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IV. Des étapes biographiques, des questions sociolangagières tout au long de la vie

L’ENFANT, UN ÊTRE À FORMER

NOUVEAUX LIEUX, NOUVELLES INSTITUTIONS

DES RÉGENTS ET D’ANCIENS ÉLÈVES TÉMOIGNENT

BIBLIOTHÈQUE SONORE

Le Corpus fait apparaitre des époques, des étapes, et des problématiques langagières liées à des époques ou pour les sujets faisant étape, et qui évoluent tout au long de la vie. On voit ainsi…*des enfants qui bouillonnent, des adolescents qui se questionnent, des étudiants qui s’insurgent, des parents qui doutent, se culpabilisent… et des grands-parents, qui se transforment… relativisent ?

*remerciement spécial à Myriam Dupouy, pour l’idée et la construction amorcée de la formule

On regardera ici la population des 3 grand’mères dans notre corpus [p-14-15-16], dont les trajectoires, à la fois proches et très différentes, font apparaitre des grandes étapes de vie marquant des changements de pratiques, mais aussi de positionnements linguistiques. Dans ces portraits, la parentalité puis la grand-parentalité apparaissent activer certains déclencheurs.

La variable « genre », non travaillée au vu du déséquilibre en termes de nombres, qui joue ici forcément, des enquêtrices interrogeant des locutrices, des mères (au foyer) parlant (notamment) des enfants, tant sur les thèmes d’échanges en interactions, que sur la thématisation opérée dans l’analyse. Il ne s’agit pas bien sûr de réduire l’histoire des femmes à celle de leur maternité.

En partage, l’histoire d’une socialisation de petites filles au Maroc [p-15, 16] et en Algérie [p-14] juste avant ou après la fin de la colonisation, arrivées en France entre le début des années 70 et celui des années 80, devenues mères au foyer, au sein de réseaux interactionnels restreints les plaçant dans un certain isolement.

4.1. Le temps des enfants qui naissent

  • Une seule a été scolarisée [p-14], la seule aussi à avoir dès l’enfance appris le français, à dessin semble-t-il, envoyée en France dès 15 ans où elle fait des ménages, avant d’être mariée. AS est ainsi marquée par une expérience dans laquelle le français domine, est dominant,idéologie qu’elle s’approprie, et dont, en tant que mère, elle devient garante, conformément à la politique familiale unilingue en français instaurée par son mari algérien, elle-même persuadée que c’est mieux, ce qu’elle regrette ensuite, après la mort du père.
  • Cette politique d’obligation/interdiction linguistique fait point commun, mais tout autrement, avec le foyer de Farida [p-16], qui, comme AS, va devenir, en tant que mère, garante de la transmission d’une langue pour elle initialement étrangère. Unilingue en chleuha, Farida grandit dans l’expérience d’une double différence, privée d’école et de français, mais aussi non-arabophone au Maroc. Son parcours est marqué, avant la migration, par une première mobilité, du « Bled » à « la ville », son premier contact avec le darija, un premier processus d’intégration sociolinguistique en arabe, thématisé comme non-problématique, a contrario d’un autre demeuré impossible, en français, dans une société marocaine post-coloniale encore fort ségrégée. Cette construction du français langue de l’Autre se rejoue voire se renforce en France, dans un foyer resserré autour d’une identité arabophone associée d’une politique d’interdiction du français, qui doit rester dehors, renversant en cela le rapport d’exclusion (ce qui justifie, dans son discours, d’accepter de minorer le chleuha, qui n’aurait pas pu faire suffisamment poids, contrairement à l’arabe), mais dont l’effet est de la séparer totalement du français.
  • Chez Zohra [p-15] le français n’est pas interdit mais de facto très peu présent, circule par bribes entre les enfants et dans les dessins animés qu’ils regardent, mais elle-même, comme Farida, ne l’a jamais appris. Son enfance est marquée par la mort de son père, qui, lui, voulait scolariser ses filles, ce décès, au-delà de la douleur, la privant d’école donc de français, et c’est totalement non francophone qu’elle est « envoyée » en France pour se marier avec un homme marocain y travaillant déjà. Comme Farida aussi, Zohra demeure allophone, mettra des années avant de progressivement s’ouvrir à l’appropriation.

4.2. Le temps des enfants qui grandissent

  • Un écho fort apparait encore entre ces deux portraits [p-15, 16], dans les discours qui thématisent la scolarisation des enfants par le biais desquels le français va peu à peu s’introduire dans l’intimité du foyer, la surveillance étroite des devoirs mais qui se réalisent en autonomie, dans une langue maintenue en tant que langue des Autres, dont on se sent exclue et que l’on exclue en retour, dans une forme d’herméticité langagière, des territoires symboliquement séparés par frontière linguistique… Farida, Zohra, observent de l’extérieur la francophonie grandissante des enfants qui se construit sans elles
  • Une rupture intervient pour Zohra à la scolarisation de sa plus jeune fille, sourde et ()éduquée par oralisation, impliquant... : en français, dans l’expérience de son accompagnement, au quotidien après l’école, qui oblige Zohra à une implication active, à s’inscrire dans un processus de co-apprentissage, à s’approprier le français, à l’investir comme plus familier, et au-delà, vecteur de relation filiale, de transmission.

4.3. Et le temps des enfants qui partent

  • Le temps des enfants qui, ayant grandi, quittent le foyer, fait clairement étape dans les 3 portraits. Une première conséquence est une perception d’isolement. Au sein des foyers de Zohra et Farida, restées allophones, ce ressenti est d’autant plus vif qu’il renverse à nouveau le rapport d’exclusion, dans la limite de frontières intérieures où ne se trouvent déjà plus tout à fait les enfants. Car bien longtemps avant que les derniers enfants ne quittent le foyer, les ainé.e.s avaient pris le relai pour un suivi actif des devoirs des petits, et finalement pour tout ce qui concerne le français, l’administration, l’école, les communications avec le monde extérieur. Le temps des enfants qui partent produit ainsi un manque mais aussi et à travers cela des besoins linguistiques ressentis, enfin, le besoin du français.

4.4. Devenir grand-mère / grand-parent

  • Mais si le départ a créé un premier motif d’apprendre, ce qui parait pour toutes 3 avoir joué comme déclencheur pour se décider enfin à s’inscrire en atelier d’apprentissage, est : « devenir grand-mère », qui posé des questions de compétences, dans le souhait de, cette fois, vraiment suivre les devoirs des petits-enfants, mais aussi des questions de transmission et de devenir, AS dans le désir de restaurer la transmission de l’arabe, Farida, Zohra, dans un processus d’ouverture par rapport au français.
  • Les trois portraits sont ainsi diversement marqués par l’expérience d’une langue qui manque, et c’est le cheminement vers une (ré-)conciliation qui fait point de ressemblance, processus opéré dans la maturation et au fil d’étapes biographiques, dans lesquelles la grand-maternité, opère pour les unes la possibilité d’un investissement affectif du français qui se tisse dans la relation qui se construit avec les petits-enfants, pour lesquels le français est devenu dominant, et qui permet à Farida, ce que contrairement à Zohra elle n’avait jamais pu faire avec ses enfants, de s’inscrire à son tour dans un co-apprentissage à travers lequel elle apprend enfin, en interaction avec les petits, à dire mais aussi à lire, à écrire.
  • Délestées des interdictions linguistiques obsolètes, Zohra et Farida acceptent que le français, si longtemps langue des Autres, soit devenue leur langue, à eux qui sont les siens, avec l’arabe, une langue à devenir co-identitaire.
  • Tandis qu’AS, remariée avec un mari marocain très peu francophone qui a bouleversé son quotidien langagier, à qui elle apprend le français et qui lui enseigne à lire et écrire l’arabe, réaffirme une identité et une pratique plurielles et la volonté de transmettre, parler arabe à sa petite fille.
  • Toutes 3 convergent finalement vers une forme de déculpabilisation, des choix plus assumés ou le droit de se laisser expérimenter, de revenir sur et/ou dépasser le passé, affranchies de leurs rôles de garant linguistique, de frontières et de territoires séparées, ayant cheminé du clivage à la pluralité (Bretegnier, 2013), vers un décloisonnement qui donne à se produire comme à la fois, arabophones et francophones.
Plan de l’exposition →
Imaginaires plurilingues entre familles et écoles : expériences, parcours, démarches didactiques

Le Corpus fait apparaitre des époques, des étapes, et des problématiques langagières liées à des époques ou pour les sujets faisant étape, et qui évoluent tout au long de la vie. On voit ainsi…*des enfants qui bouillonnent, des adolescents qui se questionnent, des étudiants qui s’insurgent, des parents qui doutent, se culpabilisent… et des grands-parents, qui se transforment… relativisent ?

*remerciement spécial à Myriam Dupouy, pour l’idée et la construction amorcée de la formule

On regardera ici la population des 3 grand’mères dans notre corpus [p-14-15-16], dont les trajectoires, à la fois proches et très différentes, font apparaitre des grandes étapes de vie marquant des changements de pratiques, mais aussi de positionnements linguistiques. Dans ces portraits, la parentalité puis la grand-parentalité apparaissent activer certains déclencheurs.

La variable « genre », non travaillée au vu du déséquilibre en termes de nombres, qui joue ici forcément, des enquêtrices interrogeant des locutrices, des mères (au foyer) parlant (notamment) des enfants, tant sur les thèmes d’échanges en interactions, que sur la thématisation opérée dans l’analyse. Il ne s’agit pas bien sûr de réduire l’histoire des femmes à celle de leur maternité.

En partage, l’histoire d’une socialisation de petites filles au Maroc [p-15, 16] et en Algérie [p-14] juste avant ou après la fin de la colonisation, arrivées en France entre le début des années 70 et celui des années 80, devenues mères au foyer, au sein de réseaux interactionnels restreints les plaçant dans un certain isolement.

4.1. Le temps des enfants qui naissent

  • Une seule a été scolarisée [p-14], la seule aussi à avoir dès l’enfance appris le français, à dessin semble-t-il, envoyée en France dès 15 ans où elle fait des ménages, avant d’être mariée. AS est ainsi marquée par une expérience dans laquelle le français domine, est dominant,idéologie qu’elle s’approprie, et dont, en tant que mère, elle devient garante, conformément à la politique familiale unilingue en français instaurée par son mari algérien, elle-même persuadée que c’est mieux, ce qu’elle regrette ensuite, après la mort du père.
  • Cette politique d’obligation/interdiction linguistique fait point commun, mais tout autrement, avec le foyer de Farida [p-16], qui, comme AS, va devenir, en tant que mère, garante de la transmission d’une langue pour elle initialement étrangère. Unilingue en chleuha, Farida grandit dans l’expérience d’une double différence, privée d’école et de français, mais aussi non-arabophone au Maroc. Son parcours est marqué, avant la migration, par une première mobilité, du « Bled » à « la ville », son premier contact avec le darija, un premier processus d’intégration sociolinguistique en arabe, thématisé comme non-problématique, a contrario d’un autre demeuré impossible, en français, dans une société marocaine post-coloniale encore fort ségrégée. Cette construction du français langue de l’Autre se rejoue voire se renforce en France, dans un foyer resserré autour d’une identité arabophone associée d’une politique d’interdiction du français, qui doit rester dehors, renversant en cela le rapport d’exclusion (ce qui justifie, dans son discours, d’accepter de minorer le chleuha, qui n’aurait pas pu faire suffisamment poids, contrairement à l’arabe), mais dont l’effet est de la séparer totalement du français.
  • Chez Zohra [p-15] le français n’est pas interdit mais de facto très peu présent, circule par bribes entre les enfants et dans les dessins animés qu’ils regardent, mais elle-même, comme Farida, ne l’a jamais appris. Son enfance est marquée par la mort de son père, qui, lui, voulait scolariser ses filles, ce décès, au-delà de la douleur, la privant d’école donc de français, et c’est totalement non francophone qu’elle est « envoyée » en France pour se marier avec un homme marocain y travaillant déjà. Comme Farida aussi, Zohra demeure allophone, mettra des années avant de progressivement s’ouvrir à l’appropriation.

4.2. Le temps des enfants qui grandissent

  • Un écho fort apparait encore entre ces deux portraits [p-15, 16], dans les discours qui thématisent la scolarisation des enfants par le biais desquels le français va peu à peu s’introduire dans l’intimité du foyer, la surveillance étroite des devoirs mais qui se réalisent en autonomie, dans une langue maintenue en tant que langue des Autres, dont on se sent exclue et que l’on exclue en retour, dans une forme d’herméticité langagière, des territoires symboliquement séparés par frontière linguistique… Farida, Zohra, observent de l’extérieur la francophonie grandissante des enfants qui se construit sans elles
  • Une rupture intervient pour Zohra à la scolarisation de sa plus jeune fille, sourde et ()éduquée par oralisation, impliquant... : en français, dans l’expérience de son accompagnement, au quotidien après l’école, qui oblige Zohra à une implication active, à s’inscrire dans un processus de co-apprentissage, à s’approprier le français, à l’investir comme plus familier, et au-delà, vecteur de relation filiale, de transmission.

4.3. Et le temps des enfants qui partent

  • Le temps des enfants qui, ayant grandi, quittent le foyer, fait clairement étape dans les 3 portraits. Une première conséquence est une perception d’isolement. Au sein des foyers de Zohra et Farida, restées allophones, ce ressenti est d’autant plus vif qu’il renverse à nouveau le rapport d’exclusion, dans la limite de frontières intérieures où ne se trouvent déjà plus tout à fait les enfants. Car bien longtemps avant que les derniers enfants ne quittent le foyer, les ainé.e.s avaient pris le relai pour un suivi actif des devoirs des petits, et finalement pour tout ce qui concerne le français, l’administration, l’école, les communications avec le monde extérieur. Le temps des enfants qui partent produit ainsi un manque mais aussi et à travers cela des besoins linguistiques ressentis, enfin, le besoin du français.

4.4. Devenir grand-mère / grand-parent

  • Mais si le départ a créé un premier motif d’apprendre, ce qui parait pour toutes 3 avoir joué comme déclencheur pour se décider enfin à s’inscrire en atelier d’apprentissage, est : « devenir grand-mère », qui posé des questions de compétences, dans le souhait de, cette fois, vraiment suivre les devoirs des petits-enfants, mais aussi des questions de transmission et de devenir, AS dans le désir de restaurer la transmission de l’arabe, Farida, Zohra, dans un processus d’ouverture par rapport au français.
  • Les trois portraits sont ainsi diversement marqués par l’expérience d’une langue qui manque, et c’est le cheminement vers une (ré-)conciliation qui fait point de ressemblance, processus opéré dans la maturation et au fil d’étapes biographiques, dans lesquelles la grand-maternité, opère pour les unes la possibilité d’un investissement affectif du français qui se tisse dans la relation qui se construit avec les petits-enfants, pour lesquels le français est devenu dominant, et qui permet à Farida, ce que contrairement à Zohra elle n’avait jamais pu faire avec ses enfants, de s’inscrire à son tour dans un co-apprentissage à travers lequel elle apprend enfin, en interaction avec les petits, à dire mais aussi à lire, à écrire.
  • Délestées des interdictions linguistiques obsolètes, Zohra et Farida acceptent que le français, si longtemps langue des Autres, soit devenue leur langue, à eux qui sont les siens, avec l’arabe, une langue à devenir co-identitaire.
  • Tandis qu’AS, remariée avec un mari marocain très peu francophone qui a bouleversé son quotidien langagier, à qui elle apprend le français et qui lui enseigne à lire et écrire l’arabe, réaffirme une identité et une pratique plurielles et la volonté de transmettre, parler arabe à sa petite fille.
  • Toutes 3 convergent finalement vers une forme de déculpabilisation, des choix plus assumés ou le droit de se laisser expérimenter, de revenir sur et/ou dépasser le passé, affranchies de leurs rôles de garant linguistique, de frontières et de territoires séparées, ayant cheminé du clivage à la pluralité (Bretegnier, 2013), vers un décloisonnement qui donne à se produire comme à la fois, arabophones et francophones.

Le Corpus fait apparaitre des époques, des étapes, et des problématiques langagières liées à des époques ou pour les sujets faisant étape, et qui évoluent tout au long de la vie. On voit ainsi…*des enfants qui bouillonnent, des adolescents qui se questionnent, des étudiants qui s’insurgent, des parents qui doutent, se culpabilisent… et des grands-parents, qui se transforment… relativisent ?

*remerciement spécial à Myriam Dupouy, pour l’idée et la construction amorcée de la formule

On regardera ici la population des 3 grand’mères dans notre corpus [p-14-15-16], dont les trajectoires, à la fois proches et très différentes, font apparaitre des grandes étapes de vie marquant des changements de pratiques, mais aussi de positionnements linguistiques. Dans ces portraits, la parentalité puis la grand-parentalité apparaissent activer certains déclencheurs.

La variable « genre », non travaillée au vu du déséquilibre en termes de nombres, qui joue ici forcément, des enquêtrices interrogeant des locutrices, des mères (au foyer) parlant (notamment) des enfants, tant sur les thèmes d’échanges en interactions, que sur la thématisation opérée dans l’analyse. Il ne s’agit pas bien sûr de réduire l’histoire des femmes à celle de leur maternité.

En partage, l’histoire d’une socialisation de petites filles au Maroc [p-15, 16] et en Algérie [p-14] juste avant ou après la fin de la colonisation, arrivées en France entre le début des années 70 et celui des années 80, devenues mères au foyer, au sein de réseaux interactionnels restreints les plaçant dans un certain isolement.

4.1. Le temps des enfants qui naissent

  • Une seule a été scolarisée [p-14], la seule aussi à avoir dès l’enfance appris le français, à dessin semble-t-il, envoyée en France dès 15 ans où elle fait des ménages, avant d’être mariée. AS est ainsi marquée par une expérience dans laquelle le français domine, est dominant,idéologie qu’elle s’approprie, et dont, en tant que mère, elle devient garante, conformément à la politique familiale unilingue en français instaurée par son mari algérien, elle-même persuadée que c’est mieux, ce qu’elle regrette ensuite, après la mort du père.
  • Cette politique d’obligation/interdiction linguistique fait point commun, mais tout autrement, avec le foyer de Farida [p-16], qui, comme AS, va devenir, en tant que mère, garante de la transmission d’une langue pour elle initialement étrangère. Unilingue en chleuha, Farida grandit dans l’expérience d’une double différence, privée d’école et de français, mais aussi non-arabophone au Maroc. Son parcours est marqué, avant la migration, par une première mobilité, du « Bled » à « la ville », son premier contact avec le darija, un premier processus d’intégration sociolinguistique en arabe, thématisé comme non-problématique, a contrario d’un autre demeuré impossible, en français, dans une société marocaine post-coloniale encore fort ségrégée. Cette construction du français langue de l’Autre se rejoue voire se renforce en France, dans un foyer resserré autour d’une identité arabophone associée d’une politique d’interdiction du français, qui doit rester dehors, renversant en cela le rapport d’exclusion (ce qui justifie, dans son discours, d’accepter de minorer le chleuha, qui n’aurait pas pu faire suffisamment poids, contrairement à l’arabe), mais dont l’effet est de la séparer totalement du français.
  • Chez Zohra [p-15] le français n’est pas interdit mais de facto très peu présent, circule par bribes entre les enfants et dans les dessins animés qu’ils regardent, mais elle-même, comme Farida, ne l’a jamais appris. Son enfance est marquée par la mort de son père, qui, lui, voulait scolariser ses filles, ce décès, au-delà de la douleur, la privant d’école donc de français, et c’est totalement non francophone qu’elle est « envoyée » en France pour se marier avec un homme marocain y travaillant déjà. Comme Farida aussi, Zohra demeure allophone, mettra des années avant de progressivement s’ouvrir à l’appropriation.

4.2. Le temps des enfants qui grandissent

  • Un écho fort apparait encore entre ces deux portraits [p-15, 16], dans les discours qui thématisent la scolarisation des enfants par le biais desquels le français va peu à peu s’introduire dans l’intimité du foyer, la surveillance étroite des devoirs mais qui se réalisent en autonomie, dans une langue maintenue en tant que langue des Autres, dont on se sent exclue et que l’on exclue en retour, dans une forme d’herméticité langagière, des territoires symboliquement séparés par frontière linguistique… Farida, Zohra, observent de l’extérieur la francophonie grandissante des enfants qui se construit sans elles
  • Une rupture intervient pour Zohra à la scolarisation de sa plus jeune fille, sourde et ()éduquée par oralisation, impliquant... : en français, dans l’expérience de son accompagnement, au quotidien après l’école, qui oblige Zohra à une implication active, à s’inscrire dans un processus de co-apprentissage, à s’approprier le français, à l’investir comme plus familier, et au-delà, vecteur de relation filiale, de transmission.

4.3. Et le temps des enfants qui partent

  • Le temps des enfants qui, ayant grandi, quittent le foyer, fait clairement étape dans les 3 portraits. Une première conséquence est une perception d’isolement. Au sein des foyers de Zohra et Farida, restées allophones, ce ressenti est d’autant plus vif qu’il renverse à nouveau le rapport d’exclusion, dans la limite de frontières intérieures où ne se trouvent déjà plus tout à fait les enfants. Car bien longtemps avant que les derniers enfants ne quittent le foyer, les ainé.e.s avaient pris le relai pour un suivi actif des devoirs des petits, et finalement pour tout ce qui concerne le français, l’administration, l’école, les communications avec le monde extérieur. Le temps des enfants qui partent produit ainsi un manque mais aussi et à travers cela des besoins linguistiques ressentis, enfin, le besoin du français.

4.4. Devenir grand-mère / grand-parent

  • Mais si le départ a créé un premier motif d’apprendre, ce qui parait pour toutes 3 avoir joué comme déclencheur pour se décider enfin à s’inscrire en atelier d’apprentissage, est : « devenir grand-mère », qui posé des questions de compétences, dans le souhait de, cette fois, vraiment suivre les devoirs des petits-enfants, mais aussi des questions de transmission et de devenir, AS dans le désir de restaurer la transmission de l’arabe, Farida, Zohra, dans un processus d’ouverture par rapport au français.
  • Les trois portraits sont ainsi diversement marqués par l’expérience d’une langue qui manque, et c’est le cheminement vers une (ré-)conciliation qui fait point de ressemblance, processus opéré dans la maturation et au fil d’étapes biographiques, dans lesquelles la grand-maternité, opère pour les unes la possibilité d’un investissement affectif du français qui se tisse dans la relation qui se construit avec les petits-enfants, pour lesquels le français est devenu dominant, et qui permet à Farida, ce que contrairement à Zohra elle n’avait jamais pu faire avec ses enfants, de s’inscrire à son tour dans un co-apprentissage à travers lequel elle apprend enfin, en interaction avec les petits, à dire mais aussi à lire, à écrire.
  • Délestées des interdictions linguistiques obsolètes, Zohra et Farida acceptent que le français, si longtemps langue des Autres, soit devenue leur langue, à eux qui sont les siens, avec l’arabe, une langue à devenir co-identitaire.
  • Tandis qu’AS, remariée avec un mari marocain très peu francophone qui a bouleversé son quotidien langagier, à qui elle apprend le français et qui lui enseigne à lire et écrire l’arabe, réaffirme une identité et une pratique plurielles et la volonté de transmettre, parler arabe à sa petite fille.
  • Toutes 3 convergent finalement vers une forme de déculpabilisation, des choix plus assumés ou le droit de se laisser expérimenter, de revenir sur et/ou dépasser le passé, affranchies de leurs rôles de garant linguistique, de frontières et de territoires séparées, ayant cheminé du clivage à la pluralité (Bretegnier, 2013), vers un décloisonnement qui donne à se produire comme à la fois, arabophones et francophones.

Le Corpus fait apparaitre des époques, des étapes, et des problématiques langagières liées à des époques ou pour les sujets faisant étape, et qui évoluent tout au long de la vie. On voit ainsi…*des enfants qui bouillonnent, des adolescents qui se questionnent, des étudiants qui s’insurgent, des parents qui doutent, se culpabilisent… et des grands-parents, qui se transforment… relativisent ?

*remerciement spécial à Myriam Dupouy, pour l’idée et la construction amorcée de la formule

On regardera ici la population des 3 grand’mères dans notre corpus [p-14-15-16], dont les trajectoires, à la fois proches et très différentes, font apparaitre des grandes étapes de vie marquant des changements de pratiques, mais aussi de positionnements linguistiques. Dans ces portraits, la parentalité puis la grand-parentalité apparaissent activer certains déclencheurs.

La variable « genre », non travaillée au vu du déséquilibre en termes de nombres, qui joue ici forcément, des enquêtrices interrogeant des locutrices, des mères (au foyer) parlant (notamment) des enfants, tant sur les thèmes d’échanges en interactions, que sur la thématisation opérée dans l’analyse. Il ne s’agit pas bien sûr de réduire l’histoire des femmes à celle de leur maternité.

En partage, l’histoire d’une socialisation de petites filles au Maroc [p-15, 16] et en Algérie [p-14] juste avant ou après la fin de la colonisation, arrivées en France entre le début des années 70 et celui des années 80, devenues mères au foyer, au sein de réseaux interactionnels restreints les plaçant dans un certain isolement.

4.1. Le temps des enfants qui naissent

  • Une seule a été scolarisée [p-14], la seule aussi à avoir dès l’enfance appris le français, à dessin semble-t-il, envoyée en France dès 15 ans où elle fait des ménages, avant d’être mariée. AS est ainsi marquée par une expérience dans laquelle le français domine, est dominant,idéologie qu’elle s’approprie, et dont, en tant que mère, elle devient garante, conformément à la politique familiale unilingue en français instaurée par son mari algérien, elle-même persuadée que c’est mieux, ce qu’elle regrette ensuite, après la mort du père.
  • Cette politique d’obligation/interdiction linguistique fait point commun, mais tout autrement, avec le foyer de Farida [p-16], qui, comme AS, va devenir, en tant que mère, garante de la transmission d’une langue pour elle initialement étrangère. Unilingue en chleuha, Farida grandit dans l’expérience d’une double différence, privée d’école et de français, mais aussi non-arabophone au Maroc. Son parcours est marqué, avant la migration, par une première mobilité, du « Bled » à « la ville », son premier contact avec le darija, un premier processus d’intégration sociolinguistique en arabe, thématisé comme non-problématique, a contrario d’un autre demeuré impossible, en français, dans une société marocaine post-coloniale encore fort ségrégée. Cette construction du français langue de l’Autre se rejoue voire se renforce en France, dans un foyer resserré autour d’une identité arabophone associée d’une politique d’interdiction du français, qui doit rester dehors, renversant en cela le rapport d’exclusion (ce qui justifie, dans son discours, d’accepter de minorer le chleuha, qui n’aurait pas pu faire suffisamment poids, contrairement à l’arabe), mais dont l’effet est de la séparer totalement du français.
  • Chez Zohra [p-15] le français n’est pas interdit mais de facto très peu présent, circule par bribes entre les enfants et dans les dessins animés qu’ils regardent, mais elle-même, comme Farida, ne l’a jamais appris. Son enfance est marquée par la mort de son père, qui, lui, voulait scolariser ses filles, ce décès, au-delà de la douleur, la privant d’école donc de français, et c’est totalement non francophone qu’elle est « envoyée » en France pour se marier avec un homme marocain y travaillant déjà. Comme Farida aussi, Zohra demeure allophone, mettra des années avant de progressivement s’ouvrir à l’appropriation.

4.2. Le temps des enfants qui grandissent

  • Un écho fort apparait encore entre ces deux portraits [p-15, 16], dans les discours qui thématisent la scolarisation des enfants par le biais desquels le français va peu à peu s’introduire dans l’intimité du foyer, la surveillance étroite des devoirs mais qui se réalisent en autonomie, dans une langue maintenue en tant que langue des Autres, dont on se sent exclue et que l’on exclue en retour, dans une forme d’herméticité langagière, des territoires symboliquement séparés par frontière linguistique… Farida, Zohra, observent de l’extérieur la francophonie grandissante des enfants qui se construit sans elles
  • Une rupture intervient pour Zohra à la scolarisation de sa plus jeune fille, sourde et ()éduquée par oralisation, impliquant... : en français, dans l’expérience de son accompagnement, au quotidien après l’école, qui oblige Zohra à une implication active, à s’inscrire dans un processus de co-apprentissage, à s’approprier le français, à l’investir comme plus familier, et au-delà, vecteur de relation filiale, de transmission.

4.3. Et le temps des enfants qui partent

  • Le temps des enfants qui, ayant grandi, quittent le foyer, fait clairement étape dans les 3 portraits. Une première conséquence est une perception d’isolement. Au sein des foyers de Zohra et Farida, restées allophones, ce ressenti est d’autant plus vif qu’il renverse à nouveau le rapport d’exclusion, dans la limite de frontières intérieures où ne se trouvent déjà plus tout à fait les enfants. Car bien longtemps avant que les derniers enfants ne quittent le foyer, les ainé.e.s avaient pris le relai pour un suivi actif des devoirs des petits, et finalement pour tout ce qui concerne le français, l’administration, l’école, les communications avec le monde extérieur. Le temps des enfants qui partent produit ainsi un manque mais aussi et à travers cela des besoins linguistiques ressentis, enfin, le besoin du français.

4.4. Devenir grand-mère / grand-parent

  • Mais si le départ a créé un premier motif d’apprendre, ce qui parait pour toutes 3 avoir joué comme déclencheur pour se décider enfin à s’inscrire en atelier d’apprentissage, est : « devenir grand-mère », qui posé des questions de compétences, dans le souhait de, cette fois, vraiment suivre les devoirs des petits-enfants, mais aussi des questions de transmission et de devenir, AS dans le désir de restaurer la transmission de l’arabe, Farida, Zohra, dans un processus d’ouverture par rapport au français.
  • Les trois portraits sont ainsi diversement marqués par l’expérience d’une langue qui manque, et c’est le cheminement vers une (ré-)conciliation qui fait point de ressemblance, processus opéré dans la maturation et au fil d’étapes biographiques, dans lesquelles la grand-maternité, opère pour les unes la possibilité d’un investissement affectif du français qui se tisse dans la relation qui se construit avec les petits-enfants, pour lesquels le français est devenu dominant, et qui permet à Farida, ce que contrairement à Zohra elle n’avait jamais pu faire avec ses enfants, de s’inscrire à son tour dans un co-apprentissage à travers lequel elle apprend enfin, en interaction avec les petits, à dire mais aussi à lire, à écrire.
  • Délestées des interdictions linguistiques obsolètes, Zohra et Farida acceptent que le français, si longtemps langue des Autres, soit devenue leur langue, à eux qui sont les siens, avec l’arabe, une langue à devenir co-identitaire.
  • Tandis qu’AS, remariée avec un mari marocain très peu francophone qui a bouleversé son quotidien langagier, à qui elle apprend le français et qui lui enseigne à lire et écrire l’arabe, réaffirme une identité et une pratique plurielles et la volonté de transmettre, parler arabe à sa petite fille.
  • Toutes 3 convergent finalement vers une forme de déculpabilisation, des choix plus assumés ou le droit de se laisser expérimenter, de revenir sur et/ou dépasser le passé, affranchies de leurs rôles de garant linguistique, de frontières et de territoires séparées, ayant cheminé du clivage à la pluralité (Bretegnier, 2013), vers un décloisonnement qui donne à se produire comme à la fois, arabophones et francophones.