Laurianne et Hugues
L’ENFANT, UN ÊTRE À FORMER
NOUVEAUX LIEUX, NOUVELLES INSTITUTIONS
DES RÉGENTS ET D’ANCIENS ÉLÈVES TÉMOIGNENT
BIBLIOTHÈQUE SONORE
31 ans, née au Gabon |
29 ans, né au Gabon |
Fragments croisés d’histoires de langues…Terrain 6 : « Migr’étudiants » |
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Laurianne est une jeune femme d’une trentaine d’années, originaire du Gabon.
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– « Tu n’as pas redoublé? « Ce qui est un petit peut cocasse c’est que l’institutrice s’imaginait qu’étant issue d’un pays africain, je ne pratiquais pas la langue de leur pays. Et donc qu’une intégration serait problématique. Alors elle a été agréablement surprise de voir que non seulement je parlais très bien français mais que j’étais la première de la classe. J’avais de très très bonnes notes et mieux encore, j’avais de l’avance » Laurianne |
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Un engagement intellectuel militant pour une réhabilitation de l’image de l’Afrique…
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« Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur » (proverbe africain) |
« Je suis engagée parce que je reste convaincue, à l’instar de la première génération des écrivains, c'est-à-dire Senghor, que on a vocation à faire partie de l’histoire. » (Laurianne) |
Faire de la littérature africaine pour Laurianne c’est ainsi sa façon particulière d’entrer et de participer à cette histoire africaine déjà en marche, de remonter à sa source et de retrouver ce que le rapport de force établi par la domination occidentale a enfoui dans les méandres d’une autre histoire écrite, elle, par le vainqueur. |
Acquisition tardive et concession accompagnant son expression (comme une revanche sur tous ceux qui lui reprochaient de ne pas parler sa langue) qui laissent transparaître en filigrane une forme d’appropriation de la langue, faite comme par « effraction »…
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Langue maternelle non transmise… tout de même comprise… à la longue…« Le reproche que je pourrais faire à mes parents , c’est vrai que c’est pas toujours conscient, c’est que cet espèce d’impératif de modernisation a fait qu’ils ne nous ont même pas appris à parler notre langue qu’ils parlaient entre eux, sans nous dire, à nous, « voilà les enfants… », sans même dialoguer avec nous. […] Et nous on a quand-même fini par comprendre. » (Laurianne) |
Hugues est un jeune homme de 29 ans, originaire du Gabon. |
« Comme ma mère le dit souvent, elle en fait elle se disait : voilà si je parle fang aux enfants peut-être que bon, ils auront des difficultés à s’exprimer en français. » (Hugues) |
Langue maternelle non transmise… Honte de ne pas parler sa langue… |
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« J’ai honte hein ! Moi justement c’est ce que je pense. Qu’on me regarde avec un œil : comment ça se fait que tu ne parles pas le fang quoi, c’est pas normal ! C’est comme ça que je perçois ça. *Rite de passage traditionnel, en Afrique, du « statut de l’enfance » au statut officiel « d’adulte .» |
« Francophones précoces »… « Syndrome d’Obélix »Laurianne et Hugues présentent ainsi cette caractéristique, particulière, d’avoir été élevés exclusivement en français. Celui-ci constitue ainsi, d’un point de vue sociolinguistique, leur langue maternelle de facto puisqu’il représente la seule langue dans et par laquelle Laurianne et Hugues ont pris conscience d’eux-mêmes en tant qu’êtres (pensant et parlant) et donc se sont construits en tant qu’individus-locuteurs. |
Langues maternelles « détrônées »…Cette position de langue maternelle de facto apparaît toutefois comme usurpée, illégitime. Illégitime, parce que Laurianne et Hugues ne la reconnaissent pas comme telle, puisque ne la désignant comme telle, ni l’une ni l’autre. accordant, respectivement, ce statut au punu et au fang. Mais illégitime surtout parce que si un schéma de retour en arrière était imaginable, avec une possibilité de choix de langue(s) maternelle(s) offerte, Hugues, comme Laurianne, réclameraient tous deux à leurs parents de leur parler fang et punu, leurs langues de références ethniques et identitaires. Choix du français comme langue de transmission en lieu et place des langues de références ethniques et identitaires, symptomatique du statut du français en Afrique : langue dominante, bien que minoritaire… Le contexte sociolinguistique dans lequel Laurianne et Hugues ont évolué au Gabon est en effet marqué par une situation de pluralité des langues, inégalitaires sur le plan des valeurs socialement conférées et où le français domine symboliquement en tant qu’ancienne langue coloniale et principal médium d’ascension sociale, qui imprègne les imaginaires sociolinguistiques. |
Imaginaires sociolinguistiques nourris par un rapport de force issu de l’impérialisme colonial« On est dans un rapport de force qu’on a hérité de la colonisation. On va dire encore une fois. Mais oui ! Parce que la colonisation repose sur un énorme scandale. La colonisation a préconisé la table rase. C’est-à-dire pas de culture, pas d’identité, pas de religion. Et ça, quand tu le martèles pendant des décennies, qu’on le veuille ou non, ça rentre dans la tête des gens ! » (Laurianne) « C’est un peu l’aliénation on va dire quoi que nous avons un peu subie en nous disant que voilà il faut prendre tout ce qui est importé, tout ce qui est hein de l’ancienne colonie etc., etc. […] Dans la tête des gens le français c’est la langue du futur il fallait donc apprendre cette langue. » (Hugues) « Moi mon grand-père quand il rencontrait un Punu de la même région que lui (mon père c’était la même chose), il parlait pas punu, il parlait français. Mon Dieu ! Pourquoi ? Parce qu’on avait réussi à leur inculquer qu’il y avait une échelle des valeurs et des connaissances. Donc parler français c’était le must ! » (Laurianne) « Il y a ce complexe là à l’école […]. Celui qui est Fang, ne parlera pas le fang en étant à l’école des Blancs parce qu’il est complexé par rapport à ça. Il va se dire voilà non je ne parle pas la langue maternelle, je ne parle que le français, parce que voilà c’est ce qui est considéré. Si je parle le fang, on va peut-être se moquer de moi. » (Hugues) « Pour enlever ça, pour dé-co-loniser l’esprit des gens, c’est tout un travail ! » (Hugues) |
L’expérience de la mobilité migratoire générera, pour Laurianne, comme pour Hugues, des prises de positions (identitaires) marquées et affirmées sur la problématique de l’intégration. Elle est perçue comme une injonction à peine dissimulée à l’assimilation qui constitue un piège. Si intégrer « c’est mettre au cœur », ce qui est mis au cœur du débat sur l’intégration, ce ne serait pas, selon Laurianne, une volonté réelle d’intégrer ou le besoin d’intégrer, mais plutôt la marginalité (référence faite ici aux jeunes des cités). Ce serait leur périphérie et leur étrangeté par rapport à l’identité française (celle du « français de souche ») qui seraient ainsi mises au cœur du « problème de l’intégration ». Paradoxe donc que de lier de façon indéfectible « langue et intégration », alors même que toute une frange de la population considérée comme non intégrée ou mal intégrée maîtrise la langue ainsi posée comme langue voire facteur (exclusif ?) d’intégration. Il met en évidence le fait que la caractéristique et compétence francophone de millier de migrants – pris dans les filets hyper-linguicisés d’une conception idéologique du processus d’intégration en France – est (paradoxalement) rendue transparente, inopérante… |
« Enlever l’habit de sa culture pour mettre l’habit de la culture française » : intégration (à la française) détricotée… » |
« La politique de la table rase jusque là c’est de dire : « le noir est vide on va tout lui imposer, il faut qu’on l’assimile ». Au début c’était l’assimilation, Marie-Laure. Dans cette intégration qui devient une injonction il y a presque cet espèce d’inconscient de l’assimilation qui revient. Derrière l’intégration, c’est « assimilez-vous ! ». « Il faut qu’ils assimilent, qu’ils intègrent vraiment. » Parce que intégration c’est rentrer au cœur de l’affaire. Ils ont mis les communautés noires et maghrébines en marge de la cité. Et aujourd’hui ils nous font croire que comme on nous a mis en marge, on va nous mettre au cœur. Non ! C’est leur marginalité qui est au cœur de la problématique ! Ils ne seront jamais au cœur de leur identité. C’est leur périphérie et leur étrangeté périphérique qui est au cœur du problème. » (Laurianne) |
« Le mot intégration, moi je trouve qu’on devrait même le bannir quoi ! […] Intégration… je vais m’intégrer… dans quoi ? En faisant quoi en fait ? J’aimerais bien qu’on m’explique parce que pour l’instant, pfff. » (Hugues) Le français, legs colonial : un passeport d’intégration anticipée?« En parlant d’intégration, il y a trop de choses qui entrent en compte quoi. C’est comme si, en fait, la culture de l’autre, venait euh entraver la bonne marche de la culture française, un truc comme ça. Et donc, comme je t’ai dis, moi je n’ai pas eu de problèmes. C'est-à-dire, je n’ai pas enlevé l’habit de ma culture pour mettre l’habit de la culture française. » (Hugues) |
« Moi, j’étais intégrée avant de venir ici, donc, il ne faut pas me fatiguer avec ces histoires-là. […] C’est même quoi ça. Si chacun doit seulement rester attaché là où il est né, comme une chèvre qui reste là où elle peut brouter, il ne fallait pas commencer à venir coloniser les gens. […] L’intégration, c’est quand tu parles français. Donc, c’est bon. Je suis dedans. On m’a bien chicottée à l’école pour que je parle cette langue. Les parents étaient d’accord qu’on nous fouette. Il fallait parler français. Quand la règle en fer du maître faisait gonfler tes doigts, c’était le français qui entrait dans tes os. Quand la chicotte tombait sur ton dos comme la foudre, c’était le français qui pénétrait dans ta chair. […] J’ai payé mon droit d’intégration, et ce n’était pas moins cher. » (« Pulchérie », dans Miano, Léonora, 2012, Ecrits pour la parole, p. 19) |
L’injonction sous-jacente à l’intégration, conjointement dénoncée par Laurianne et Hugues, conduit Laurianne à formaliser un positionnement (identitaire) différent de celui de de Hugues : « Jouer le jeu »... de l’intégration… Expression qu’elle convoque à plusieurs reprises dans une très longue tirade où elle évoque son ressenti sur l’intégration, en tant que minorité visible. Paradoxe du sceau d’ininvisibilitéLaurianne évoque, à l’appui de l’argumentaire qu’elle déroule, un devoir de transparence, en butte, toutefois, au paradoxe entourant l’expérience sociale des minorités visibles en France : être individuellement visible, mais invisible en tant que groupe social (Pap Ndiaye, 2008 : 17) « Jouer le jeu »… : mise en œuvre d’une forme de « laïcité ethnique »…« Fournir l’apparat » revient finalement, pour Laurianne, à lutter contre cette injonction, non pas en « ôtant l’habit de sa culture », comme le dit Hugues, mais en prenant le contre-pied de celle-ci : recouvrir « l’habit de sa culture » d’un voile de culture française, pour préserver son identité, l’affirmant ainsi, silencieusement, mais d’autant plus fortement. |
« Jouer le jeu…, fournir l’ap-pa-rat… et se préserver identitairement »?« A la limite tu dois et fournir ton identité, et ta singularité. Ça, c’est un truc extraordinaire ! C'est-à-dire que : « Chuis black, mais moi en tant que black, je mange pas nécessairement ce que les autres mangent hein* ; moi en tant que black, je sais faire des tartes aux pommes ! ». Donc il a fallu remplir tous ces critères-là pour pouvoir susciter un intérêt. […] Et donc pour moi, quand on a parlé d’intégration, j’ai repensé à tout ça. Je me dis : « Mais finalement, ça fonctionne beaucoup sur les préjugés ». Je me suis dit : « Mais finalement, on est cons de penser que ces gens-là ne nous regardent pas pour ce que nous apparaissons d’abord ». C’est vrai que quand on est noir c’est un peu un repoussoir quoi, les Noirs hein… Mais on oublie que les gens fonctionnent beaucoup sur les apparences. Et j’ai compris ça. Je m’habille en jeans, j’ai un accent correct, j’utilise un très bon français, meilleur que le leur, mei-lleur que le leur. Et c’est là qu’on commence à oh… nous respecter. (Laurianne) « On a vis-à-vis d’eux, on a presqu’un, un devoir de transparence. Oui, on a un devoir de transparence vis-à-vis d’eux, même si la couleur de notre peau fait que c’est difficile d’être transparent. » (Laurianne) Donc, quand on dit : « Intègre-toi », je dis : « Bon d’accord, je vais jouer le jeu de l’intégration. Je vais porter jeans, je vais manger tartiflette, je vais manger quiche lorraine, tout ce que vous voulez. Je vais dire que c’est très bon même si j’aime pas ; et puis après, moi, mon identité, je la garde pour moi ». Moi je dis, il vaut mieux être malin et continuer à simuler parce que l’intégration s’arrête à ma porte après tout. Puisqu’on ne nous demande que de l’apparat, fournissons-leur l’ap-pa-rat. Et préservons-nous identitairement parlant ! » (Laurianne) « Dans les années soixante-dix, l’ambiance intégratrice était de type Michael Jackson : la métamorphose esthétique pour devenir invisible. Transparent. » (Bégag, 2003 : 10) |
Eléments de synthèseExpériences croisées de « Migr’étudiants », « francophones précoces »…Le français au biberon… Langues maternelles détrônées…
« Rapport de force hérité de la colonisation »… Imaginaires historiquement construits
Intégration détricotée…
Laïcité ethnique : « Laisser au pas de sa porte tout « signe visible » et manifestation (pouvant être perçue comme) ostentatoire d’appartenance ethnique, culturelle, linguistique, distincts de ceux considérés comme légitimes, acceptables, dans l’espace public et interrelationnel avec les membres de la société. » (Tending, 2014 : 474) Histoire langagière de Laurianne publiée dans : |
Imaginaires plurilingues entre familles et écoles : expériences, parcours, démarches didactiques
- Imaginaires plurilingues entre familles et écoles
- 1. IMALING : problématique, étayages et référents, opérationnalisation du programme
- 2. IMALING : Corpus et analyses : 20 portraits sociolangagiers et analyses transversales
- Présentation générale du Corpus
- 6 Terrains et dispositifs de collecte du Corpus
- Petites notices de contextualisation sociolinguistique pour situer les univers de socialisation
- Algérie
- Angola
- Bangladesh
- Chine (Canton)
- Colombie
- Corée du Sud
- Gabon
- Ingouchie
- Maroc
- Mayotte, Anjouan, Comores
- Russie
- Sénégal
- Fragments d’histoires de langues en parcours de mobilités migratoires et d’insertion sociale
- Mode d'emploi
- Collégiens allophones en inclusion scolaire
- DA
- CG
- RU
- SL
- FA
- Des femmes, mères, grand-mères, en parcours d’intégration et d’appropriation du français
- Fatima
- Sahida
- Relyes
- ZH
- KH
- LA
- SI et ZU
- AS
- Zohra
- Farida
- Étudiants en mobilités migratoires et parcours d’insertion
- Seydou
- Laurianne et Hugues
- Mb
- Pour conclure et ouvrir : esquisse d’analyses croisées
- I. Socialisé.e.s dans l’hétérogénéité : des plurilinguismes complexes
- II. Pratiques (de transmission-appropriation) langagières familiales
- III. Histoires de langues, histoires d’écoles
- IV. Des étapes biographiques, des questions sociolangagières tout au long de la vie
- V. Migrant un jour…. Migrant toujours ?... et à propos « d’intégration »
- VI. Regarder autrement, pour faire boule de neige
- 4. IMALING : Mallettes et ressources co-éducatives plurilingues et interculturelles
- Qui sommes-nous ?
31 ans, née au Gabon |
29 ans, né au Gabon |
Fragments croisés d’histoires de langues…Terrain 6 : « Migr’étudiants » |
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Laurianne est une jeune femme d’une trentaine d’années, originaire du Gabon.
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– « Tu n’as pas redoublé? « Ce qui est un petit peut cocasse c’est que l’institutrice s’imaginait qu’étant issue d’un pays africain, je ne pratiquais pas la langue de leur pays. Et donc qu’une intégration serait problématique. Alors elle a été agréablement surprise de voir que non seulement je parlais très bien français mais que j’étais la première de la classe. J’avais de très très bonnes notes et mieux encore, j’avais de l’avance » Laurianne |
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Un engagement intellectuel militant pour une réhabilitation de l’image de l’Afrique…
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« Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur » (proverbe africain) |
« Je suis engagée parce que je reste convaincue, à l’instar de la première génération des écrivains, c'est-à-dire Senghor, que on a vocation à faire partie de l’histoire. » (Laurianne) |
Faire de la littérature africaine pour Laurianne c’est ainsi sa façon particulière d’entrer et de participer à cette histoire africaine déjà en marche, de remonter à sa source et de retrouver ce que le rapport de force établi par la domination occidentale a enfoui dans les méandres d’une autre histoire écrite, elle, par le vainqueur. |
Acquisition tardive et concession accompagnant son expression (comme une revanche sur tous ceux qui lui reprochaient de ne pas parler sa langue) qui laissent transparaître en filigrane une forme d’appropriation de la langue, faite comme par « effraction »…
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Langue maternelle non transmise… tout de même comprise… à la longue…« Le reproche que je pourrais faire à mes parents , c’est vrai que c’est pas toujours conscient, c’est que cet espèce d’impératif de modernisation a fait qu’ils ne nous ont même pas appris à parler notre langue qu’ils parlaient entre eux, sans nous dire, à nous, « voilà les enfants… », sans même dialoguer avec nous. […] Et nous on a quand-même fini par comprendre. » (Laurianne) |
Hugues est un jeune homme de 29 ans, originaire du Gabon. |
« Comme ma mère le dit souvent, elle en fait elle se disait : voilà si je parle fang aux enfants peut-être que bon, ils auront des difficultés à s’exprimer en français. » (Hugues) |
Langue maternelle non transmise… Honte de ne pas parler sa langue… |
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« J’ai honte hein ! Moi justement c’est ce que je pense. Qu’on me regarde avec un œil : comment ça se fait que tu ne parles pas le fang quoi, c’est pas normal ! C’est comme ça que je perçois ça. *Rite de passage traditionnel, en Afrique, du « statut de l’enfance » au statut officiel « d’adulte .» |
« Francophones précoces »… « Syndrome d’Obélix »Laurianne et Hugues présentent ainsi cette caractéristique, particulière, d’avoir été élevés exclusivement en français. Celui-ci constitue ainsi, d’un point de vue sociolinguistique, leur langue maternelle de facto puisqu’il représente la seule langue dans et par laquelle Laurianne et Hugues ont pris conscience d’eux-mêmes en tant qu’êtres (pensant et parlant) et donc se sont construits en tant qu’individus-locuteurs. |
Langues maternelles « détrônées »…Cette position de langue maternelle de facto apparaît toutefois comme usurpée, illégitime. Illégitime, parce que Laurianne et Hugues ne la reconnaissent pas comme telle, puisque ne la désignant comme telle, ni l’une ni l’autre. accordant, respectivement, ce statut au punu et au fang. Mais illégitime surtout parce que si un schéma de retour en arrière était imaginable, avec une possibilité de choix de langue(s) maternelle(s) offerte, Hugues, comme Laurianne, réclameraient tous deux à leurs parents de leur parler fang et punu, leurs langues de références ethniques et identitaires. Choix du français comme langue de transmission en lieu et place des langues de références ethniques et identitaires, symptomatique du statut du français en Afrique : langue dominante, bien que minoritaire… Le contexte sociolinguistique dans lequel Laurianne et Hugues ont évolué au Gabon est en effet marqué par une situation de pluralité des langues, inégalitaires sur le plan des valeurs socialement conférées et où le français domine symboliquement en tant qu’ancienne langue coloniale et principal médium d’ascension sociale, qui imprègne les imaginaires sociolinguistiques. |
Imaginaires sociolinguistiques nourris par un rapport de force issu de l’impérialisme colonial« On est dans un rapport de force qu’on a hérité de la colonisation. On va dire encore une fois. Mais oui ! Parce que la colonisation repose sur un énorme scandale. La colonisation a préconisé la table rase. C’est-à-dire pas de culture, pas d’identité, pas de religion. Et ça, quand tu le martèles pendant des décennies, qu’on le veuille ou non, ça rentre dans la tête des gens ! » (Laurianne) « C’est un peu l’aliénation on va dire quoi que nous avons un peu subie en nous disant que voilà il faut prendre tout ce qui est importé, tout ce qui est hein de l’ancienne colonie etc., etc. […] Dans la tête des gens le français c’est la langue du futur il fallait donc apprendre cette langue. » (Hugues) « Moi mon grand-père quand il rencontrait un Punu de la même région que lui (mon père c’était la même chose), il parlait pas punu, il parlait français. Mon Dieu ! Pourquoi ? Parce qu’on avait réussi à leur inculquer qu’il y avait une échelle des valeurs et des connaissances. Donc parler français c’était le must ! » (Laurianne) « Il y a ce complexe là à l’école […]. Celui qui est Fang, ne parlera pas le fang en étant à l’école des Blancs parce qu’il est complexé par rapport à ça. Il va se dire voilà non je ne parle pas la langue maternelle, je ne parle que le français, parce que voilà c’est ce qui est considéré. Si je parle le fang, on va peut-être se moquer de moi. » (Hugues) « Pour enlever ça, pour dé-co-loniser l’esprit des gens, c’est tout un travail ! » (Hugues) |
L’expérience de la mobilité migratoire générera, pour Laurianne, comme pour Hugues, des prises de positions (identitaires) marquées et affirmées sur la problématique de l’intégration. Elle est perçue comme une injonction à peine dissimulée à l’assimilation qui constitue un piège. Si intégrer « c’est mettre au cœur », ce qui est mis au cœur du débat sur l’intégration, ce ne serait pas, selon Laurianne, une volonté réelle d’intégrer ou le besoin d’intégrer, mais plutôt la marginalité (référence faite ici aux jeunes des cités). Ce serait leur périphérie et leur étrangeté par rapport à l’identité française (celle du « français de souche ») qui seraient ainsi mises au cœur du « problème de l’intégration ». Paradoxe donc que de lier de façon indéfectible « langue et intégration », alors même que toute une frange de la population considérée comme non intégrée ou mal intégrée maîtrise la langue ainsi posée comme langue voire facteur (exclusif ?) d’intégration. Il met en évidence le fait que la caractéristique et compétence francophone de millier de migrants – pris dans les filets hyper-linguicisés d’une conception idéologique du processus d’intégration en France – est (paradoxalement) rendue transparente, inopérante… |
« Enlever l’habit de sa culture pour mettre l’habit de la culture française » : intégration (à la française) détricotée… » |
« La politique de la table rase jusque là c’est de dire : « le noir est vide on va tout lui imposer, il faut qu’on l’assimile ». Au début c’était l’assimilation, Marie-Laure. Dans cette intégration qui devient une injonction il y a presque cet espèce d’inconscient de l’assimilation qui revient. Derrière l’intégration, c’est « assimilez-vous ! ». « Il faut qu’ils assimilent, qu’ils intègrent vraiment. » Parce que intégration c’est rentrer au cœur de l’affaire. Ils ont mis les communautés noires et maghrébines en marge de la cité. Et aujourd’hui ils nous font croire que comme on nous a mis en marge, on va nous mettre au cœur. Non ! C’est leur marginalité qui est au cœur de la problématique ! Ils ne seront jamais au cœur de leur identité. C’est leur périphérie et leur étrangeté périphérique qui est au cœur du problème. » (Laurianne) |
« Le mot intégration, moi je trouve qu’on devrait même le bannir quoi ! […] Intégration… je vais m’intégrer… dans quoi ? En faisant quoi en fait ? J’aimerais bien qu’on m’explique parce que pour l’instant, pfff. » (Hugues) Le français, legs colonial : un passeport d’intégration anticipée?« En parlant d’intégration, il y a trop de choses qui entrent en compte quoi. C’est comme si, en fait, la culture de l’autre, venait euh entraver la bonne marche de la culture française, un truc comme ça. Et donc, comme je t’ai dis, moi je n’ai pas eu de problèmes. C'est-à-dire, je n’ai pas enlevé l’habit de ma culture pour mettre l’habit de la culture française. » (Hugues) |
« Moi, j’étais intégrée avant de venir ici, donc, il ne faut pas me fatiguer avec ces histoires-là. […] C’est même quoi ça. Si chacun doit seulement rester attaché là où il est né, comme une chèvre qui reste là où elle peut brouter, il ne fallait pas commencer à venir coloniser les gens. […] L’intégration, c’est quand tu parles français. Donc, c’est bon. Je suis dedans. On m’a bien chicottée à l’école pour que je parle cette langue. Les parents étaient d’accord qu’on nous fouette. Il fallait parler français. Quand la règle en fer du maître faisait gonfler tes doigts, c’était le français qui entrait dans tes os. Quand la chicotte tombait sur ton dos comme la foudre, c’était le français qui pénétrait dans ta chair. […] J’ai payé mon droit d’intégration, et ce n’était pas moins cher. » (« Pulchérie », dans Miano, Léonora, 2012, Ecrits pour la parole, p. 19) |
L’injonction sous-jacente à l’intégration, conjointement dénoncée par Laurianne et Hugues, conduit Laurianne à formaliser un positionnement (identitaire) différent de celui de de Hugues : « Jouer le jeu »... de l’intégration… Expression qu’elle convoque à plusieurs reprises dans une très longue tirade où elle évoque son ressenti sur l’intégration, en tant que minorité visible. Paradoxe du sceau d’ininvisibilitéLaurianne évoque, à l’appui de l’argumentaire qu’elle déroule, un devoir de transparence, en butte, toutefois, au paradoxe entourant l’expérience sociale des minorités visibles en France : être individuellement visible, mais invisible en tant que groupe social (Pap Ndiaye, 2008 : 17) « Jouer le jeu »… : mise en œuvre d’une forme de « laïcité ethnique »…« Fournir l’apparat » revient finalement, pour Laurianne, à lutter contre cette injonction, non pas en « ôtant l’habit de sa culture », comme le dit Hugues, mais en prenant le contre-pied de celle-ci : recouvrir « l’habit de sa culture » d’un voile de culture française, pour préserver son identité, l’affirmant ainsi, silencieusement, mais d’autant plus fortement. |
« Jouer le jeu…, fournir l’ap-pa-rat… et se préserver identitairement »?« A la limite tu dois et fournir ton identité, et ta singularité. Ça, c’est un truc extraordinaire ! C'est-à-dire que : « Chuis black, mais moi en tant que black, je mange pas nécessairement ce que les autres mangent hein* ; moi en tant que black, je sais faire des tartes aux pommes ! ». Donc il a fallu remplir tous ces critères-là pour pouvoir susciter un intérêt. […] Et donc pour moi, quand on a parlé d’intégration, j’ai repensé à tout ça. Je me dis : « Mais finalement, ça fonctionne beaucoup sur les préjugés ». Je me suis dit : « Mais finalement, on est cons de penser que ces gens-là ne nous regardent pas pour ce que nous apparaissons d’abord ». C’est vrai que quand on est noir c’est un peu un repoussoir quoi, les Noirs hein… Mais on oublie que les gens fonctionnent beaucoup sur les apparences. Et j’ai compris ça. Je m’habille en jeans, j’ai un accent correct, j’utilise un très bon français, meilleur que le leur, mei-lleur que le leur. Et c’est là qu’on commence à oh… nous respecter. (Laurianne) « On a vis-à-vis d’eux, on a presqu’un, un devoir de transparence. Oui, on a un devoir de transparence vis-à-vis d’eux, même si la couleur de notre peau fait que c’est difficile d’être transparent. » (Laurianne) Donc, quand on dit : « Intègre-toi », je dis : « Bon d’accord, je vais jouer le jeu de l’intégration. Je vais porter jeans, je vais manger tartiflette, je vais manger quiche lorraine, tout ce que vous voulez. Je vais dire que c’est très bon même si j’aime pas ; et puis après, moi, mon identité, je la garde pour moi ». Moi je dis, il vaut mieux être malin et continuer à simuler parce que l’intégration s’arrête à ma porte après tout. Puisqu’on ne nous demande que de l’apparat, fournissons-leur l’ap-pa-rat. Et préservons-nous identitairement parlant ! » (Laurianne) « Dans les années soixante-dix, l’ambiance intégratrice était de type Michael Jackson : la métamorphose esthétique pour devenir invisible. Transparent. » (Bégag, 2003 : 10) |
Eléments de synthèseExpériences croisées de « Migr’étudiants », « francophones précoces »…Le français au biberon… Langues maternelles détrônées…
« Rapport de force hérité de la colonisation »… Imaginaires historiquement construits
Intégration détricotée…
Laïcité ethnique : « Laisser au pas de sa porte tout « signe visible » et manifestation (pouvant être perçue comme) ostentatoire d’appartenance ethnique, culturelle, linguistique, distincts de ceux considérés comme légitimes, acceptables, dans l’espace public et interrelationnel avec les membres de la société. » (Tending, 2014 : 474) Histoire langagière de Laurianne publiée dans : |
31 ans, née au Gabon |
29 ans, né au Gabon |
Fragments croisés d’histoires de langues…Terrain 6 : « Migr’étudiants » |
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Laurianne est une jeune femme d’une trentaine d’années, originaire du Gabon.
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– « Tu n’as pas redoublé? « Ce qui est un petit peut cocasse c’est que l’institutrice s’imaginait qu’étant issue d’un pays africain, je ne pratiquais pas la langue de leur pays. Et donc qu’une intégration serait problématique. Alors elle a été agréablement surprise de voir que non seulement je parlais très bien français mais que j’étais la première de la classe. J’avais de très très bonnes notes et mieux encore, j’avais de l’avance » Laurianne |
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Un engagement intellectuel militant pour une réhabilitation de l’image de l’Afrique…
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« Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur » (proverbe africain) |
« Je suis engagée parce que je reste convaincue, à l’instar de la première génération des écrivains, c'est-à-dire Senghor, que on a vocation à faire partie de l’histoire. » (Laurianne) |
Faire de la littérature africaine pour Laurianne c’est ainsi sa façon particulière d’entrer et de participer à cette histoire africaine déjà en marche, de remonter à sa source et de retrouver ce que le rapport de force établi par la domination occidentale a enfoui dans les méandres d’une autre histoire écrite, elle, par le vainqueur. |
Acquisition tardive et concession accompagnant son expression (comme une revanche sur tous ceux qui lui reprochaient de ne pas parler sa langue) qui laissent transparaître en filigrane une forme d’appropriation de la langue, faite comme par « effraction »…
|
Langue maternelle non transmise… tout de même comprise… à la longue…« Le reproche que je pourrais faire à mes parents , c’est vrai que c’est pas toujours conscient, c’est que cet espèce d’impératif de modernisation a fait qu’ils ne nous ont même pas appris à parler notre langue qu’ils parlaient entre eux, sans nous dire, à nous, « voilà les enfants… », sans même dialoguer avec nous. […] Et nous on a quand-même fini par comprendre. » (Laurianne) |
Hugues est un jeune homme de 29 ans, originaire du Gabon. |
« Comme ma mère le dit souvent, elle en fait elle se disait : voilà si je parle fang aux enfants peut-être que bon, ils auront des difficultés à s’exprimer en français. » (Hugues) |
Langue maternelle non transmise… Honte de ne pas parler sa langue… |
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« J’ai honte hein ! Moi justement c’est ce que je pense. Qu’on me regarde avec un œil : comment ça se fait que tu ne parles pas le fang quoi, c’est pas normal ! C’est comme ça que je perçois ça. *Rite de passage traditionnel, en Afrique, du « statut de l’enfance » au statut officiel « d’adulte .» |
« Francophones précoces »… « Syndrome d’Obélix »Laurianne et Hugues présentent ainsi cette caractéristique, particulière, d’avoir été élevés exclusivement en français. Celui-ci constitue ainsi, d’un point de vue sociolinguistique, leur langue maternelle de facto puisqu’il représente la seule langue dans et par laquelle Laurianne et Hugues ont pris conscience d’eux-mêmes en tant qu’êtres (pensant et parlant) et donc se sont construits en tant qu’individus-locuteurs. |
Langues maternelles « détrônées »…Cette position de langue maternelle de facto apparaît toutefois comme usurpée, illégitime. Illégitime, parce que Laurianne et Hugues ne la reconnaissent pas comme telle, puisque ne la désignant comme telle, ni l’une ni l’autre. accordant, respectivement, ce statut au punu et au fang. Mais illégitime surtout parce que si un schéma de retour en arrière était imaginable, avec une possibilité de choix de langue(s) maternelle(s) offerte, Hugues, comme Laurianne, réclameraient tous deux à leurs parents de leur parler fang et punu, leurs langues de références ethniques et identitaires. Choix du français comme langue de transmission en lieu et place des langues de références ethniques et identitaires, symptomatique du statut du français en Afrique : langue dominante, bien que minoritaire… Le contexte sociolinguistique dans lequel Laurianne et Hugues ont évolué au Gabon est en effet marqué par une situation de pluralité des langues, inégalitaires sur le plan des valeurs socialement conférées et où le français domine symboliquement en tant qu’ancienne langue coloniale et principal médium d’ascension sociale, qui imprègne les imaginaires sociolinguistiques. |
Imaginaires sociolinguistiques nourris par un rapport de force issu de l’impérialisme colonial« On est dans un rapport de force qu’on a hérité de la colonisation. On va dire encore une fois. Mais oui ! Parce que la colonisation repose sur un énorme scandale. La colonisation a préconisé la table rase. C’est-à-dire pas de culture, pas d’identité, pas de religion. Et ça, quand tu le martèles pendant des décennies, qu’on le veuille ou non, ça rentre dans la tête des gens ! » (Laurianne) « C’est un peu l’aliénation on va dire quoi que nous avons un peu subie en nous disant que voilà il faut prendre tout ce qui est importé, tout ce qui est hein de l’ancienne colonie etc., etc. […] Dans la tête des gens le français c’est la langue du futur il fallait donc apprendre cette langue. » (Hugues) « Moi mon grand-père quand il rencontrait un Punu de la même région que lui (mon père c’était la même chose), il parlait pas punu, il parlait français. Mon Dieu ! Pourquoi ? Parce qu’on avait réussi à leur inculquer qu’il y avait une échelle des valeurs et des connaissances. Donc parler français c’était le must ! » (Laurianne) « Il y a ce complexe là à l’école […]. Celui qui est Fang, ne parlera pas le fang en étant à l’école des Blancs parce qu’il est complexé par rapport à ça. Il va se dire voilà non je ne parle pas la langue maternelle, je ne parle que le français, parce que voilà c’est ce qui est considéré. Si je parle le fang, on va peut-être se moquer de moi. » (Hugues) « Pour enlever ça, pour dé-co-loniser l’esprit des gens, c’est tout un travail ! » (Hugues) |
L’expérience de la mobilité migratoire générera, pour Laurianne, comme pour Hugues, des prises de positions (identitaires) marquées et affirmées sur la problématique de l’intégration. Elle est perçue comme une injonction à peine dissimulée à l’assimilation qui constitue un piège. Si intégrer « c’est mettre au cœur », ce qui est mis au cœur du débat sur l’intégration, ce ne serait pas, selon Laurianne, une volonté réelle d’intégrer ou le besoin d’intégrer, mais plutôt la marginalité (référence faite ici aux jeunes des cités). Ce serait leur périphérie et leur étrangeté par rapport à l’identité française (celle du « français de souche ») qui seraient ainsi mises au cœur du « problème de l’intégration ». Paradoxe donc que de lier de façon indéfectible « langue et intégration », alors même que toute une frange de la population considérée comme non intégrée ou mal intégrée maîtrise la langue ainsi posée comme langue voire facteur (exclusif ?) d’intégration. Il met en évidence le fait que la caractéristique et compétence francophone de millier de migrants – pris dans les filets hyper-linguicisés d’une conception idéologique du processus d’intégration en France – est (paradoxalement) rendue transparente, inopérante… |
« Enlever l’habit de sa culture pour mettre l’habit de la culture française » : intégration (à la française) détricotée… » |
« La politique de la table rase jusque là c’est de dire : « le noir est vide on va tout lui imposer, il faut qu’on l’assimile ». Au début c’était l’assimilation, Marie-Laure. Dans cette intégration qui devient une injonction il y a presque cet espèce d’inconscient de l’assimilation qui revient. Derrière l’intégration, c’est « assimilez-vous ! ». « Il faut qu’ils assimilent, qu’ils intègrent vraiment. » Parce que intégration c’est rentrer au cœur de l’affaire. Ils ont mis les communautés noires et maghrébines en marge de la cité. Et aujourd’hui ils nous font croire que comme on nous a mis en marge, on va nous mettre au cœur. Non ! C’est leur marginalité qui est au cœur de la problématique ! Ils ne seront jamais au cœur de leur identité. C’est leur périphérie et leur étrangeté périphérique qui est au cœur du problème. » (Laurianne) |
« Le mot intégration, moi je trouve qu’on devrait même le bannir quoi ! […] Intégration… je vais m’intégrer… dans quoi ? En faisant quoi en fait ? J’aimerais bien qu’on m’explique parce que pour l’instant, pfff. » (Hugues) Le français, legs colonial : un passeport d’intégration anticipée?« En parlant d’intégration, il y a trop de choses qui entrent en compte quoi. C’est comme si, en fait, la culture de l’autre, venait euh entraver la bonne marche de la culture française, un truc comme ça. Et donc, comme je t’ai dis, moi je n’ai pas eu de problèmes. C'est-à-dire, je n’ai pas enlevé l’habit de ma culture pour mettre l’habit de la culture française. » (Hugues) |
« Moi, j’étais intégrée avant de venir ici, donc, il ne faut pas me fatiguer avec ces histoires-là. […] C’est même quoi ça. Si chacun doit seulement rester attaché là où il est né, comme une chèvre qui reste là où elle peut brouter, il ne fallait pas commencer à venir coloniser les gens. […] L’intégration, c’est quand tu parles français. Donc, c’est bon. Je suis dedans. On m’a bien chicottée à l’école pour que je parle cette langue. Les parents étaient d’accord qu’on nous fouette. Il fallait parler français. Quand la règle en fer du maître faisait gonfler tes doigts, c’était le français qui entrait dans tes os. Quand la chicotte tombait sur ton dos comme la foudre, c’était le français qui pénétrait dans ta chair. […] J’ai payé mon droit d’intégration, et ce n’était pas moins cher. » (« Pulchérie », dans Miano, Léonora, 2012, Ecrits pour la parole, p. 19) |
L’injonction sous-jacente à l’intégration, conjointement dénoncée par Laurianne et Hugues, conduit Laurianne à formaliser un positionnement (identitaire) différent de celui de de Hugues : « Jouer le jeu »... de l’intégration… Expression qu’elle convoque à plusieurs reprises dans une très longue tirade où elle évoque son ressenti sur l’intégration, en tant que minorité visible. Paradoxe du sceau d’ininvisibilitéLaurianne évoque, à l’appui de l’argumentaire qu’elle déroule, un devoir de transparence, en butte, toutefois, au paradoxe entourant l’expérience sociale des minorités visibles en France : être individuellement visible, mais invisible en tant que groupe social (Pap Ndiaye, 2008 : 17) « Jouer le jeu »… : mise en œuvre d’une forme de « laïcité ethnique »…« Fournir l’apparat » revient finalement, pour Laurianne, à lutter contre cette injonction, non pas en « ôtant l’habit de sa culture », comme le dit Hugues, mais en prenant le contre-pied de celle-ci : recouvrir « l’habit de sa culture » d’un voile de culture française, pour préserver son identité, l’affirmant ainsi, silencieusement, mais d’autant plus fortement. |
« Jouer le jeu…, fournir l’ap-pa-rat… et se préserver identitairement »?« A la limite tu dois et fournir ton identité, et ta singularité. Ça, c’est un truc extraordinaire ! C'est-à-dire que : « Chuis black, mais moi en tant que black, je mange pas nécessairement ce que les autres mangent hein* ; moi en tant que black, je sais faire des tartes aux pommes ! ». Donc il a fallu remplir tous ces critères-là pour pouvoir susciter un intérêt. […] Et donc pour moi, quand on a parlé d’intégration, j’ai repensé à tout ça. Je me dis : « Mais finalement, ça fonctionne beaucoup sur les préjugés ». Je me suis dit : « Mais finalement, on est cons de penser que ces gens-là ne nous regardent pas pour ce que nous apparaissons d’abord ». C’est vrai que quand on est noir c’est un peu un repoussoir quoi, les Noirs hein… Mais on oublie que les gens fonctionnent beaucoup sur les apparences. Et j’ai compris ça. Je m’habille en jeans, j’ai un accent correct, j’utilise un très bon français, meilleur que le leur, mei-lleur que le leur. Et c’est là qu’on commence à oh… nous respecter. (Laurianne) « On a vis-à-vis d’eux, on a presqu’un, un devoir de transparence. Oui, on a un devoir de transparence vis-à-vis d’eux, même si la couleur de notre peau fait que c’est difficile d’être transparent. » (Laurianne) Donc, quand on dit : « Intègre-toi », je dis : « Bon d’accord, je vais jouer le jeu de l’intégration. Je vais porter jeans, je vais manger tartiflette, je vais manger quiche lorraine, tout ce que vous voulez. Je vais dire que c’est très bon même si j’aime pas ; et puis après, moi, mon identité, je la garde pour moi ». Moi je dis, il vaut mieux être malin et continuer à simuler parce que l’intégration s’arrête à ma porte après tout. Puisqu’on ne nous demande que de l’apparat, fournissons-leur l’ap-pa-rat. Et préservons-nous identitairement parlant ! » (Laurianne) « Dans les années soixante-dix, l’ambiance intégratrice était de type Michael Jackson : la métamorphose esthétique pour devenir invisible. Transparent. » (Bégag, 2003 : 10) |
Eléments de synthèseExpériences croisées de « Migr’étudiants », « francophones précoces »…Le français au biberon… Langues maternelles détrônées…
« Rapport de force hérité de la colonisation »… Imaginaires historiquement construits
Intégration détricotée…
Laïcité ethnique : « Laisser au pas de sa porte tout « signe visible » et manifestation (pouvant être perçue comme) ostentatoire d’appartenance ethnique, culturelle, linguistique, distincts de ceux considérés comme légitimes, acceptables, dans l’espace public et interrelationnel avec les membres de la société. » (Tending, 2014 : 474) Histoire langagière de Laurianne publiée dans : |
31 ans, née au Gabon |
29 ans, né au Gabon |
Fragments croisés d’histoires de langues…Terrain 6 : « Migr’étudiants » |
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Laurianne est une jeune femme d’une trentaine d’années, originaire du Gabon.
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– « Tu n’as pas redoublé? « Ce qui est un petit peut cocasse c’est que l’institutrice s’imaginait qu’étant issue d’un pays africain, je ne pratiquais pas la langue de leur pays. Et donc qu’une intégration serait problématique. Alors elle a été agréablement surprise de voir que non seulement je parlais très bien français mais que j’étais la première de la classe. J’avais de très très bonnes notes et mieux encore, j’avais de l’avance » Laurianne |
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Un engagement intellectuel militant pour une réhabilitation de l’image de l’Afrique…
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« Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur » (proverbe africain) |
« Je suis engagée parce que je reste convaincue, à l’instar de la première génération des écrivains, c'est-à-dire Senghor, que on a vocation à faire partie de l’histoire. » (Laurianne) |
Faire de la littérature africaine pour Laurianne c’est ainsi sa façon particulière d’entrer et de participer à cette histoire africaine déjà en marche, de remonter à sa source et de retrouver ce que le rapport de force établi par la domination occidentale a enfoui dans les méandres d’une autre histoire écrite, elle, par le vainqueur. |
Acquisition tardive et concession accompagnant son expression (comme une revanche sur tous ceux qui lui reprochaient de ne pas parler sa langue) qui laissent transparaître en filigrane une forme d’appropriation de la langue, faite comme par « effraction »…
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Langue maternelle non transmise… tout de même comprise… à la longue…« Le reproche que je pourrais faire à mes parents , c’est vrai que c’est pas toujours conscient, c’est que cet espèce d’impératif de modernisation a fait qu’ils ne nous ont même pas appris à parler notre langue qu’ils parlaient entre eux, sans nous dire, à nous, « voilà les enfants… », sans même dialoguer avec nous. […] Et nous on a quand-même fini par comprendre. » (Laurianne) |
Hugues est un jeune homme de 29 ans, originaire du Gabon. |
« Comme ma mère le dit souvent, elle en fait elle se disait : voilà si je parle fang aux enfants peut-être que bon, ils auront des difficultés à s’exprimer en français. » (Hugues) |
Langue maternelle non transmise… Honte de ne pas parler sa langue… |
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« J’ai honte hein ! Moi justement c’est ce que je pense. Qu’on me regarde avec un œil : comment ça se fait que tu ne parles pas le fang quoi, c’est pas normal ! C’est comme ça que je perçois ça. *Rite de passage traditionnel, en Afrique, du « statut de l’enfance » au statut officiel « d’adulte .» |
« Francophones précoces »… « Syndrome d’Obélix »Laurianne et Hugues présentent ainsi cette caractéristique, particulière, d’avoir été élevés exclusivement en français. Celui-ci constitue ainsi, d’un point de vue sociolinguistique, leur langue maternelle de facto puisqu’il représente la seule langue dans et par laquelle Laurianne et Hugues ont pris conscience d’eux-mêmes en tant qu’êtres (pensant et parlant) et donc se sont construits en tant qu’individus-locuteurs. |
Langues maternelles « détrônées »…Cette position de langue maternelle de facto apparaît toutefois comme usurpée, illégitime. Illégitime, parce que Laurianne et Hugues ne la reconnaissent pas comme telle, puisque ne la désignant comme telle, ni l’une ni l’autre. accordant, respectivement, ce statut au punu et au fang. Mais illégitime surtout parce que si un schéma de retour en arrière était imaginable, avec une possibilité de choix de langue(s) maternelle(s) offerte, Hugues, comme Laurianne, réclameraient tous deux à leurs parents de leur parler fang et punu, leurs langues de références ethniques et identitaires. Choix du français comme langue de transmission en lieu et place des langues de références ethniques et identitaires, symptomatique du statut du français en Afrique : langue dominante, bien que minoritaire… Le contexte sociolinguistique dans lequel Laurianne et Hugues ont évolué au Gabon est en effet marqué par une situation de pluralité des langues, inégalitaires sur le plan des valeurs socialement conférées et où le français domine symboliquement en tant qu’ancienne langue coloniale et principal médium d’ascension sociale, qui imprègne les imaginaires sociolinguistiques. |
Imaginaires sociolinguistiques nourris par un rapport de force issu de l’impérialisme colonial« On est dans un rapport de force qu’on a hérité de la colonisation. On va dire encore une fois. Mais oui ! Parce que la colonisation repose sur un énorme scandale. La colonisation a préconisé la table rase. C’est-à-dire pas de culture, pas d’identité, pas de religion. Et ça, quand tu le martèles pendant des décennies, qu’on le veuille ou non, ça rentre dans la tête des gens ! » (Laurianne) « C’est un peu l’aliénation on va dire quoi que nous avons un peu subie en nous disant que voilà il faut prendre tout ce qui est importé, tout ce qui est hein de l’ancienne colonie etc., etc. […] Dans la tête des gens le français c’est la langue du futur il fallait donc apprendre cette langue. » (Hugues) « Moi mon grand-père quand il rencontrait un Punu de la même région que lui (mon père c’était la même chose), il parlait pas punu, il parlait français. Mon Dieu ! Pourquoi ? Parce qu’on avait réussi à leur inculquer qu’il y avait une échelle des valeurs et des connaissances. Donc parler français c’était le must ! » (Laurianne) « Il y a ce complexe là à l’école […]. Celui qui est Fang, ne parlera pas le fang en étant à l’école des Blancs parce qu’il est complexé par rapport à ça. Il va se dire voilà non je ne parle pas la langue maternelle, je ne parle que le français, parce que voilà c’est ce qui est considéré. Si je parle le fang, on va peut-être se moquer de moi. » (Hugues) « Pour enlever ça, pour dé-co-loniser l’esprit des gens, c’est tout un travail ! » (Hugues) |
L’expérience de la mobilité migratoire générera, pour Laurianne, comme pour Hugues, des prises de positions (identitaires) marquées et affirmées sur la problématique de l’intégration. Elle est perçue comme une injonction à peine dissimulée à l’assimilation qui constitue un piège. Si intégrer « c’est mettre au cœur », ce qui est mis au cœur du débat sur l’intégration, ce ne serait pas, selon Laurianne, une volonté réelle d’intégrer ou le besoin d’intégrer, mais plutôt la marginalité (référence faite ici aux jeunes des cités). Ce serait leur périphérie et leur étrangeté par rapport à l’identité française (celle du « français de souche ») qui seraient ainsi mises au cœur du « problème de l’intégration ». Paradoxe donc que de lier de façon indéfectible « langue et intégration », alors même que toute une frange de la population considérée comme non intégrée ou mal intégrée maîtrise la langue ainsi posée comme langue voire facteur (exclusif ?) d’intégration. Il met en évidence le fait que la caractéristique et compétence francophone de millier de migrants – pris dans les filets hyper-linguicisés d’une conception idéologique du processus d’intégration en France – est (paradoxalement) rendue transparente, inopérante… |
« Enlever l’habit de sa culture pour mettre l’habit de la culture française » : intégration (à la française) détricotée… » |
« La politique de la table rase jusque là c’est de dire : « le noir est vide on va tout lui imposer, il faut qu’on l’assimile ». Au début c’était l’assimilation, Marie-Laure. Dans cette intégration qui devient une injonction il y a presque cet espèce d’inconscient de l’assimilation qui revient. Derrière l’intégration, c’est « assimilez-vous ! ». « Il faut qu’ils assimilent, qu’ils intègrent vraiment. » Parce que intégration c’est rentrer au cœur de l’affaire. Ils ont mis les communautés noires et maghrébines en marge de la cité. Et aujourd’hui ils nous font croire que comme on nous a mis en marge, on va nous mettre au cœur. Non ! C’est leur marginalité qui est au cœur de la problématique ! Ils ne seront jamais au cœur de leur identité. C’est leur périphérie et leur étrangeté périphérique qui est au cœur du problème. » (Laurianne) |
« Le mot intégration, moi je trouve qu’on devrait même le bannir quoi ! […] Intégration… je vais m’intégrer… dans quoi ? En faisant quoi en fait ? J’aimerais bien qu’on m’explique parce que pour l’instant, pfff. » (Hugues) Le français, legs colonial : un passeport d’intégration anticipée?« En parlant d’intégration, il y a trop de choses qui entrent en compte quoi. C’est comme si, en fait, la culture de l’autre, venait euh entraver la bonne marche de la culture française, un truc comme ça. Et donc, comme je t’ai dis, moi je n’ai pas eu de problèmes. C'est-à-dire, je n’ai pas enlevé l’habit de ma culture pour mettre l’habit de la culture française. » (Hugues) |
« Moi, j’étais intégrée avant de venir ici, donc, il ne faut pas me fatiguer avec ces histoires-là. […] C’est même quoi ça. Si chacun doit seulement rester attaché là où il est né, comme une chèvre qui reste là où elle peut brouter, il ne fallait pas commencer à venir coloniser les gens. […] L’intégration, c’est quand tu parles français. Donc, c’est bon. Je suis dedans. On m’a bien chicottée à l’école pour que je parle cette langue. Les parents étaient d’accord qu’on nous fouette. Il fallait parler français. Quand la règle en fer du maître faisait gonfler tes doigts, c’était le français qui entrait dans tes os. Quand la chicotte tombait sur ton dos comme la foudre, c’était le français qui pénétrait dans ta chair. […] J’ai payé mon droit d’intégration, et ce n’était pas moins cher. » (« Pulchérie », dans Miano, Léonora, 2012, Ecrits pour la parole, p. 19) |
L’injonction sous-jacente à l’intégration, conjointement dénoncée par Laurianne et Hugues, conduit Laurianne à formaliser un positionnement (identitaire) différent de celui de de Hugues : « Jouer le jeu »... de l’intégration… Expression qu’elle convoque à plusieurs reprises dans une très longue tirade où elle évoque son ressenti sur l’intégration, en tant que minorité visible. Paradoxe du sceau d’ininvisibilitéLaurianne évoque, à l’appui de l’argumentaire qu’elle déroule, un devoir de transparence, en butte, toutefois, au paradoxe entourant l’expérience sociale des minorités visibles en France : être individuellement visible, mais invisible en tant que groupe social (Pap Ndiaye, 2008 : 17) « Jouer le jeu »… : mise en œuvre d’une forme de « laïcité ethnique »…« Fournir l’apparat » revient finalement, pour Laurianne, à lutter contre cette injonction, non pas en « ôtant l’habit de sa culture », comme le dit Hugues, mais en prenant le contre-pied de celle-ci : recouvrir « l’habit de sa culture » d’un voile de culture française, pour préserver son identité, l’affirmant ainsi, silencieusement, mais d’autant plus fortement. |
« Jouer le jeu…, fournir l’ap-pa-rat… et se préserver identitairement »?« A la limite tu dois et fournir ton identité, et ta singularité. Ça, c’est un truc extraordinaire ! C'est-à-dire que : « Chuis black, mais moi en tant que black, je mange pas nécessairement ce que les autres mangent hein* ; moi en tant que black, je sais faire des tartes aux pommes ! ». Donc il a fallu remplir tous ces critères-là pour pouvoir susciter un intérêt. […] Et donc pour moi, quand on a parlé d’intégration, j’ai repensé à tout ça. Je me dis : « Mais finalement, ça fonctionne beaucoup sur les préjugés ». Je me suis dit : « Mais finalement, on est cons de penser que ces gens-là ne nous regardent pas pour ce que nous apparaissons d’abord ». C’est vrai que quand on est noir c’est un peu un repoussoir quoi, les Noirs hein… Mais on oublie que les gens fonctionnent beaucoup sur les apparences. Et j’ai compris ça. Je m’habille en jeans, j’ai un accent correct, j’utilise un très bon français, meilleur que le leur, mei-lleur que le leur. Et c’est là qu’on commence à oh… nous respecter. (Laurianne) « On a vis-à-vis d’eux, on a presqu’un, un devoir de transparence. Oui, on a un devoir de transparence vis-à-vis d’eux, même si la couleur de notre peau fait que c’est difficile d’être transparent. » (Laurianne) Donc, quand on dit : « Intègre-toi », je dis : « Bon d’accord, je vais jouer le jeu de l’intégration. Je vais porter jeans, je vais manger tartiflette, je vais manger quiche lorraine, tout ce que vous voulez. Je vais dire que c’est très bon même si j’aime pas ; et puis après, moi, mon identité, je la garde pour moi ». Moi je dis, il vaut mieux être malin et continuer à simuler parce que l’intégration s’arrête à ma porte après tout. Puisqu’on ne nous demande que de l’apparat, fournissons-leur l’ap-pa-rat. Et préservons-nous identitairement parlant ! » (Laurianne) « Dans les années soixante-dix, l’ambiance intégratrice était de type Michael Jackson : la métamorphose esthétique pour devenir invisible. Transparent. » (Bégag, 2003 : 10) |
Eléments de synthèseExpériences croisées de « Migr’étudiants », « francophones précoces »…Le français au biberon… Langues maternelles détrônées…
« Rapport de force hérité de la colonisation »… Imaginaires historiquement construits
Intégration détricotée…
Laïcité ethnique : « Laisser au pas de sa porte tout « signe visible » et manifestation (pouvant être perçue comme) ostentatoire d’appartenance ethnique, culturelle, linguistique, distincts de ceux considérés comme légitimes, acceptables, dans l’espace public et interrelationnel avec les membres de la société. » (Tending, 2014 : 474) Histoire langagière de Laurianne publiée dans : |