Chapitre I
L’ENFANT, UN ÊTRE À FORMER
NOUVEAUX LIEUX, NOUVELLES INSTITUTIONS
DES RÉGENTS ET D’ANCIENS ÉLÈVES TÉMOIGNENT
BIBLIOTHÈQUE SONORE

Les leçons de monsieur et madame de La Tour Landry

Thomas More ne fut pas le premier à vouloir éduquer soigneusement ses filles en père aimant. Un ouvrage didactique médiéval écrit par un autre père pour ses filles reste lu et apprécié au XVIe siècle, presqu’au même titre que les nouveaux traités humanistes sur l’éducation féminine, alors même que les « miroirs » médiévaux sont désormais passés de mode en Europe. Il s’agit du Livre du Chevalier de La Tour Landry pour l’enseignement de ses filles, écrit dans les années 1371-1372 par Geoffroi de La Tour Landry (né vers 1330, mort entre 1402 et 1406), un noble qui vécut dans le château près d’Angers.
Il se présente comme un père soucieux du bonheur de ses enfants. Face à un monde dangereux, hypocrite et difficile à comprendre, le père donne des leçons à ses filles adolescentes. Responsable de leur avenir, conscient de leur fragilité, inquiet de leur faiblesse féminine, il les dote d’un savoir pratique et moral qui leur permettra de vivre de façon digne dans un monde souvent décevant. Les jeunes filles, ayant assimilé la leçon paternelle qui fait appel à l’histoire sainte et profane, pourront éviter les erreurs et les pièges du monde, devenir des épouses parfaites et tenir leur place dans la société.
Pourquoi les lecteurs, ou plutôt les lectrices du XVIe siècle, trouvent-elles plaisir à lire un ouvrage didactique médiéval ? Il faut souligner que cet enseignement traditionnel, même celui concernant les choses les plus triviales – Comment contenir sa jalousie ? Comment se comporter à table ? – passe à travers la lecture, car le père offre à ses filles un livre qui leur est spécialement destiné. Il se montre un éducateur éclairé, car contrairement aux opinions de certains moralistes de son temps, il prône l’utilité et même la nécessité de l’apprentissage de la lecture aux femmes. Même si l’enseignement donné par le livre s’avère traditionnel et conformiste, véhiculant le modèle d’une épouse soumise, patiente et docile, il se distingue par la présence des fortes personnalités féminines. Pour justifier son projet, l’auteur évoque la lignée des femmes-pédagogues et fait appel aux autorités féminines : d’abord à Élisabeth de Bosnie, auteure présumée du Manuel d’éducation pour ses filles, ensuite à Olive de Belleville, sa parente et « dame honorable » à travers laquelle il montre à ses filles un idéal féminin vivant – modèle moral, religieux et intellectuel. Enfin, dans un dialogue fictif qui occupe tout un chapitre, il donne la parole à sa femme. Madame de La Tour Landry revendique le droit d’avoir une opinion différente de celle de son époux. S’appuyant sur son expérience et la sagesse pratique, elle présente un point de vue féminin, opposé aux idées masculines.
Les enseignements de monsieur et madame de La Tour Landry trouvent leurs amatrices dans toute l’Europe et dans toutes les couches sociales. Au Moyen Âge, le Livre du Chevalier de La Tour Landry jouit d’une grande popularité. Il connut aussi un succès important hors de France : au XVe siècle, paraissent deux traductions anglaises et une allemande. Les exemplaires du Livre pour l’enseignement de ses filles se retrouvent dans des bibliothèques féminines, celles notamment de Charlotte de Savoie (1441/3-1483), femme de Louis XI et reine de France, et de sa fille Anne de France (1461-1522), princesse et régente, elle-même auteure d’un ouvrage pédagogique intitulé Enseignements (1503-1504) et dédié à sa fille Suzanne. Ce manuel médiéval se trouve aussi en possession de Marie de Clèves (1553-1574), la cousine d’Henri de Navarre, élevée par la mère de ce dernier, Jeanne d’Albret.


En France la première édition du Livre paraît à Paris, en 1514, chez Guillaume Eustace, libraire du roi. Sur la gravure initiale, le Chevalier est représenté armé de pied en cap, exhibant avec fierté son château, symbole de son statut social. La scène est située dans un paysage printanier qui sert de cadre au prologue.
Geoffroi de La Tour Landry, Le chevalier de la Tour et le Guidon des guerres, Paris, G. Eustace, 1514, f. b i r° © BnF/Gallica


Une vingtaine de manuscrits conservés témoigne du succès que connut l’ouvrage du Chevalier au Moyen Âge. Pour la plupart il s’agit d’exemplaires soignés et coûteux, ornés de miniatures. Bien que – grâce aux historiens – on connaisse les prénoms des jeunes filles : Marie, Jeanne et Anne, ils ne sont jamais évoqués dans le Livre. L’auteur s’adresse à ses destinataires le plus souvent en employant les termes : mes chères filles ou mes belles filles. Sur les enluminures on peut voir le père accompagné tantôt de trois, tantôt de deux personnages féminins.
Geoffroi de La Tour Landry, Le livre intitulé du Chevalier de la Tour qui fut fait pour l’enseignement des femmes mariées et à marier, XVe s., f. 5 r° © BnF/Gallica (Français 1190)


Pour souligner l’importance d’instruire les femmes, leur apprendre sagesse et piété, le Chevalier évoque la mère de la prophétesse biblique Débora qui met sa fille à l’école de sagesse et du saint esprit.
Geoffroi de La Tour Landry, Le chevalier de la Tour et le Guidon des guerres, Paris, G. Eustace, 1514, f. 44 v° © BnF/Gallica



En Allemagne le Livre fut traduit par le chevalier Marquard vom Stein (vers 1425-1495/96) qui se disait aussi père de jeunes filles. La fortune littéraire de cette traduction fut considérable, car le livre fut réimprimé plusieurs fois au XVe, au XVIe et même encore au XVIIe siècle. Il fut illustré de magnifiques gravures sur bois attribuées à Albrecht Dürer. Sur la dernière image on voit le père en train d’offrir son livre à ses filles.
Geoffroi de La Tour Landry, Livre pour l’enseignement de ses filles [Der Ritter vom Turm], 1498, trad. Marquard vom Stein, Augsburg, J. Schönsperger, 1498, f. 72 v° © Staatsbibliothek zu Berlin


Le Livre du Chevalier de La Tour Landry fait partie de ces œuvres qui évoluent avec les époques. Dans la deuxième moitié du XVIe siècle, son manuel sert toujours à éduquer les nobles demoiselles, alors que les personnages sur les illustrations, nés deux siècles plus tôt, portent les habits contemporains.
Geoffroy de La Tour Landry, Ritter vom Thurm. Zuchtmeister der Weiber und Jungfrawen auß biblischen und weltlichen Historien, Francfort-sur-le-Main, M. Lechler, S. Feyerabend, 1572, p. 173 © Bayerische Staatsbibliothek


Fille aînée de Louis XI et de Charlotte de Savoie, Anne était la sœur de Charles VIII. C’est à ce titre qu’elle assura la régence du royaume durant la minorité de son frère, faisant preuve des mêmes qualités politiques que son père. De son mariage avec le duc Pierre de Bourbon, elle eut une fille, Suzanne. C’est à son intention qu’elle mit par écrit des Enseignements, conçus comme un recueil de conseils donnés à une jeune princesse au seuil de sa vie d’adulte, mais aussi comme son testament, un abrégé de sa propre sagesse. La première édition savante de l’ouvrage fut effectuée au XIXe siècle par Martial-Alphonse Chazaud, d’après le manuscrit aujourd’hui perdu et duquel le graveur Armand Queyroy a recopié les miniatures. La première gravure présente Anne de France avec sa fille.
Anne de France, Les Enseignements d’Anne de France, duchesse de Bourbonnais et d’Auvergne, à sa fille Susanne de Bourbon, éd. A.-M. Chazaud, Moulins, Desrosiers, 1878 (www.archives.org)

Les leçons de monsieur et madame de La Tour Landry

Thomas More ne fut pas le premier à vouloir éduquer soigneusement ses filles en père aimant. Un ouvrage didactique médiéval écrit par un autre père pour ses filles reste lu et apprécié au XVIe siècle, presqu’au même titre que les nouveaux traités humanistes sur l’éducation féminine, alors même que les « miroirs » médiévaux sont désormais passés de mode en Europe. Il s’agit du Livre du Chevalier de La Tour Landry pour l’enseignement de ses filles, écrit dans les années 1371-1372 par Geoffroi de La Tour Landry (né vers 1330, mort entre 1402 et 1406), un noble qui vécut dans le château près d’Angers.
Il se présente comme un père soucieux du bonheur de ses enfants. Face à un monde dangereux, hypocrite et difficile à comprendre, le père donne des leçons à ses filles adolescentes. Responsable de leur avenir, conscient de leur fragilité, inquiet de leur faiblesse féminine, il les dote d’un savoir pratique et moral qui leur permettra de vivre de façon digne dans un monde souvent décevant. Les jeunes filles, ayant assimilé la leçon paternelle qui fait appel à l’histoire sainte et profane, pourront éviter les erreurs et les pièges du monde, devenir des épouses parfaites et tenir leur place dans la société.
Pourquoi les lecteurs, ou plutôt les lectrices du XVIe siècle, trouvent-elles plaisir à lire un ouvrage didactique médiéval ? Il faut souligner que cet enseignement traditionnel, même celui concernant les choses les plus triviales – Comment contenir sa jalousie ? Comment se comporter à table ? – passe à travers la lecture, car le père offre à ses filles un livre qui leur est spécialement destiné. Il se montre un éducateur éclairé, car contrairement aux opinions de certains moralistes de son temps, il prône l’utilité et même la nécessité de l’apprentissage de la lecture aux femmes. Même si l’enseignement donné par le livre s’avère traditionnel et conformiste, véhiculant le modèle d’une épouse soumise, patiente et docile, il se distingue par la présence des fortes personnalités féminines. Pour justifier son projet, l’auteur évoque la lignée des femmes-pédagogues et fait appel aux autorités féminines : d’abord à Élisabeth de Bosnie, auteure présumée du Manuel d’éducation pour ses filles, ensuite à Olive de Belleville, sa parente et « dame honorable » à travers laquelle il montre à ses filles un idéal féminin vivant – modèle moral, religieux et intellectuel. Enfin, dans un dialogue fictif qui occupe tout un chapitre, il donne la parole à sa femme. Madame de La Tour Landry revendique le droit d’avoir une opinion différente de celle de son époux. S’appuyant sur son expérience et la sagesse pratique, elle présente un point de vue féminin, opposé aux idées masculines.
Les enseignements de monsieur et madame de La Tour Landry trouvent leurs amatrices dans toute l’Europe et dans toutes les couches sociales. Au Moyen Âge, le Livre du Chevalier de La Tour Landry jouit d’une grande popularité. Il connut aussi un succès important hors de France : au XVe siècle, paraissent deux traductions anglaises et une allemande. Les exemplaires du Livre pour l’enseignement de ses filles se retrouvent dans des bibliothèques féminines, celles notamment de Charlotte de Savoie (1441/3-1483), femme de Louis XI et reine de France, et de sa fille Anne de France (1461-1522), princesse et régente, elle-même auteure d’un ouvrage pédagogique intitulé Enseignements (1503-1504) et dédié à sa fille Suzanne. Ce manuel médiéval se trouve aussi en possession de Marie de Clèves (1553-1574), la cousine d’Henri de Navarre, élevée par la mère de ce dernier, Jeanne d’Albret.


En France la première édition du Livre paraît à Paris, en 1514, chez Guillaume Eustace, libraire du roi. Sur la gravure initiale, le Chevalier est représenté armé de pied en cap, exhibant avec fierté son château, symbole de son statut social. La scène est située dans un paysage printanier qui sert de cadre au prologue.
Geoffroi de La Tour Landry, Le chevalier de la Tour et le Guidon des guerres, Paris, G. Eustace, 1514, f. b i r° © BnF/Gallica


Une vingtaine de manuscrits conservés témoigne du succès que connut l’ouvrage du Chevalier au Moyen Âge. Pour la plupart il s’agit d’exemplaires soignés et coûteux, ornés de miniatures. Bien que – grâce aux historiens – on connaisse les prénoms des jeunes filles : Marie, Jeanne et Anne, ils ne sont jamais évoqués dans le Livre. L’auteur s’adresse à ses destinataires le plus souvent en employant les termes : mes chères filles ou mes belles filles. Sur les enluminures on peut voir le père accompagné tantôt de trois, tantôt de deux personnages féminins.
Geoffroi de La Tour Landry, Le livre intitulé du Chevalier de la Tour qui fut fait pour l’enseignement des femmes mariées et à marier, XVe s., f. 5 r° © BnF/Gallica (Français 1190)


Pour souligner l’importance d’instruire les femmes, leur apprendre sagesse et piété, le Chevalier évoque la mère de la prophétesse biblique Débora qui met sa fille à l’école de sagesse et du saint esprit.
Geoffroi de La Tour Landry, Le chevalier de la Tour et le Guidon des guerres, Paris, G. Eustace, 1514, f. 44 v° © BnF/Gallica



En Allemagne le Livre fut traduit par le chevalier Marquard vom Stein (vers 1425-1495/96) qui se disait aussi père de jeunes filles. La fortune littéraire de cette traduction fut considérable, car le livre fut réimprimé plusieurs fois au XVe, au XVIe et même encore au XVIIe siècle. Il fut illustré de magnifiques gravures sur bois attribuées à Albrecht Dürer. Sur la dernière image on voit le père en train d’offrir son livre à ses filles.
Geoffroi de La Tour Landry, Livre pour l’enseignement de ses filles [Der Ritter vom Turm], 1498, trad. Marquard vom Stein, Augsburg, J. Schönsperger, 1498, f. 72 v° © Staatsbibliothek zu Berlin


Le Livre du Chevalier de La Tour Landry fait partie de ces œuvres qui évoluent avec les époques. Dans la deuxième moitié du XVIe siècle, son manuel sert toujours à éduquer les nobles demoiselles, alors que les personnages sur les illustrations, nés deux siècles plus tôt, portent les habits contemporains.
Geoffroy de La Tour Landry, Ritter vom Thurm. Zuchtmeister der Weiber und Jungfrawen auß biblischen und weltlichen Historien, Francfort-sur-le-Main, M. Lechler, S. Feyerabend, 1572, p. 173 © Bayerische Staatsbibliothek


Fille aînée de Louis XI et de Charlotte de Savoie, Anne était la sœur de Charles VIII. C’est à ce titre qu’elle assura la régence du royaume durant la minorité de son frère, faisant preuve des mêmes qualités politiques que son père. De son mariage avec le duc Pierre de Bourbon, elle eut une fille, Suzanne. C’est à son intention qu’elle mit par écrit des Enseignements, conçus comme un recueil de conseils donnés à une jeune princesse au seuil de sa vie d’adulte, mais aussi comme son testament, un abrégé de sa propre sagesse. La première édition savante de l’ouvrage fut effectuée au XIXe siècle par Martial-Alphonse Chazaud, d’après le manuscrit aujourd’hui perdu et duquel le graveur Armand Queyroy a recopié les miniatures. La première gravure présente Anne de France avec sa fille.
Anne de France, Les Enseignements d’Anne de France, duchesse de Bourbonnais et d’Auvergne, à sa fille Susanne de Bourbon, éd. A.-M. Chazaud, Moulins, Desrosiers, 1878 (www.archives.org)

Les leçons de monsieur et madame de La Tour Landry

Thomas More ne fut pas le premier à vouloir éduquer soigneusement ses filles en père aimant. Un ouvrage didactique médiéval écrit par un autre père pour ses filles reste lu et apprécié au XVIe siècle, presqu’au même titre que les nouveaux traités humanistes sur l’éducation féminine, alors même que les « miroirs » médiévaux sont désormais passés de mode en Europe. Il s’agit du Livre du Chevalier de La Tour Landry pour l’enseignement de ses filles, écrit dans les années 1371-1372 par Geoffroi de La Tour Landry (né vers 1330, mort entre 1402 et 1406), un noble qui vécut dans le château près d’Angers.
Il se présente comme un père soucieux du bonheur de ses enfants. Face à un monde dangereux, hypocrite et difficile à comprendre, le père donne des leçons à ses filles adolescentes. Responsable de leur avenir, conscient de leur fragilité, inquiet de leur faiblesse féminine, il les dote d’un savoir pratique et moral qui leur permettra de vivre de façon digne dans un monde souvent décevant. Les jeunes filles, ayant assimilé la leçon paternelle qui fait appel à l’histoire sainte et profane, pourront éviter les erreurs et les pièges du monde, devenir des épouses parfaites et tenir leur place dans la société.
Pourquoi les lecteurs, ou plutôt les lectrices du XVIe siècle, trouvent-elles plaisir à lire un ouvrage didactique médiéval ? Il faut souligner que cet enseignement traditionnel, même celui concernant les choses les plus triviales – Comment contenir sa jalousie ? Comment se comporter à table ? – passe à travers la lecture, car le père offre à ses filles un livre qui leur est spécialement destiné. Il se montre un éducateur éclairé, car contrairement aux opinions de certains moralistes de son temps, il prône l’utilité et même la nécessité de l’apprentissage de la lecture aux femmes. Même si l’enseignement donné par le livre s’avère traditionnel et conformiste, véhiculant le modèle d’une épouse soumise, patiente et docile, il se distingue par la présence des fortes personnalités féminines. Pour justifier son projet, l’auteur évoque la lignée des femmes-pédagogues et fait appel aux autorités féminines : d’abord à Élisabeth de Bosnie, auteure présumée du Manuel d’éducation pour ses filles, ensuite à Olive de Belleville, sa parente et « dame honorable » à travers laquelle il montre à ses filles un idéal féminin vivant – modèle moral, religieux et intellectuel. Enfin, dans un dialogue fictif qui occupe tout un chapitre, il donne la parole à sa femme. Madame de La Tour Landry revendique le droit d’avoir une opinion différente de celle de son époux. S’appuyant sur son expérience et la sagesse pratique, elle présente un point de vue féminin, opposé aux idées masculines.
Les enseignements de monsieur et madame de La Tour Landry trouvent leurs amatrices dans toute l’Europe et dans toutes les couches sociales. Au Moyen Âge, le Livre du Chevalier de La Tour Landry jouit d’une grande popularité. Il connut aussi un succès important hors de France : au XVe siècle, paraissent deux traductions anglaises et une allemande. Les exemplaires du Livre pour l’enseignement de ses filles se retrouvent dans des bibliothèques féminines, celles notamment de Charlotte de Savoie (1441/3-1483), femme de Louis XI et reine de France, et de sa fille Anne de France (1461-1522), princesse et régente, elle-même auteure d’un ouvrage pédagogique intitulé Enseignements (1503-1504) et dédié à sa fille Suzanne. Ce manuel médiéval se trouve aussi en possession de Marie de Clèves (1553-1574), la cousine d’Henri de Navarre, élevée par la mère de ce dernier, Jeanne d’Albret.


En France la première édition du Livre paraît à Paris, en 1514, chez Guillaume Eustace, libraire du roi. Sur la gravure initiale, le Chevalier est représenté armé de pied en cap, exhibant avec fierté son château, symbole de son statut social. La scène est située dans un paysage printanier qui sert de cadre au prologue.
Geoffroi de La Tour Landry, Le chevalier de la Tour et le Guidon des guerres, Paris, G. Eustace, 1514, f. b i r° © BnF/Gallica


Une vingtaine de manuscrits conservés témoigne du succès que connut l’ouvrage du Chevalier au Moyen Âge. Pour la plupart il s’agit d’exemplaires soignés et coûteux, ornés de miniatures. Bien que – grâce aux historiens – on connaisse les prénoms des jeunes filles : Marie, Jeanne et Anne, ils ne sont jamais évoqués dans le Livre. L’auteur s’adresse à ses destinataires le plus souvent en employant les termes : mes chères filles ou mes belles filles. Sur les enluminures on peut voir le père accompagné tantôt de trois, tantôt de deux personnages féminins.
Geoffroi de La Tour Landry, Le livre intitulé du Chevalier de la Tour qui fut fait pour l’enseignement des femmes mariées et à marier, XVe s., f. 5 r° © BnF/Gallica (Français 1190)


Pour souligner l’importance d’instruire les femmes, leur apprendre sagesse et piété, le Chevalier évoque la mère de la prophétesse biblique Débora qui met sa fille à l’école de sagesse et du saint esprit.
Geoffroi de La Tour Landry, Le chevalier de la Tour et le Guidon des guerres, Paris, G. Eustace, 1514, f. 44 v° © BnF/Gallica



En Allemagne le Livre fut traduit par le chevalier Marquard vom Stein (vers 1425-1495/96) qui se disait aussi père de jeunes filles. La fortune littéraire de cette traduction fut considérable, car le livre fut réimprimé plusieurs fois au XVe, au XVIe et même encore au XVIIe siècle. Il fut illustré de magnifiques gravures sur bois attribuées à Albrecht Dürer. Sur la dernière image on voit le père en train d’offrir son livre à ses filles.
Geoffroi de La Tour Landry, Livre pour l’enseignement de ses filles [Der Ritter vom Turm], 1498, trad. Marquard vom Stein, Augsburg, J. Schönsperger, 1498, f. 72 v° © Staatsbibliothek zu Berlin


Le Livre du Chevalier de La Tour Landry fait partie de ces œuvres qui évoluent avec les époques. Dans la deuxième moitié du XVIe siècle, son manuel sert toujours à éduquer les nobles demoiselles, alors que les personnages sur les illustrations, nés deux siècles plus tôt, portent les habits contemporains.
Geoffroy de La Tour Landry, Ritter vom Thurm. Zuchtmeister der Weiber und Jungfrawen auß biblischen und weltlichen Historien, Francfort-sur-le-Main, M. Lechler, S. Feyerabend, 1572, p. 173 © Bayerische Staatsbibliothek


Fille aînée de Louis XI et de Charlotte de Savoie, Anne était la sœur de Charles VIII. C’est à ce titre qu’elle assura la régence du royaume durant la minorité de son frère, faisant preuve des mêmes qualités politiques que son père. De son mariage avec le duc Pierre de Bourbon, elle eut une fille, Suzanne. C’est à son intention qu’elle mit par écrit des Enseignements, conçus comme un recueil de conseils donnés à une jeune princesse au seuil de sa vie d’adulte, mais aussi comme son testament, un abrégé de sa propre sagesse. La première édition savante de l’ouvrage fut effectuée au XIXe siècle par Martial-Alphonse Chazaud, d’après le manuscrit aujourd’hui perdu et duquel le graveur Armand Queyroy a recopié les miniatures. La première gravure présente Anne de France avec sa fille.
Anne de France, Les Enseignements d’Anne de France, duchesse de Bourbonnais et d’Auvergne, à sa fille Susanne de Bourbon, éd. A.-M. Chazaud, Moulins, Desrosiers, 1878 (www.archives.org)


Les leçons de monsieur et madame de La Tour Landry

Thomas More ne fut pas le premier à vouloir éduquer soigneusement ses filles en père aimant. Un ouvrage didactique médiéval écrit par un autre père pour ses filles reste lu et apprécié au XVIe siècle, presqu’au même titre que les nouveaux traités humanistes sur l’éducation féminine, alors même que les « miroirs » médiévaux sont désormais passés de mode en Europe. Il s’agit du Livre du Chevalier de La Tour Landry pour l’enseignement de ses filles, écrit dans les années 1371-1372 par Geoffroi de La Tour Landry (né vers 1330, mort entre 1402 et 1406), un noble qui vécut dans le château près d’Angers.
Il se présente comme un père soucieux du bonheur de ses enfants. Face à un monde dangereux, hypocrite et difficile à comprendre, le père donne des leçons à ses filles adolescentes. Responsable de leur avenir, conscient de leur fragilité, inquiet de leur faiblesse féminine, il les dote d’un savoir pratique et moral qui leur permettra de vivre de façon digne dans un monde souvent décevant. Les jeunes filles, ayant assimilé la leçon paternelle qui fait appel à l’histoire sainte et profane, pourront éviter les erreurs et les pièges du monde, devenir des épouses parfaites et tenir leur place dans la société.
Pourquoi les lecteurs, ou plutôt les lectrices du XVIe siècle, trouvent-elles plaisir à lire un ouvrage didactique médiéval ? Il faut souligner que cet enseignement traditionnel, même celui concernant les choses les plus triviales – Comment contenir sa jalousie ? Comment se comporter à table ? – passe à travers la lecture, car le père offre à ses filles un livre qui leur est spécialement destiné. Il se montre un éducateur éclairé, car contrairement aux opinions de certains moralistes de son temps, il prône l’utilité et même la nécessité de l’apprentissage de la lecture aux femmes. Même si l’enseignement donné par le livre s’avère traditionnel et conformiste, véhiculant le modèle d’une épouse soumise, patiente et docile, il se distingue par la présence des fortes personnalités féminines. Pour justifier son projet, l’auteur évoque la lignée des femmes-pédagogues et fait appel aux autorités féminines : d’abord à Élisabeth de Bosnie, auteure présumée du Manuel d’éducation pour ses filles, ensuite à Olive de Belleville, sa parente et « dame honorable » à travers laquelle il montre à ses filles un idéal féminin vivant – modèle moral, religieux et intellectuel. Enfin, dans un dialogue fictif qui occupe tout un chapitre, il donne la parole à sa femme. Madame de La Tour Landry revendique le droit d’avoir une opinion différente de celle de son époux. S’appuyant sur son expérience et la sagesse pratique, elle présente un point de vue féminin, opposé aux idées masculines.
Les enseignements de monsieur et madame de La Tour Landry trouvent leurs amatrices dans toute l’Europe et dans toutes les couches sociales. Au Moyen Âge, le Livre du Chevalier de La Tour Landry jouit d’une grande popularité. Il connut aussi un succès important hors de France : au XVe siècle, paraissent deux traductions anglaises et une allemande. Les exemplaires du Livre pour l’enseignement de ses filles se retrouvent dans des bibliothèques féminines, celles notamment de Charlotte de Savoie (1441/3-1483), femme de Louis XI et reine de France, et de sa fille Anne de France (1461-1522), princesse et régente, elle-même auteure d’un ouvrage pédagogique intitulé Enseignements (1503-1504) et dédié à sa fille Suzanne. Ce manuel médiéval se trouve aussi en possession de Marie de Clèves (1553-1574), la cousine d’Henri de Navarre, élevée par la mère de ce dernier, Jeanne d’Albret.


En France la première édition du Livre paraît à Paris, en 1514, chez Guillaume Eustace, libraire du roi. Sur la gravure initiale, le Chevalier est représenté armé de pied en cap, exhibant avec fierté son château, symbole de son statut social. La scène est située dans un paysage printanier qui sert de cadre au prologue.
Geoffroi de La Tour Landry, Le chevalier de la Tour et le Guidon des guerres, Paris, G. Eustace, 1514, f. b i r° © BnF/Gallica


Une vingtaine de manuscrits conservés témoigne du succès que connut l’ouvrage du Chevalier au Moyen Âge. Pour la plupart il s’agit d’exemplaires soignés et coûteux, ornés de miniatures. Bien que – grâce aux historiens – on connaisse les prénoms des jeunes filles : Marie, Jeanne et Anne, ils ne sont jamais évoqués dans le Livre. L’auteur s’adresse à ses destinataires le plus souvent en employant les termes : mes chères filles ou mes belles filles. Sur les enluminures on peut voir le père accompagné tantôt de trois, tantôt de deux personnages féminins.
Geoffroi de La Tour Landry, Le livre intitulé du Chevalier de la Tour qui fut fait pour l’enseignement des femmes mariées et à marier, XVe s., f. 5 r° © BnF/Gallica (Français 1190)


Pour souligner l’importance d’instruire les femmes, leur apprendre sagesse et piété, le Chevalier évoque la mère de la prophétesse biblique Débora qui met sa fille à l’école de sagesse et du saint esprit.
Geoffroi de La Tour Landry, Le chevalier de la Tour et le Guidon des guerres, Paris, G. Eustace, 1514, f. 44 v° © BnF/Gallica



En Allemagne le Livre fut traduit par le chevalier Marquard vom Stein (vers 1425-1495/96) qui se disait aussi père de jeunes filles. La fortune littéraire de cette traduction fut considérable, car le livre fut réimprimé plusieurs fois au XVe, au XVIe et même encore au XVIIe siècle. Il fut illustré de magnifiques gravures sur bois attribuées à Albrecht Dürer. Sur la dernière image on voit le père en train d’offrir son livre à ses filles.
Geoffroi de La Tour Landry, Livre pour l’enseignement de ses filles [Der Ritter vom Turm], 1498, trad. Marquard vom Stein, Augsburg, J. Schönsperger, 1498, f. 72 v° © Staatsbibliothek zu Berlin


Le Livre du Chevalier de La Tour Landry fait partie de ces œuvres qui évoluent avec les époques. Dans la deuxième moitié du XVIe siècle, son manuel sert toujours à éduquer les nobles demoiselles, alors que les personnages sur les illustrations, nés deux siècles plus tôt, portent les habits contemporains.
Geoffroy de La Tour Landry, Ritter vom Thurm. Zuchtmeister der Weiber und Jungfrawen auß biblischen und weltlichen Historien, Francfort-sur-le-Main, M. Lechler, S. Feyerabend, 1572, p. 173 © Bayerische Staatsbibliothek


Fille aînée de Louis XI et de Charlotte de Savoie, Anne était la sœur de Charles VIII. C’est à ce titre qu’elle assura la régence du royaume durant la minorité de son frère, faisant preuve des mêmes qualités politiques que son père. De son mariage avec le duc Pierre de Bourbon, elle eut une fille, Suzanne. C’est à son intention qu’elle mit par écrit des Enseignements, conçus comme un recueil de conseils donnés à une jeune princesse au seuil de sa vie d’adulte, mais aussi comme son testament, un abrégé de sa propre sagesse. La première édition savante de l’ouvrage fut effectuée au XIXe siècle par Martial-Alphonse Chazaud, d’après le manuscrit aujourd’hui perdu et duquel le graveur Armand Queyroy a recopié les miniatures. La première gravure présente Anne de France avec sa fille.
Anne de France, Les Enseignements d’Anne de France, duchesse de Bourbonnais et d’Auvergne, à sa fille Susanne de Bourbon, éd. A.-M. Chazaud, Moulins, Desrosiers, 1878 (www.archives.org)
