Seydou
L’ENFANT, UN ÊTRE À FORMER
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DES RÉGENTS ET D’ANCIENS ÉLÈVES TÉMOIGNENT
BIBLIOTHÈQUE SONORE
32 ans, né au Sénégal Fragments d’histoire de languesTerrain 6 : « Migr’étudiants » Corpus de thèse : Parcours migratoires et constructions identitaires en contextes francophones. Une lecture sociolinguistique du processus d’intégration de migrants africains en France et en Acadie du Nouveau-Brunswick, 2014 |
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Seydou est originaire du Sénégal. Né en 1974, de parents tous les deux Wolofs, à Tivaouane (ville du centre-ouest du Sénégal, où se parlerait selon lui le wolof « le plus pur »), il se dit aujourd’hui fier d’être Wolof et de pratiquer sa langue partout où il en a la possibilité, y compris et surtout à l’étranger, puisqu’elle lui rappelle sa mère patrie. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. |
Dur apprentissage et « sacralisation » du français…Tout petit déjà, Seydou vouait un respect quasi « religieux » au français, qu’il a appris à l’école, durement. Il garde un souvenir cuisant, mais aussi, d’une certaine manière, reconnaissant, des séances de dictées faites par son père qui leur infligeait, à lui et à son frère, autant de coup de bâtons que de fautes commises). …minorisations emboitées du wolof et du toucouleurS’il a « souffert » pour apprendre le français, en revanche, le wolof (la langue que Seydou reconnaît comme étant sa langue maternelle), ainsi que le toucouleur, langue qu’il a « ramassée », comme il dit (en jouant avec le petit voisin dont sa famille et la sienne partageaient une même cour), ils les a acquis sans aucune forme d’effort, et considère, à ce titre, n’avoir aucun mérite à les parler. N’importe qui, en effet, est selon lui capable d’en faire autant, alors que le français n’était, dans le contexte qu’il évoque, accessible qu’à ceux qui avaient le privilège d’être scolarisés et le mérite de bien travailler à l’école, et donc, de pouvoir le maîtriser par ce biais (valorisant, selon les critères appréciatifs de Seydou). |
« J’ai trop souffert pour apprendre cette langue »« Je sais que le français je l’ai toujours respecté, mais trop même ! Parce que bon, j’ai souffert à cause de cette langue quoi. Comme je te l’ai dit, mon père y nous faisait faire des dictées. Tous les soirs on avait droit à une dictée et fallait pas faire de fautes ! Ça c’était hors de question sinon on était bien bien punis quoi [rires], mais très bien sanctionnés! » (Seydou) « Je ne l’appelais même pas langue »« C’était juste une langue que je parlais comme ça. Je ne l’appelais même pas langue quoi. C’était naturel quoi, tout le monde parlait wolof quoi. Même ceux qui n’ont pas été à l’école parlaient wolof. Tu vois, on n’a pas souffert pour apprendre cette langue-là. Alors que je sais que j’ai souffert pour apprendre la langue française ! Par contre, le wolof… Bon du coup, pour moi y avait même pas photo quoi entre le français et le wolof. » (Seydou) |
Le père de Seydou a été muté dans le Sud du pays, à Ziguinchor, une des villes principales de la Casamance. Cette région, dont le groupe ethnique dominant est celui des Diola, était notamment caractérisée par une présence du véhiculaire national, le wolof, moins forte que dans les autres régions du Sénégal, avec une préférence accordée au français pour les situations de communication interethnique. Du sanctuaire de la classe à la rue… désacralisation du français
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« Ce qui m’interroge le plus c’est mon séjour à Ziguinchor parce que je sais que là bas je me suis ADAPTE à quelque chose que je connaissais pas et c’était pas naturel. Je connaissais la langue française, bon pas très bien, mais je pouvais me débrouiller. |
Se dessine en filigrane comme un sentiment d’illégitimité linguistique dans la posture nouvelle de pratique interactive orale du français, en situation informelle… non cadrée |
L’arrivée et le séjour de Seydou en France pour la poursuite de ses études supérieures, marque une autre étape importante dans sa vie et sera, comme lors de sa première expérience de mobilité en Casamance, source de reconfiguration de ses rapports identitaires aux langues. |
« Dis-moi quelle langue tu parles, je te dirai qui tu es… »Le wolof que Seydou n’« appelait même langue », néanmoins langue maternelle et véhiculaire de son répertoire langagier, revêt pour lui et de manière plus significative à la faveur de la migration et de l’éloignement de sa mère partie, une fonction de manifestation et d’affirmation de son identité sénégalaise. |
« Il faut exprimer notre sénégalité, en faisant quoi ? En parlant notre langue, le wolof »« On est en France, on est loin de notre Sénégal, mais ce qui nous caractérise ici c’est cette identité sénégalaise. Il y a une langue véhiculaire qui est connue par tout le monde, qui est le wolof. Donc étant Sénégalais je dois manifester ma sénégalité par le wolof. » (Seydou) |
« Fonction grégaire » de la langue et sanction sociale…Le wolof représente en effet l’emblème par excellence d’identification et de reconnaissance nationale des Sénégalais de la diaspora, lui conférant, en sus de sa fonction de véhiculaire, une fonction grégaire propre aux vernaculaires. Cette sanction sociale, exprimée à l’encontre de celles et ceux qui « refuseraient de répondre à une invitation (implicite) de parler wolof », au-delà du fait qu’elle condamnerait la non-allégeance supposée à l’identité sénégalaise, serait peut-être aussi une forme de condamnation symbolique d’une adhésion trop ostentatoire au français, langue officielle, non autochtone, non supposément identitaire, mais langue de l’élite sociale. |
« Tu es à Dakar, tu parles français dans la rue ou bien avec tes copines. On dit : « akh de fa beri mana, dey diaye affaires*/elle se la raconte, elle se la pète ».*Séquence en wolof traduite dans la suite immédiate du propos de Seydou. C’est ce qu’on dit, tu vois ? C’est encore une fois une preuve de la sanction sociale. C’est comme ça. C’est pas fondé, c’est pas vérifiable, c’est pas scientifique, mais on n’y peut rien. Donc, forcément, quand je viens et que tu refuses de répondre à mon invitation de parler wolof, je dis « ah, elle se la raconte », je me pose pas de questions. » (Seydou) |
Cette corrélation particulière entre langue(s) et identité(s) est notamment mise en évidence dans les enquêtes de Labov comme celle de Martha’s vineyard (Labov, 1972) ou encore dans les travaux de Milroy et Milroy (1985). Ils y démontrent notamment le rôle du vernaculaire comme symbole identitaire dans les communautés à liens étroits. |
« Feuilletés identitaires » : valse de sentiments de légitimité/illégitimité linguistique, entre auto/hétéro perceptions…
*Abdoulaye Wade, Président de la République du Sénégal, successeur du président Abdou Diouf depuis 2000, réélu pour un second mandat présidentiel et à nouveau candidat en Février 2012 pour un mandat de plus, à l’âge de 85 ans. Il a perdu ces élections et cédé sa place à l’actuel président, Macky Sall, élu le 25 mars 2012. |
« Je ne suis pas un locuteur légitime par rapport à mon accent »…« Quand je venais ici, j’avais une licence mais avec une très bonne mention en Littérature Moderne et Comparée ! Donc pour moi, la langue française, ses secrets n’étaient pas énormes. Mais une fois arrivé ici, je me suis senti que je ne suis pas un locuteur légitime par rapport à mon accent. Quand je parle avec un Français, normalement ça doit être naturel, il doit me comprendre ; mais pas me demander de répéter à chaque fois : « pardon, t’as dit quoi ? » Je m’disais : « Est-ce que c’est moi qui parle pas français ou bien y’a un problème sur mon français ? » (Seydou) … « Mais c’est toi qui corriges »…
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Eléments de synthèseDur apprentissage et « sacralisation » du français…Le français apparaît ici comme une langue « sacrée » pour le Seydou qui a dû user ses fonds de culottes sur les bancs de l’école pour l’apprendre, et parfois payer le prix d’un certain nombre de punitions pour bien le maîtriser. Ambivalence des rapports à la langue maternelle, de « non langue » à langue d’affirmation identitaire…
Histoire de langues publiée dans : |
Imaginaires plurilingues entre familles et écoles : expériences, parcours, démarches didactiques
- Imaginaires plurilingues entre familles et écoles
- 1. IMALING : problématique, étayages et référents, opérationnalisation du programme
- 2. IMALING : Corpus et analyses : 20 portraits sociolangagiers et analyses transversales
- Présentation générale du Corpus
- 6 Terrains et dispositifs de collecte du Corpus
- Petites notices de contextualisation sociolinguistique pour situer les univers de socialisation
- Algérie
- Angola
- Bangladesh
- Chine (Canton)
- Colombie
- Corée du Sud
- Gabon
- Ingouchie
- Maroc
- Mayotte, Anjouan, Comores
- Russie
- Sénégal
- Fragments d’histoires de langues en parcours de mobilités migratoires et d’insertion sociale
- Mode d'emploi
- Collégiens allophones en inclusion scolaire
- DA
- CG
- RU
- SL
- FA
- Des femmes, mères, grand-mères, en parcours d’intégration et d’appropriation du français
- Fatima
- Sahida
- Relyes
- ZH
- KH
- LA
- SI et ZU
- AS
- Zohra
- Farida
- Étudiants en mobilités migratoires et parcours d’insertion
- Seydou
- Laurianne et Hugues
- Mb
- Pour conclure et ouvrir : esquisse d’analyses croisées
- I. Socialisé.e.s dans l’hétérogénéité : des plurilinguismes complexes
- II. Pratiques (de transmission-appropriation) langagières familiales
- III. Histoires de langues, histoires d’écoles
- IV. Des étapes biographiques, des questions sociolangagières tout au long de la vie
- V. Migrant un jour…. Migrant toujours ?... et à propos « d’intégration »
- VI. Regarder autrement, pour faire boule de neige
- 4. IMALING : Mallettes et ressources co-éducatives plurilingues et interculturelles
- Qui sommes-nous ?
32 ans, né au Sénégal Fragments d’histoire de languesTerrain 6 : « Migr’étudiants » Corpus de thèse : Parcours migratoires et constructions identitaires en contextes francophones. Une lecture sociolinguistique du processus d’intégration de migrants africains en France et en Acadie du Nouveau-Brunswick, 2014 |
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Seydou est originaire du Sénégal. Né en 1974, de parents tous les deux Wolofs, à Tivaouane (ville du centre-ouest du Sénégal, où se parlerait selon lui le wolof « le plus pur »), il se dit aujourd’hui fier d’être Wolof et de pratiquer sa langue partout où il en a la possibilité, y compris et surtout à l’étranger, puisqu’elle lui rappelle sa mère patrie. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. |
Dur apprentissage et « sacralisation » du français…Tout petit déjà, Seydou vouait un respect quasi « religieux » au français, qu’il a appris à l’école, durement. Il garde un souvenir cuisant, mais aussi, d’une certaine manière, reconnaissant, des séances de dictées faites par son père qui leur infligeait, à lui et à son frère, autant de coup de bâtons que de fautes commises). …minorisations emboitées du wolof et du toucouleurS’il a « souffert » pour apprendre le français, en revanche, le wolof (la langue que Seydou reconnaît comme étant sa langue maternelle), ainsi que le toucouleur, langue qu’il a « ramassée », comme il dit (en jouant avec le petit voisin dont sa famille et la sienne partageaient une même cour), ils les a acquis sans aucune forme d’effort, et considère, à ce titre, n’avoir aucun mérite à les parler. N’importe qui, en effet, est selon lui capable d’en faire autant, alors que le français n’était, dans le contexte qu’il évoque, accessible qu’à ceux qui avaient le privilège d’être scolarisés et le mérite de bien travailler à l’école, et donc, de pouvoir le maîtriser par ce biais (valorisant, selon les critères appréciatifs de Seydou). |
« J’ai trop souffert pour apprendre cette langue »« Je sais que le français je l’ai toujours respecté, mais trop même ! Parce que bon, j’ai souffert à cause de cette langue quoi. Comme je te l’ai dit, mon père y nous faisait faire des dictées. Tous les soirs on avait droit à une dictée et fallait pas faire de fautes ! Ça c’était hors de question sinon on était bien bien punis quoi [rires], mais très bien sanctionnés! » (Seydou) « Je ne l’appelais même pas langue »« C’était juste une langue que je parlais comme ça. Je ne l’appelais même pas langue quoi. C’était naturel quoi, tout le monde parlait wolof quoi. Même ceux qui n’ont pas été à l’école parlaient wolof. Tu vois, on n’a pas souffert pour apprendre cette langue-là. Alors que je sais que j’ai souffert pour apprendre la langue française ! Par contre, le wolof… Bon du coup, pour moi y avait même pas photo quoi entre le français et le wolof. » (Seydou) |
Le père de Seydou a été muté dans le Sud du pays, à Ziguinchor, une des villes principales de la Casamance. Cette région, dont le groupe ethnique dominant est celui des Diola, était notamment caractérisée par une présence du véhiculaire national, le wolof, moins forte que dans les autres régions du Sénégal, avec une préférence accordée au français pour les situations de communication interethnique. Du sanctuaire de la classe à la rue… désacralisation du français
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« Ce qui m’interroge le plus c’est mon séjour à Ziguinchor parce que je sais que là bas je me suis ADAPTE à quelque chose que je connaissais pas et c’était pas naturel. Je connaissais la langue française, bon pas très bien, mais je pouvais me débrouiller. |
Se dessine en filigrane comme un sentiment d’illégitimité linguistique dans la posture nouvelle de pratique interactive orale du français, en situation informelle… non cadrée |
L’arrivée et le séjour de Seydou en France pour la poursuite de ses études supérieures, marque une autre étape importante dans sa vie et sera, comme lors de sa première expérience de mobilité en Casamance, source de reconfiguration de ses rapports identitaires aux langues. |
« Dis-moi quelle langue tu parles, je te dirai qui tu es… »Le wolof que Seydou n’« appelait même langue », néanmoins langue maternelle et véhiculaire de son répertoire langagier, revêt pour lui et de manière plus significative à la faveur de la migration et de l’éloignement de sa mère partie, une fonction de manifestation et d’affirmation de son identité sénégalaise. |
« Il faut exprimer notre sénégalité, en faisant quoi ? En parlant notre langue, le wolof »« On est en France, on est loin de notre Sénégal, mais ce qui nous caractérise ici c’est cette identité sénégalaise. Il y a une langue véhiculaire qui est connue par tout le monde, qui est le wolof. Donc étant Sénégalais je dois manifester ma sénégalité par le wolof. » (Seydou) |
« Fonction grégaire » de la langue et sanction sociale…Le wolof représente en effet l’emblème par excellence d’identification et de reconnaissance nationale des Sénégalais de la diaspora, lui conférant, en sus de sa fonction de véhiculaire, une fonction grégaire propre aux vernaculaires. Cette sanction sociale, exprimée à l’encontre de celles et ceux qui « refuseraient de répondre à une invitation (implicite) de parler wolof », au-delà du fait qu’elle condamnerait la non-allégeance supposée à l’identité sénégalaise, serait peut-être aussi une forme de condamnation symbolique d’une adhésion trop ostentatoire au français, langue officielle, non autochtone, non supposément identitaire, mais langue de l’élite sociale. |
« Tu es à Dakar, tu parles français dans la rue ou bien avec tes copines. On dit : « akh de fa beri mana, dey diaye affaires*/elle se la raconte, elle se la pète ».*Séquence en wolof traduite dans la suite immédiate du propos de Seydou. C’est ce qu’on dit, tu vois ? C’est encore une fois une preuve de la sanction sociale. C’est comme ça. C’est pas fondé, c’est pas vérifiable, c’est pas scientifique, mais on n’y peut rien. Donc, forcément, quand je viens et que tu refuses de répondre à mon invitation de parler wolof, je dis « ah, elle se la raconte », je me pose pas de questions. » (Seydou) |
Cette corrélation particulière entre langue(s) et identité(s) est notamment mise en évidence dans les enquêtes de Labov comme celle de Martha’s vineyard (Labov, 1972) ou encore dans les travaux de Milroy et Milroy (1985). Ils y démontrent notamment le rôle du vernaculaire comme symbole identitaire dans les communautés à liens étroits. |
« Feuilletés identitaires » : valse de sentiments de légitimité/illégitimité linguistique, entre auto/hétéro perceptions…
*Abdoulaye Wade, Président de la République du Sénégal, successeur du président Abdou Diouf depuis 2000, réélu pour un second mandat présidentiel et à nouveau candidat en Février 2012 pour un mandat de plus, à l’âge de 85 ans. Il a perdu ces élections et cédé sa place à l’actuel président, Macky Sall, élu le 25 mars 2012. |
« Je ne suis pas un locuteur légitime par rapport à mon accent »…« Quand je venais ici, j’avais une licence mais avec une très bonne mention en Littérature Moderne et Comparée ! Donc pour moi, la langue française, ses secrets n’étaient pas énormes. Mais une fois arrivé ici, je me suis senti que je ne suis pas un locuteur légitime par rapport à mon accent. Quand je parle avec un Français, normalement ça doit être naturel, il doit me comprendre ; mais pas me demander de répéter à chaque fois : « pardon, t’as dit quoi ? » Je m’disais : « Est-ce que c’est moi qui parle pas français ou bien y’a un problème sur mon français ? » (Seydou) … « Mais c’est toi qui corriges »…
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Eléments de synthèseDur apprentissage et « sacralisation » du français…Le français apparaît ici comme une langue « sacrée » pour le Seydou qui a dû user ses fonds de culottes sur les bancs de l’école pour l’apprendre, et parfois payer le prix d’un certain nombre de punitions pour bien le maîtriser. Ambivalence des rapports à la langue maternelle, de « non langue » à langue d’affirmation identitaire…
Histoire de langues publiée dans : |
32 ans, né au Sénégal Fragments d’histoire de languesTerrain 6 : « Migr’étudiants » Corpus de thèse : Parcours migratoires et constructions identitaires en contextes francophones. Une lecture sociolinguistique du processus d’intégration de migrants africains en France et en Acadie du Nouveau-Brunswick, 2014 |
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Seydou est originaire du Sénégal. Né en 1974, de parents tous les deux Wolofs, à Tivaouane (ville du centre-ouest du Sénégal, où se parlerait selon lui le wolof « le plus pur »), il se dit aujourd’hui fier d’être Wolof et de pratiquer sa langue partout où il en a la possibilité, y compris et surtout à l’étranger, puisqu’elle lui rappelle sa mère patrie. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. |
Dur apprentissage et « sacralisation » du français…Tout petit déjà, Seydou vouait un respect quasi « religieux » au français, qu’il a appris à l’école, durement. Il garde un souvenir cuisant, mais aussi, d’une certaine manière, reconnaissant, des séances de dictées faites par son père qui leur infligeait, à lui et à son frère, autant de coup de bâtons que de fautes commises). …minorisations emboitées du wolof et du toucouleurS’il a « souffert » pour apprendre le français, en revanche, le wolof (la langue que Seydou reconnaît comme étant sa langue maternelle), ainsi que le toucouleur, langue qu’il a « ramassée », comme il dit (en jouant avec le petit voisin dont sa famille et la sienne partageaient une même cour), ils les a acquis sans aucune forme d’effort, et considère, à ce titre, n’avoir aucun mérite à les parler. N’importe qui, en effet, est selon lui capable d’en faire autant, alors que le français n’était, dans le contexte qu’il évoque, accessible qu’à ceux qui avaient le privilège d’être scolarisés et le mérite de bien travailler à l’école, et donc, de pouvoir le maîtriser par ce biais (valorisant, selon les critères appréciatifs de Seydou). |
« J’ai trop souffert pour apprendre cette langue »« Je sais que le français je l’ai toujours respecté, mais trop même ! Parce que bon, j’ai souffert à cause de cette langue quoi. Comme je te l’ai dit, mon père y nous faisait faire des dictées. Tous les soirs on avait droit à une dictée et fallait pas faire de fautes ! Ça c’était hors de question sinon on était bien bien punis quoi [rires], mais très bien sanctionnés! » (Seydou) « Je ne l’appelais même pas langue »« C’était juste une langue que je parlais comme ça. Je ne l’appelais même pas langue quoi. C’était naturel quoi, tout le monde parlait wolof quoi. Même ceux qui n’ont pas été à l’école parlaient wolof. Tu vois, on n’a pas souffert pour apprendre cette langue-là. Alors que je sais que j’ai souffert pour apprendre la langue française ! Par contre, le wolof… Bon du coup, pour moi y avait même pas photo quoi entre le français et le wolof. » (Seydou) |
Le père de Seydou a été muté dans le Sud du pays, à Ziguinchor, une des villes principales de la Casamance. Cette région, dont le groupe ethnique dominant est celui des Diola, était notamment caractérisée par une présence du véhiculaire national, le wolof, moins forte que dans les autres régions du Sénégal, avec une préférence accordée au français pour les situations de communication interethnique. Du sanctuaire de la classe à la rue… désacralisation du français
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« Ce qui m’interroge le plus c’est mon séjour à Ziguinchor parce que je sais que là bas je me suis ADAPTE à quelque chose que je connaissais pas et c’était pas naturel. Je connaissais la langue française, bon pas très bien, mais je pouvais me débrouiller. |
Se dessine en filigrane comme un sentiment d’illégitimité linguistique dans la posture nouvelle de pratique interactive orale du français, en situation informelle… non cadrée |
L’arrivée et le séjour de Seydou en France pour la poursuite de ses études supérieures, marque une autre étape importante dans sa vie et sera, comme lors de sa première expérience de mobilité en Casamance, source de reconfiguration de ses rapports identitaires aux langues. |
« Dis-moi quelle langue tu parles, je te dirai qui tu es… »Le wolof que Seydou n’« appelait même langue », néanmoins langue maternelle et véhiculaire de son répertoire langagier, revêt pour lui et de manière plus significative à la faveur de la migration et de l’éloignement de sa mère partie, une fonction de manifestation et d’affirmation de son identité sénégalaise. |
« Il faut exprimer notre sénégalité, en faisant quoi ? En parlant notre langue, le wolof »« On est en France, on est loin de notre Sénégal, mais ce qui nous caractérise ici c’est cette identité sénégalaise. Il y a une langue véhiculaire qui est connue par tout le monde, qui est le wolof. Donc étant Sénégalais je dois manifester ma sénégalité par le wolof. » (Seydou) |
« Fonction grégaire » de la langue et sanction sociale…Le wolof représente en effet l’emblème par excellence d’identification et de reconnaissance nationale des Sénégalais de la diaspora, lui conférant, en sus de sa fonction de véhiculaire, une fonction grégaire propre aux vernaculaires. Cette sanction sociale, exprimée à l’encontre de celles et ceux qui « refuseraient de répondre à une invitation (implicite) de parler wolof », au-delà du fait qu’elle condamnerait la non-allégeance supposée à l’identité sénégalaise, serait peut-être aussi une forme de condamnation symbolique d’une adhésion trop ostentatoire au français, langue officielle, non autochtone, non supposément identitaire, mais langue de l’élite sociale. |
« Tu es à Dakar, tu parles français dans la rue ou bien avec tes copines. On dit : « akh de fa beri mana, dey diaye affaires*/elle se la raconte, elle se la pète ».*Séquence en wolof traduite dans la suite immédiate du propos de Seydou. C’est ce qu’on dit, tu vois ? C’est encore une fois une preuve de la sanction sociale. C’est comme ça. C’est pas fondé, c’est pas vérifiable, c’est pas scientifique, mais on n’y peut rien. Donc, forcément, quand je viens et que tu refuses de répondre à mon invitation de parler wolof, je dis « ah, elle se la raconte », je me pose pas de questions. » (Seydou) |
Cette corrélation particulière entre langue(s) et identité(s) est notamment mise en évidence dans les enquêtes de Labov comme celle de Martha’s vineyard (Labov, 1972) ou encore dans les travaux de Milroy et Milroy (1985). Ils y démontrent notamment le rôle du vernaculaire comme symbole identitaire dans les communautés à liens étroits. |
« Feuilletés identitaires » : valse de sentiments de légitimité/illégitimité linguistique, entre auto/hétéro perceptions…
*Abdoulaye Wade, Président de la République du Sénégal, successeur du président Abdou Diouf depuis 2000, réélu pour un second mandat présidentiel et à nouveau candidat en Février 2012 pour un mandat de plus, à l’âge de 85 ans. Il a perdu ces élections et cédé sa place à l’actuel président, Macky Sall, élu le 25 mars 2012. |
« Je ne suis pas un locuteur légitime par rapport à mon accent »…« Quand je venais ici, j’avais une licence mais avec une très bonne mention en Littérature Moderne et Comparée ! Donc pour moi, la langue française, ses secrets n’étaient pas énormes. Mais une fois arrivé ici, je me suis senti que je ne suis pas un locuteur légitime par rapport à mon accent. Quand je parle avec un Français, normalement ça doit être naturel, il doit me comprendre ; mais pas me demander de répéter à chaque fois : « pardon, t’as dit quoi ? » Je m’disais : « Est-ce que c’est moi qui parle pas français ou bien y’a un problème sur mon français ? » (Seydou) … « Mais c’est toi qui corriges »…
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Eléments de synthèseDur apprentissage et « sacralisation » du français…Le français apparaît ici comme une langue « sacrée » pour le Seydou qui a dû user ses fonds de culottes sur les bancs de l’école pour l’apprendre, et parfois payer le prix d’un certain nombre de punitions pour bien le maîtriser. Ambivalence des rapports à la langue maternelle, de « non langue » à langue d’affirmation identitaire…
Histoire de langues publiée dans : |
32 ans, né au Sénégal Fragments d’histoire de languesTerrain 6 : « Migr’étudiants » Corpus de thèse : Parcours migratoires et constructions identitaires en contextes francophones. Une lecture sociolinguistique du processus d’intégration de migrants africains en France et en Acadie du Nouveau-Brunswick, 2014 |
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Seydou est originaire du Sénégal. Né en 1974, de parents tous les deux Wolofs, à Tivaouane (ville du centre-ouest du Sénégal, où se parlerait selon lui le wolof « le plus pur »), il se dit aujourd’hui fier d’être Wolof et de pratiquer sa langue partout où il en a la possibilité, y compris et surtout à l’étranger, puisqu’elle lui rappelle sa mère patrie. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. |
Dur apprentissage et « sacralisation » du français…Tout petit déjà, Seydou vouait un respect quasi « religieux » au français, qu’il a appris à l’école, durement. Il garde un souvenir cuisant, mais aussi, d’une certaine manière, reconnaissant, des séances de dictées faites par son père qui leur infligeait, à lui et à son frère, autant de coup de bâtons que de fautes commises). …minorisations emboitées du wolof et du toucouleurS’il a « souffert » pour apprendre le français, en revanche, le wolof (la langue que Seydou reconnaît comme étant sa langue maternelle), ainsi que le toucouleur, langue qu’il a « ramassée », comme il dit (en jouant avec le petit voisin dont sa famille et la sienne partageaient une même cour), ils les a acquis sans aucune forme d’effort, et considère, à ce titre, n’avoir aucun mérite à les parler. N’importe qui, en effet, est selon lui capable d’en faire autant, alors que le français n’était, dans le contexte qu’il évoque, accessible qu’à ceux qui avaient le privilège d’être scolarisés et le mérite de bien travailler à l’école, et donc, de pouvoir le maîtriser par ce biais (valorisant, selon les critères appréciatifs de Seydou). |
« J’ai trop souffert pour apprendre cette langue »« Je sais que le français je l’ai toujours respecté, mais trop même ! Parce que bon, j’ai souffert à cause de cette langue quoi. Comme je te l’ai dit, mon père y nous faisait faire des dictées. Tous les soirs on avait droit à une dictée et fallait pas faire de fautes ! Ça c’était hors de question sinon on était bien bien punis quoi [rires], mais très bien sanctionnés! » (Seydou) « Je ne l’appelais même pas langue »« C’était juste une langue que je parlais comme ça. Je ne l’appelais même pas langue quoi. C’était naturel quoi, tout le monde parlait wolof quoi. Même ceux qui n’ont pas été à l’école parlaient wolof. Tu vois, on n’a pas souffert pour apprendre cette langue-là. Alors que je sais que j’ai souffert pour apprendre la langue française ! Par contre, le wolof… Bon du coup, pour moi y avait même pas photo quoi entre le français et le wolof. » (Seydou) |
Le père de Seydou a été muté dans le Sud du pays, à Ziguinchor, une des villes principales de la Casamance. Cette région, dont le groupe ethnique dominant est celui des Diola, était notamment caractérisée par une présence du véhiculaire national, le wolof, moins forte que dans les autres régions du Sénégal, avec une préférence accordée au français pour les situations de communication interethnique. Du sanctuaire de la classe à la rue… désacralisation du français
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« Ce qui m’interroge le plus c’est mon séjour à Ziguinchor parce que je sais que là bas je me suis ADAPTE à quelque chose que je connaissais pas et c’était pas naturel. Je connaissais la langue française, bon pas très bien, mais je pouvais me débrouiller. |
Se dessine en filigrane comme un sentiment d’illégitimité linguistique dans la posture nouvelle de pratique interactive orale du français, en situation informelle… non cadrée |
L’arrivée et le séjour de Seydou en France pour la poursuite de ses études supérieures, marque une autre étape importante dans sa vie et sera, comme lors de sa première expérience de mobilité en Casamance, source de reconfiguration de ses rapports identitaires aux langues. |
« Dis-moi quelle langue tu parles, je te dirai qui tu es… »Le wolof que Seydou n’« appelait même langue », néanmoins langue maternelle et véhiculaire de son répertoire langagier, revêt pour lui et de manière plus significative à la faveur de la migration et de l’éloignement de sa mère partie, une fonction de manifestation et d’affirmation de son identité sénégalaise. |
« Il faut exprimer notre sénégalité, en faisant quoi ? En parlant notre langue, le wolof »« On est en France, on est loin de notre Sénégal, mais ce qui nous caractérise ici c’est cette identité sénégalaise. Il y a une langue véhiculaire qui est connue par tout le monde, qui est le wolof. Donc étant Sénégalais je dois manifester ma sénégalité par le wolof. » (Seydou) |
« Fonction grégaire » de la langue et sanction sociale…Le wolof représente en effet l’emblème par excellence d’identification et de reconnaissance nationale des Sénégalais de la diaspora, lui conférant, en sus de sa fonction de véhiculaire, une fonction grégaire propre aux vernaculaires. Cette sanction sociale, exprimée à l’encontre de celles et ceux qui « refuseraient de répondre à une invitation (implicite) de parler wolof », au-delà du fait qu’elle condamnerait la non-allégeance supposée à l’identité sénégalaise, serait peut-être aussi une forme de condamnation symbolique d’une adhésion trop ostentatoire au français, langue officielle, non autochtone, non supposément identitaire, mais langue de l’élite sociale. |
« Tu es à Dakar, tu parles français dans la rue ou bien avec tes copines. On dit : « akh de fa beri mana, dey diaye affaires*/elle se la raconte, elle se la pète ».*Séquence en wolof traduite dans la suite immédiate du propos de Seydou. C’est ce qu’on dit, tu vois ? C’est encore une fois une preuve de la sanction sociale. C’est comme ça. C’est pas fondé, c’est pas vérifiable, c’est pas scientifique, mais on n’y peut rien. Donc, forcément, quand je viens et que tu refuses de répondre à mon invitation de parler wolof, je dis « ah, elle se la raconte », je me pose pas de questions. » (Seydou) |
Cette corrélation particulière entre langue(s) et identité(s) est notamment mise en évidence dans les enquêtes de Labov comme celle de Martha’s vineyard (Labov, 1972) ou encore dans les travaux de Milroy et Milroy (1985). Ils y démontrent notamment le rôle du vernaculaire comme symbole identitaire dans les communautés à liens étroits. |
« Feuilletés identitaires » : valse de sentiments de légitimité/illégitimité linguistique, entre auto/hétéro perceptions…
*Abdoulaye Wade, Président de la République du Sénégal, successeur du président Abdou Diouf depuis 2000, réélu pour un second mandat présidentiel et à nouveau candidat en Février 2012 pour un mandat de plus, à l’âge de 85 ans. Il a perdu ces élections et cédé sa place à l’actuel président, Macky Sall, élu le 25 mars 2012. |
« Je ne suis pas un locuteur légitime par rapport à mon accent »…« Quand je venais ici, j’avais une licence mais avec une très bonne mention en Littérature Moderne et Comparée ! Donc pour moi, la langue française, ses secrets n’étaient pas énormes. Mais une fois arrivé ici, je me suis senti que je ne suis pas un locuteur légitime par rapport à mon accent. Quand je parle avec un Français, normalement ça doit être naturel, il doit me comprendre ; mais pas me demander de répéter à chaque fois : « pardon, t’as dit quoi ? » Je m’disais : « Est-ce que c’est moi qui parle pas français ou bien y’a un problème sur mon français ? » (Seydou) … « Mais c’est toi qui corriges »…
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Eléments de synthèseDur apprentissage et « sacralisation » du français…Le français apparaît ici comme une langue « sacrée » pour le Seydou qui a dû user ses fonds de culottes sur les bancs de l’école pour l’apprendre, et parfois payer le prix d’un certain nombre de punitions pour bien le maîtriser. Ambivalence des rapports à la langue maternelle, de « non langue » à langue d’affirmation identitaire…
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