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Chapitre I

L’ENFANT, UN ÊTRE À FORMER

NOUVEAUX LIEUX, NOUVELLES INSTITUTIONS

DES RÉGENTS ET D’ANCIENS ÉLÈVES TÉMOIGNENT

BIBLIOTHÈQUE SONORE

La redécouverte du grec

1.2.3.2. La redécouverte du grec

Apprendre le grec, pour quoi faire ? Les humanistes ont à combattre – hier comme aujourd’hui – une pression sociale généralement hostile à ce qui n’est pas directement utile. Ils ont beau jeu alors de citer ce précepte d’Aristote : Chercher partout l’utile ne convient pas à des âmes vraiment grandes et à des hommes vraiment libres.

À la Renaissance, l’essor du grec ancien provient de l’arrivée en Europe de professeurs exilés. Il s’agit d’érudits byzantins comme Janus Lascaris (1445-1535) qui ont migré en Italie et en France après la chute de Constantinople au milieu du XVe siècle. Des régents comme Dorat, de jeunes poètes comme Ronsard et Baïf se passionnent pour les lettres grecques. Le jeune François Rabelais voue un véritable culte au restaurateur des études grecques en France, Guillaume Budé. Des savants humanistes professent même qu’il n’y a jamais eu de plus belle langue que le grec.

Engouements et réticences

Dans certaines familles où l’humanisme se cultive depuis plusieurs générations – comme chez les Estienne, une dynastie de libraires-imprimeurs – on ne parle que latin à la maison et l’on évolue entouré de livres grecs. C’est ainsi que le jeune Henri, qui se destine à devenir un érudit, lit Homère dans le texte et apporte son aide à son père pour une édition savante d’auteurs grecs alors qu’il est encore adolescent. Mieux encore, Théodore Agrippa d’Aubigné est si précocément et si bien instruit dans « les trois langues » (latin, grec, hébreu) par ses précepteurs particuliers qu’il est capable, sous leur conduite, de traduire un dialogue de Platon, le Criton, à l’âge de sept ans.

Dans le monde scolaire, des nuances se font jour néanmoins entre des établissements protestants davantage « philhellènes » (favorables au grec) et des établissements catholiques plus méfiants. Certes, les précepteurs des dauphins royaux doivent être lettrés en grec et le collège jésuite de La Flèche est pourvu d’un professeur de grec dès 1604. Mais l’Église continue à avoir de fortes préventions contre cette langue ancienne. Elle reproche à l’étude du grec d’encourager le libre examen et l’individualisme en donnant un accès direct aux Evangiles, sans passer par les traductions latines et les commentaires autorisés. Elle ne voit non plus d’un bon œil l’intérêt porté à de faux dieux et à des cultes païens. Quant à la lecture d’auteurs profanes enthousiasmants comme Homère, elle risque tout bonnement de détourner les esprits de la théologie. On connaît les démêlés de Frère François (Rabelais) avec ses supérieurs au couvent franciscain de Fontenay-le-Comte en Vendée : il se fait régulièrement confisquer ses livres grecs, sur ordre de la faculté de théologie de la Sorbonne. Les théologiens qui s’opposent à l’apprentissage du grec en invoquant le prétexte de la religion sont des ennemis du genre humain aux yeux des humanistes : ils sont plus féroces que les ours, selon le mot de Melanchthon.

Recréer une littérature antique pour former des chrétiens

Dans l’ensemble des lieux d’enseignement, le but est de former des chrétiens : les maîtres sont des « hommes de Dieu », des prières sont dites en classe et la chapelle du collège représente le centre géographique de l’établissement. Que les régents soient des Frères de la Vie commune, des jésuites, des réformés ou des jansénistes, tous s’accordent sur le principe d’une éducation confessionnelle. Dès la fin du XVIe siècle, on se demande donc comment faire pour éviter que l’apprentissage des humanités ou la connaissance des cultes païens n’entrent en contradiction avec les modèles chrétiens.

Il est vrai que l’enseignement élémentaire n’est pas concerné par l’introduction du grec et que les collèges eux-mêmes restent avant tout des écoles de latinité où l’enseignement est fondé sur les disciplines du trivium médiéval (grammaire, rhétorique, dialectique). Quintilien et Cicéron y sont mis à l’honneur, bien plus que Platon ou Homère. Mais, à mesure que des classes de niveaux sont introduites, la place faite à des « éléments d’humanités », limitée dans les classes dites de « grammaire », va s’agrandissant à partir de la quatrième, avec des lectures d’auteurs grecs et latins dans le texte, de larges passages littéraires à mémoriser, des exercices de traduction et de composition en vers et en prose.

Dans les années 1530, les premiers manuels d’apprentissage du grec font leur apparition pour un usage scolaire. On réfléchit aux bonnes méthodes pour apprendre le grec. Un cursus progressif se met en place : l’élève, déjà bien avancé en latin, commence par traduire des fables d’Esope, avant de passer à Lucien l’année suivante et enfin aux discours de Démosthène – pour prendre l’exemple du Gymnase de Strasbourg au temps de Jean Sturm.

De leur côté, les écoles jésuites prennent des dispositions pour mettre au programme des textes des Pères de l’Église grecque à côté des auteurs païens. Dans le même mouvement, la lecture des écrivains païens de l’Antiquité est systématiquement tirée du côté de la morale chrétienne. Les textes profanes anciens sont sélectionnés en fonction de leur utilité pour la formation littéraire et rhétorique, mais aussi morale et religieuse. Expliquer, abréger, contrôler, tel est le rôle des pédagogues – et notamment des Pères jésuites – dans la transmission des langues et des cultures antiques.

En classe, c’est donc une littérature antique remodelée et christianisée qui est servie aux élèves. Aux XVIe et XVIIe siècles, le professeur met à son programme des extraits choisis qu’il a tirés d’une édition savante : il les fait imprimer localement dans des livrets bon marché avec des interlignes et des espaces blancs réservés pour les notes de l’élève. Puis, à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, paraissent les premières éditions soignées de classiques ad usum delphini.

La redécouverte du grec

1.2.3.2. La redécouverte du grec

Apprendre le grec, pour quoi faire ? Les humanistes ont à combattre – hier comme aujourd’hui – une pression sociale généralement hostile à ce qui n’est pas directement utile. Ils ont beau jeu alors de citer ce précepte d’Aristote : Chercher partout l’utile ne convient pas à des âmes vraiment grandes et à des hommes vraiment libres.

À la Renaissance, l’essor du grec ancien provient de l’arrivée en Europe de professeurs exilés. Il s’agit d’érudits byzantins comme Janus Lascaris (1445-1535) qui ont migré en Italie et en France après la chute de Constantinople au milieu du XVe siècle. Des régents comme Dorat, de jeunes poètes comme Ronsard et Baïf se passionnent pour les lettres grecques. Le jeune François Rabelais voue un véritable culte au restaurateur des études grecques en France, Guillaume Budé. Des savants humanistes professent même qu’il n’y a jamais eu de plus belle langue que le grec.

Engouements et réticences

Dans certaines familles où l’humanisme se cultive depuis plusieurs générations – comme chez les Estienne, une dynastie de libraires-imprimeurs – on ne parle que latin à la maison et l’on évolue entouré de livres grecs. C’est ainsi que le jeune Henri, qui se destine à devenir un érudit, lit Homère dans le texte et apporte son aide à son père pour une édition savante d’auteurs grecs alors qu’il est encore adolescent. Mieux encore, Théodore Agrippa d’Aubigné est si précocément et si bien instruit dans « les trois langues » (latin, grec, hébreu) par ses précepteurs particuliers qu’il est capable, sous leur conduite, de traduire un dialogue de Platon, le Criton, à l’âge de sept ans.

Dans le monde scolaire, des nuances se font jour néanmoins entre des établissements protestants davantage « philhellènes » (favorables au grec) et des établissements catholiques plus méfiants. Certes, les précepteurs des dauphins royaux doivent être lettrés en grec et le collège jésuite de La Flèche est pourvu d’un professeur de grec dès 1604. Mais l’Église continue à avoir de fortes préventions contre cette langue ancienne. Elle reproche à l’étude du grec d’encourager le libre examen et l’individualisme en donnant un accès direct aux Evangiles, sans passer par les traductions latines et les commentaires autorisés. Elle ne voit non plus d’un bon œil l’intérêt porté à de faux dieux et à des cultes païens. Quant à la lecture d’auteurs profanes enthousiasmants comme Homère, elle risque tout bonnement de détourner les esprits de la théologie. On connaît les démêlés de Frère François (Rabelais) avec ses supérieurs au couvent franciscain de Fontenay-le-Comte en Vendée : il se fait régulièrement confisquer ses livres grecs, sur ordre de la faculté de théologie de la Sorbonne. Les théologiens qui s’opposent à l’apprentissage du grec en invoquant le prétexte de la religion sont des ennemis du genre humain aux yeux des humanistes : ils sont plus féroces que les ours, selon le mot de Melanchthon.

Recréer une littérature antique pour former des chrétiens

Dans l’ensemble des lieux d’enseignement, le but est de former des chrétiens : les maîtres sont des « hommes de Dieu », des prières sont dites en classe et la chapelle du collège représente le centre géographique de l’établissement. Que les régents soient des Frères de la Vie commune, des jésuites, des réformés ou des jansénistes, tous s’accordent sur le principe d’une éducation confessionnelle. Dès la fin du XVIe siècle, on se demande donc comment faire pour éviter que l’apprentissage des humanités ou la connaissance des cultes païens n’entrent en contradiction avec les modèles chrétiens.

Il est vrai que l’enseignement élémentaire n’est pas concerné par l’introduction du grec et que les collèges eux-mêmes restent avant tout des écoles de latinité où l’enseignement est fondé sur les disciplines du trivium médiéval (grammaire, rhétorique, dialectique). Quintilien et Cicéron y sont mis à l’honneur, bien plus que Platon ou Homère. Mais, à mesure que des classes de niveaux sont introduites, la place faite à des « éléments d’humanités », limitée dans les classes dites de « grammaire », va s’agrandissant à partir de la quatrième, avec des lectures d’auteurs grecs et latins dans le texte, de larges passages littéraires à mémoriser, des exercices de traduction et de composition en vers et en prose.

Dans les années 1530, les premiers manuels d’apprentissage du grec font leur apparition pour un usage scolaire. On réfléchit aux bonnes méthodes pour apprendre le grec. Un cursus progressif se met en place : l’élève, déjà bien avancé en latin, commence par traduire des fables d’Esope, avant de passer à Lucien l’année suivante et enfin aux discours de Démosthène – pour prendre l’exemple du Gymnase de Strasbourg au temps de Jean Sturm.

De leur côté, les écoles jésuites prennent des dispositions pour mettre au programme des textes des Pères de l’Église grecque à côté des auteurs païens. Dans le même mouvement, la lecture des écrivains païens de l’Antiquité est systématiquement tirée du côté de la morale chrétienne. Les textes profanes anciens sont sélectionnés en fonction de leur utilité pour la formation littéraire et rhétorique, mais aussi morale et religieuse. Expliquer, abréger, contrôler, tel est le rôle des pédagogues – et notamment des Pères jésuites – dans la transmission des langues et des cultures antiques.

En classe, c’est donc une littérature antique remodelée et christianisée qui est servie aux élèves. Aux XVIe et XVIIe siècles, le professeur met à son programme des extraits choisis qu’il a tirés d’une édition savante : il les fait imprimer localement dans des livrets bon marché avec des interlignes et des espaces blancs réservés pour les notes de l’élève. Puis, à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, paraissent les premières éditions soignées de classiques ad usum delphini.

La redécouverte du grec

1.2.3.2. La redécouverte du grec

Apprendre le grec, pour quoi faire ? Les humanistes ont à combattre – hier comme aujourd’hui – une pression sociale généralement hostile à ce qui n’est pas directement utile. Ils ont beau jeu alors de citer ce précepte d’Aristote : Chercher partout l’utile ne convient pas à des âmes vraiment grandes et à des hommes vraiment libres.

À la Renaissance, l’essor du grec ancien provient de l’arrivée en Europe de professeurs exilés. Il s’agit d’érudits byzantins comme Janus Lascaris (1445-1535) qui ont migré en Italie et en France après la chute de Constantinople au milieu du XVe siècle. Des régents comme Dorat, de jeunes poètes comme Ronsard et Baïf se passionnent pour les lettres grecques. Le jeune François Rabelais voue un véritable culte au restaurateur des études grecques en France, Guillaume Budé. Des savants humanistes professent même qu’il n’y a jamais eu de plus belle langue que le grec.

Engouements et réticences

Dans certaines familles où l’humanisme se cultive depuis plusieurs générations – comme chez les Estienne, une dynastie de libraires-imprimeurs – on ne parle que latin à la maison et l’on évolue entouré de livres grecs. C’est ainsi que le jeune Henri, qui se destine à devenir un érudit, lit Homère dans le texte et apporte son aide à son père pour une édition savante d’auteurs grecs alors qu’il est encore adolescent. Mieux encore, Théodore Agrippa d’Aubigné est si précocément et si bien instruit dans « les trois langues » (latin, grec, hébreu) par ses précepteurs particuliers qu’il est capable, sous leur conduite, de traduire un dialogue de Platon, le Criton, à l’âge de sept ans.

Dans le monde scolaire, des nuances se font jour néanmoins entre des établissements protestants davantage « philhellènes » (favorables au grec) et des établissements catholiques plus méfiants. Certes, les précepteurs des dauphins royaux doivent être lettrés en grec et le collège jésuite de La Flèche est pourvu d’un professeur de grec dès 1604. Mais l’Église continue à avoir de fortes préventions contre cette langue ancienne. Elle reproche à l’étude du grec d’encourager le libre examen et l’individualisme en donnant un accès direct aux Evangiles, sans passer par les traductions latines et les commentaires autorisés. Elle ne voit non plus d’un bon œil l’intérêt porté à de faux dieux et à des cultes païens. Quant à la lecture d’auteurs profanes enthousiasmants comme Homère, elle risque tout bonnement de détourner les esprits de la théologie. On connaît les démêlés de Frère François (Rabelais) avec ses supérieurs au couvent franciscain de Fontenay-le-Comte en Vendée : il se fait régulièrement confisquer ses livres grecs, sur ordre de la faculté de théologie de la Sorbonne. Les théologiens qui s’opposent à l’apprentissage du grec en invoquant le prétexte de la religion sont des ennemis du genre humain aux yeux des humanistes : ils sont plus féroces que les ours, selon le mot de Melanchthon.

Recréer une littérature antique pour former des chrétiens

Dans l’ensemble des lieux d’enseignement, le but est de former des chrétiens : les maîtres sont des « hommes de Dieu », des prières sont dites en classe et la chapelle du collège représente le centre géographique de l’établissement. Que les régents soient des Frères de la Vie commune, des jésuites, des réformés ou des jansénistes, tous s’accordent sur le principe d’une éducation confessionnelle. Dès la fin du XVIe siècle, on se demande donc comment faire pour éviter que l’apprentissage des humanités ou la connaissance des cultes païens n’entrent en contradiction avec les modèles chrétiens.

Il est vrai que l’enseignement élémentaire n’est pas concerné par l’introduction du grec et que les collèges eux-mêmes restent avant tout des écoles de latinité où l’enseignement est fondé sur les disciplines du trivium médiéval (grammaire, rhétorique, dialectique). Quintilien et Cicéron y sont mis à l’honneur, bien plus que Platon ou Homère. Mais, à mesure que des classes de niveaux sont introduites, la place faite à des « éléments d’humanités », limitée dans les classes dites de « grammaire », va s’agrandissant à partir de la quatrième, avec des lectures d’auteurs grecs et latins dans le texte, de larges passages littéraires à mémoriser, des exercices de traduction et de composition en vers et en prose.

Dans les années 1530, les premiers manuels d’apprentissage du grec font leur apparition pour un usage scolaire. On réfléchit aux bonnes méthodes pour apprendre le grec. Un cursus progressif se met en place : l’élève, déjà bien avancé en latin, commence par traduire des fables d’Esope, avant de passer à Lucien l’année suivante et enfin aux discours de Démosthène – pour prendre l’exemple du Gymnase de Strasbourg au temps de Jean Sturm.

De leur côté, les écoles jésuites prennent des dispositions pour mettre au programme des textes des Pères de l’Église grecque à côté des auteurs païens. Dans le même mouvement, la lecture des écrivains païens de l’Antiquité est systématiquement tirée du côté de la morale chrétienne. Les textes profanes anciens sont sélectionnés en fonction de leur utilité pour la formation littéraire et rhétorique, mais aussi morale et religieuse. Expliquer, abréger, contrôler, tel est le rôle des pédagogues – et notamment des Pères jésuites – dans la transmission des langues et des cultures antiques.

En classe, c’est donc une littérature antique remodelée et christianisée qui est servie aux élèves. Aux XVIe et XVIIe siècles, le professeur met à son programme des extraits choisis qu’il a tirés d’une édition savante : il les fait imprimer localement dans des livrets bon marché avec des interlignes et des espaces blancs réservés pour les notes de l’élève. Puis, à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, paraissent les premières éditions soignées de classiques ad usum delphini.

La redécouverte du grec

1.2.3.2. La redécouverte du grec

Apprendre le grec, pour quoi faire ? Les humanistes ont à combattre – hier comme aujourd’hui – une pression sociale généralement hostile à ce qui n’est pas directement utile. Ils ont beau jeu alors de citer ce précepte d’Aristote : Chercher partout l’utile ne convient pas à des âmes vraiment grandes et à des hommes vraiment libres.

À la Renaissance, l’essor du grec ancien provient de l’arrivée en Europe de professeurs exilés. Il s’agit d’érudits byzantins comme Janus Lascaris (1445-1535) qui ont migré en Italie et en France après la chute de Constantinople au milieu du XVe siècle. Des régents comme Dorat, de jeunes poètes comme Ronsard et Baïf se passionnent pour les lettres grecques. Le jeune François Rabelais voue un véritable culte au restaurateur des études grecques en France, Guillaume Budé. Des savants humanistes professent même qu’il n’y a jamais eu de plus belle langue que le grec.

Engouements et réticences

Dans certaines familles où l’humanisme se cultive depuis plusieurs générations – comme chez les Estienne, une dynastie de libraires-imprimeurs – on ne parle que latin à la maison et l’on évolue entouré de livres grecs. C’est ainsi que le jeune Henri, qui se destine à devenir un érudit, lit Homère dans le texte et apporte son aide à son père pour une édition savante d’auteurs grecs alors qu’il est encore adolescent. Mieux encore, Théodore Agrippa d’Aubigné est si précocément et si bien instruit dans « les trois langues » (latin, grec, hébreu) par ses précepteurs particuliers qu’il est capable, sous leur conduite, de traduire un dialogue de Platon, le Criton, à l’âge de sept ans.

Dans le monde scolaire, des nuances se font jour néanmoins entre des établissements protestants davantage « philhellènes » (favorables au grec) et des établissements catholiques plus méfiants. Certes, les précepteurs des dauphins royaux doivent être lettrés en grec et le collège jésuite de La Flèche est pourvu d’un professeur de grec dès 1604. Mais l’Église continue à avoir de fortes préventions contre cette langue ancienne. Elle reproche à l’étude du grec d’encourager le libre examen et l’individualisme en donnant un accès direct aux Evangiles, sans passer par les traductions latines et les commentaires autorisés. Elle ne voit non plus d’un bon œil l’intérêt porté à de faux dieux et à des cultes païens. Quant à la lecture d’auteurs profanes enthousiasmants comme Homère, elle risque tout bonnement de détourner les esprits de la théologie. On connaît les démêlés de Frère François (Rabelais) avec ses supérieurs au couvent franciscain de Fontenay-le-Comte en Vendée : il se fait régulièrement confisquer ses livres grecs, sur ordre de la faculté de théologie de la Sorbonne. Les théologiens qui s’opposent à l’apprentissage du grec en invoquant le prétexte de la religion sont des ennemis du genre humain aux yeux des humanistes : ils sont plus féroces que les ours, selon le mot de Melanchthon.

Recréer une littérature antique pour former des chrétiens

Dans l’ensemble des lieux d’enseignement, le but est de former des chrétiens : les maîtres sont des « hommes de Dieu », des prières sont dites en classe et la chapelle du collège représente le centre géographique de l’établissement. Que les régents soient des Frères de la Vie commune, des jésuites, des réformés ou des jansénistes, tous s’accordent sur le principe d’une éducation confessionnelle. Dès la fin du XVIe siècle, on se demande donc comment faire pour éviter que l’apprentissage des humanités ou la connaissance des cultes païens n’entrent en contradiction avec les modèles chrétiens.

Il est vrai que l’enseignement élémentaire n’est pas concerné par l’introduction du grec et que les collèges eux-mêmes restent avant tout des écoles de latinité où l’enseignement est fondé sur les disciplines du trivium médiéval (grammaire, rhétorique, dialectique). Quintilien et Cicéron y sont mis à l’honneur, bien plus que Platon ou Homère. Mais, à mesure que des classes de niveaux sont introduites, la place faite à des « éléments d’humanités », limitée dans les classes dites de « grammaire », va s’agrandissant à partir de la quatrième, avec des lectures d’auteurs grecs et latins dans le texte, de larges passages littéraires à mémoriser, des exercices de traduction et de composition en vers et en prose.

Dans les années 1530, les premiers manuels d’apprentissage du grec font leur apparition pour un usage scolaire. On réfléchit aux bonnes méthodes pour apprendre le grec. Un cursus progressif se met en place : l’élève, déjà bien avancé en latin, commence par traduire des fables d’Esope, avant de passer à Lucien l’année suivante et enfin aux discours de Démosthène – pour prendre l’exemple du Gymnase de Strasbourg au temps de Jean Sturm.

De leur côté, les écoles jésuites prennent des dispositions pour mettre au programme des textes des Pères de l’Église grecque à côté des auteurs païens. Dans le même mouvement, la lecture des écrivains païens de l’Antiquité est systématiquement tirée du côté de la morale chrétienne. Les textes profanes anciens sont sélectionnés en fonction de leur utilité pour la formation littéraire et rhétorique, mais aussi morale et religieuse. Expliquer, abréger, contrôler, tel est le rôle des pédagogues – et notamment des Pères jésuites – dans la transmission des langues et des cultures antiques.

En classe, c’est donc une littérature antique remodelée et christianisée qui est servie aux élèves. Aux XVIe et XVIIe siècles, le professeur met à son programme des extraits choisis qu’il a tirés d’une édition savante : il les fait imprimer localement dans des livrets bon marché avec des interlignes et des espaces blancs réservés pour les notes de l’élève. Puis, à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, paraissent les premières éditions soignées de classiques ad usum delphini.