cicéron, était cruciale dans le parcours scolaire, car bien manier la langue signifiait bien penser et être capable, une fois adulte, de bien manier les choses. Ce recueil des Pensées de Cicéron du XVIIIe siècle est une traduction de l’édition latine publiée dans le cadre de la collection « à l’usage du Dauphin ».
Pensées de Cicéron, traduites, pour servir à l’éducation de la Jeunesse, par M. l’Abbé d’Olivet, de l’Académie Françoise, Paris, Barbou, 1764, p. 8-9 © Collection particulière de Natalia Wawrzyniak (Photo : NW)

Les régents annotaient leurs copies de textes canoniques qu’ils utilisaient en cours, en soulignant les passages, en les couvrant de notes, de traductions et d’explications, parfois aussi des corrections de coquilles ou d’erreurs, signe que l’ouvrage a été « bien digéré ».
Aristotelis eorum quae physica sequuntur, sive metaphysicorum, ut vocant, libri tredecim..., Paris, 1553 © Angers, Ville d’Angers, Bibliothèque municipale, Rés. SA 247 (Photo : M.-É. Gautier).
Ce livre a été numérisé dans le cadre du projet “Bibliothèques humanistes ligériennes” - Equipex Biblissima (Commulysse).

Ce cahier avec les gravures des auteurs classiques et contemporains, fut utilisé pour y noter les textes théoriques portant sur la rhétorique et la poésie, parsemés d’extraits littéraires en guise d’exemples.
Portrait de Cicéron, dans Institutiones oratoriae [cahier de cours], XVIIIe s. © Angers, Ville d’Angers, Bibliothèque municipale, MS 504 (487) (Photo : NW)

D’un côté, l’exploration de la nature procure à l’enfant la connaissance directe des choses. De l’autre côté, Comenius considère que le maître d’école est comme le jardinier qui soigne ses plantes selon leurs besoins et leurs possibilités.
Charles Le Brun, d’après François Desportes, Les Enfants jardiniers. Été. Enfants arrosant et jouant avec un chien, vers 1717 © RMN-Grand Palais (Château de Pau) / René-Gabriel Ojéda

À la verité, nous voyons encores qu’il n’est rien si gentil [noble] que les petits enfans en France : mais ordinairement ils trompent l’esperance qu’on en a conceue, et, hommes faicts, on n’y voit aucune excellence. J’ay ouy tenir à gens d’entendement que ces colleges où on les envoie, dequoy ils ont foison, les abrutissent ainsi, écrit Montaigne dans le chapitre « De l’Institution des enfans » (Essais, I, 26).
Essais de Michel seigneur de Montaigne, Paris, A. L’Angelier, 1588 © BnF/Gallica
