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KH

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33 ans, née au Maroc

Fragments d’histoire de langues

Terrain 4 :: Adultes, 2015-2016.
Corpus, analyses et construction du portrait : Myriam Dupouy

  • KH est née en 1983 à Salé au Maroc.
  • Fille d’une fratrie de huit enfants, elle explique sa non scolarisation par le nombre d’enfants, le fait d’avoir vécu chez son grand-père qui « n’amenait pas les filles à l’école ». A 12 ans elle s’est formée et a commencé à tisser des tapis (une des spécialités de sa ville).
  • Elle a rencontré son mari (Français) au Maroc, ils partagent à présent leur temps entre le Finistère et Témara au Maroc.
  • KH n’a jamais été scolarisée au Maroc, elle apprend à lire et à écrire en français avec son mari, sa belle-mère et en formation linguistique.
  • Sa langue première est le darija, elle déclare parler quelques mots de français depuis le Maroc. Au moment de l’entretien, elle parle et comprend le français, elle semble à l’aise malgré ses discours dévalorisants.
  • KH est la fille du « milieu », pour reprendre ses termes, milieu de la fratrie. Les ainés sont allés à l’école, ses jeunes frères et sœurs aussi. Mais elle, n’a pas eu cette chance, est partie vivre chez ses grands-parents et son grand-père ne voulait pas que les filles aillent à l’école, elle est donc restée aider à la maison. Plus tard, mais lorsqu’elle est encore une enfant, elle est poussée par sa tante à apprendre un métier, pour ne pas rester à « rien faire » et rapporter de l’argent. A 12 ans, KH devient tisseuse de tapis et aide ainsi ses parents, et plus particulièrement sa  mère, pour qui elle a beaucoup de tendresse, et qui lui manque énormément. Elle ne semble pas ressentir de colère ou de déception mais explique que la culture, la famille au Maroc est très différente de ce que l’on connait en France. Il fallait aider sa mère, elle l’a donc aidée en restant près d’elle.

L’alphabétisation ou apprendre à « tout faire » en français

  • KH rencontré son mari français au Maroc. Il y possède une maison et y passe une partie de l’année. Il est plus âgé, ce qui la fait rire et en même temps la rassure. Avec lui elle n’a pas, plus de problème, elle est bien. Ils se marient et elle le suit en France. Elle n’avait jamais voyagé et dit tout apprendre à ses côtés. Son plus gros défi ? Apprendre à écrire et compter en français. Elle est assidue et se fait beaucoup aider par sa belle-mère et son mari. En formation, elle souhaite progresser et trouver des amies, des « jeunes » comme elles. KH se dévalorise souvent, elle parle peu et doucement, de peur qu’on entende son « problème » (=entrée en littératie). Elle considère que les Français sont plus intelligents et rapides qu’elle, et que c’est donc difficile de leur ressembler. Elle oppose son caractère, sa manière de s’exprimer en arabe, à celles de son mari, de sa belle-mère, de la formatrice en français… La hiérarchisation des langues, des locuteurs, des systèmes de valeurs est forte. Le monde de l’écrit domine, et la domine, elle qui parle darija, langue au statut complexe et encore peu reconnu. Les relations complexes entre la France et le Royaume du Maroc viennent appuyer cette asymétrie et ces discours axiologiques.

Renaître en français, et conserver les racines, l’arabe

KH n’a pas coupé les liens avec le Maroc, loin de là. Elle y retourne régulièrement avec son mari, tombé amoureux du pays avant de la rencontrer. KH parle beaucoup de sa mère, qu’elle appelle quotidiennement. Elle ne veut pas oublier, ni se faire oublier. Ici, elle dit vouloir avoir l’accent français, là-bas elle veut, comme avant, être marocaine. Cette pluralité marque l’ambivalence et la complexité d’un parcours d’immigration où les ruptures et continuités s’entremêlent et viennent bouleverser l’ordre établi jusqu’à lors.

Questions de scolarisation (Rapport HCP 2018)

Le Maroc connait un fort taux d’analphabétisme et, bien que ce taux se réduise, notamment grâce aux nombreux plans de lutte successivement mis en place depuis les années 2000 (ex : en 2015, 44% de la population n’a jamais fréquenté un établissement scolaire ou est illettré).

Les femmes sont les plus touchées, sur les 44% des analphabètes, 57, 9 % sont des femmes. Le taux est plus élevé en fonction de l’âge et le milieu rural.

Pour compenser ce qu’elle nomme ses « problèmes », c’est-à-dire son analphabétisme, KH explique qu’elle se doit de parler un français parfait, un « français 100% ». Pour elle et pour les autres (son mari, sa belle-mère et tous les Français en général). C’est ainsi que faire les liaisons est pour elle une marque de respect, reprenant à son compte des discours répandus qui dépassent le cadre de l’apprentissage et du discours didactique. Le monde social de l’écrit qui lui était extérieur est fantasmé, l’apprentissage de la langue française est d’autant plus « chargé ».

La perception de soi et l’oralité de l’arabe

En arabe
« moi j’parle comme ça »
« j’pense pas, c’est facile »
« je parle fort »
« ça sort comme ça »

100%

KH. À propos de sa belle-sœur « elle voulait que j’avance plus, mais on est en France, par exemple on n’est pas d’origine française, on peut pas savoir la, la langue tout à fait cent pour cent quand même, non ? [rire] »

Elle est reconnaissante de ce que la France, à travers la figure de son mari, lui apporte. Son désir de « bien » parler, avec l’accent, relève d’un fort attachement à la langue du pays d’accueil dans laquelle elle entre en littératie, doublé d’un manque de légitimité. Sa langue première n’est pas importante, car non savante, non apprise scolairement. Le darija ne « compte » pas, illustrant les discours communs sur cette langue dont l’appellation pose encore question. Les deux langues s’opposent, dans les usages, les représentations, mais KH apprend à composer et à négocier avec ses différentes « casquettes ». Elle revendique le droit à la pluralité, à sa palette identitaire et linguistique.

L’accent comme marqueur identitaire en français et en arabe le droit à la pluralité

« Mais je pourrai pas parler français à cent pour cent avec l’accent quand même, je viens du Maroc »

Plan de l’exposition →
Imaginaires plurilingues entre familles et écoles : expériences, parcours, démarches didactiques

33 ans, née au Maroc

Fragments d’histoire de langues

Terrain 4 :: Adultes, 2015-2016.
Corpus, analyses et construction du portrait : Myriam Dupouy

  • KH est née en 1983 à Salé au Maroc.
  • Fille d’une fratrie de huit enfants, elle explique sa non scolarisation par le nombre d’enfants, le fait d’avoir vécu chez son grand-père qui « n’amenait pas les filles à l’école ». A 12 ans elle s’est formée et a commencé à tisser des tapis (une des spécialités de sa ville).
  • Elle a rencontré son mari (Français) au Maroc, ils partagent à présent leur temps entre le Finistère et Témara au Maroc.
  • KH n’a jamais été scolarisée au Maroc, elle apprend à lire et à écrire en français avec son mari, sa belle-mère et en formation linguistique.
  • Sa langue première est le darija, elle déclare parler quelques mots de français depuis le Maroc. Au moment de l’entretien, elle parle et comprend le français, elle semble à l’aise malgré ses discours dévalorisants.
  • KH est la fille du « milieu », pour reprendre ses termes, milieu de la fratrie. Les ainés sont allés à l’école, ses jeunes frères et sœurs aussi. Mais elle, n’a pas eu cette chance, est partie vivre chez ses grands-parents et son grand-père ne voulait pas que les filles aillent à l’école, elle est donc restée aider à la maison. Plus tard, mais lorsqu’elle est encore une enfant, elle est poussée par sa tante à apprendre un métier, pour ne pas rester à « rien faire » et rapporter de l’argent. A 12 ans, KH devient tisseuse de tapis et aide ainsi ses parents, et plus particulièrement sa  mère, pour qui elle a beaucoup de tendresse, et qui lui manque énormément. Elle ne semble pas ressentir de colère ou de déception mais explique que la culture, la famille au Maroc est très différente de ce que l’on connait en France. Il fallait aider sa mère, elle l’a donc aidée en restant près d’elle.

L’alphabétisation ou apprendre à « tout faire » en français

  • KH rencontré son mari français au Maroc. Il y possède une maison et y passe une partie de l’année. Il est plus âgé, ce qui la fait rire et en même temps la rassure. Avec lui elle n’a pas, plus de problème, elle est bien. Ils se marient et elle le suit en France. Elle n’avait jamais voyagé et dit tout apprendre à ses côtés. Son plus gros défi ? Apprendre à écrire et compter en français. Elle est assidue et se fait beaucoup aider par sa belle-mère et son mari. En formation, elle souhaite progresser et trouver des amies, des « jeunes » comme elles. KH se dévalorise souvent, elle parle peu et doucement, de peur qu’on entende son « problème » (=entrée en littératie). Elle considère que les Français sont plus intelligents et rapides qu’elle, et que c’est donc difficile de leur ressembler. Elle oppose son caractère, sa manière de s’exprimer en arabe, à celles de son mari, de sa belle-mère, de la formatrice en français… La hiérarchisation des langues, des locuteurs, des systèmes de valeurs est forte. Le monde de l’écrit domine, et la domine, elle qui parle darija, langue au statut complexe et encore peu reconnu. Les relations complexes entre la France et le Royaume du Maroc viennent appuyer cette asymétrie et ces discours axiologiques.

Renaître en français, et conserver les racines, l’arabe

KH n’a pas coupé les liens avec le Maroc, loin de là. Elle y retourne régulièrement avec son mari, tombé amoureux du pays avant de la rencontrer. KH parle beaucoup de sa mère, qu’elle appelle quotidiennement. Elle ne veut pas oublier, ni se faire oublier. Ici, elle dit vouloir avoir l’accent français, là-bas elle veut, comme avant, être marocaine. Cette pluralité marque l’ambivalence et la complexité d’un parcours d’immigration où les ruptures et continuités s’entremêlent et viennent bouleverser l’ordre établi jusqu’à lors.

Questions de scolarisation (Rapport HCP 2018)

Le Maroc connait un fort taux d’analphabétisme et, bien que ce taux se réduise, notamment grâce aux nombreux plans de lutte successivement mis en place depuis les années 2000 (ex : en 2015, 44% de la population n’a jamais fréquenté un établissement scolaire ou est illettré).

Les femmes sont les plus touchées, sur les 44% des analphabètes, 57, 9 % sont des femmes. Le taux est plus élevé en fonction de l’âge et le milieu rural.

Pour compenser ce qu’elle nomme ses « problèmes », c’est-à-dire son analphabétisme, KH explique qu’elle se doit de parler un français parfait, un « français 100% ». Pour elle et pour les autres (son mari, sa belle-mère et tous les Français en général). C’est ainsi que faire les liaisons est pour elle une marque de respect, reprenant à son compte des discours répandus qui dépassent le cadre de l’apprentissage et du discours didactique. Le monde social de l’écrit qui lui était extérieur est fantasmé, l’apprentissage de la langue française est d’autant plus « chargé ».

La perception de soi et l’oralité de l’arabe

En arabe
« moi j’parle comme ça »
« j’pense pas, c’est facile »
« je parle fort »
« ça sort comme ça »

100%

KH. À propos de sa belle-sœur « elle voulait que j’avance plus, mais on est en France, par exemple on n’est pas d’origine française, on peut pas savoir la, la langue tout à fait cent pour cent quand même, non ? [rire] »

Elle est reconnaissante de ce que la France, à travers la figure de son mari, lui apporte. Son désir de « bien » parler, avec l’accent, relève d’un fort attachement à la langue du pays d’accueil dans laquelle elle entre en littératie, doublé d’un manque de légitimité. Sa langue première n’est pas importante, car non savante, non apprise scolairement. Le darija ne « compte » pas, illustrant les discours communs sur cette langue dont l’appellation pose encore question. Les deux langues s’opposent, dans les usages, les représentations, mais KH apprend à composer et à négocier avec ses différentes « casquettes ». Elle revendique le droit à la pluralité, à sa palette identitaire et linguistique.

L’accent comme marqueur identitaire en français et en arabe le droit à la pluralité

« Mais je pourrai pas parler français à cent pour cent avec l’accent quand même, je viens du Maroc »

33 ans, née au Maroc

Fragments d’histoire de langues

Terrain 4 :: Adultes, 2015-2016.
Corpus, analyses et construction du portrait : Myriam Dupouy

  • KH est née en 1983 à Salé au Maroc.
  • Fille d’une fratrie de huit enfants, elle explique sa non scolarisation par le nombre d’enfants, le fait d’avoir vécu chez son grand-père qui « n’amenait pas les filles à l’école ». A 12 ans elle s’est formée et a commencé à tisser des tapis (une des spécialités de sa ville).
  • Elle a rencontré son mari (Français) au Maroc, ils partagent à présent leur temps entre le Finistère et Témara au Maroc.
  • KH n’a jamais été scolarisée au Maroc, elle apprend à lire et à écrire en français avec son mari, sa belle-mère et en formation linguistique.
  • Sa langue première est le darija, elle déclare parler quelques mots de français depuis le Maroc. Au moment de l’entretien, elle parle et comprend le français, elle semble à l’aise malgré ses discours dévalorisants.
  • KH est la fille du « milieu », pour reprendre ses termes, milieu de la fratrie. Les ainés sont allés à l’école, ses jeunes frères et sœurs aussi. Mais elle, n’a pas eu cette chance, est partie vivre chez ses grands-parents et son grand-père ne voulait pas que les filles aillent à l’école, elle est donc restée aider à la maison. Plus tard, mais lorsqu’elle est encore une enfant, elle est poussée par sa tante à apprendre un métier, pour ne pas rester à « rien faire » et rapporter de l’argent. A 12 ans, KH devient tisseuse de tapis et aide ainsi ses parents, et plus particulièrement sa  mère, pour qui elle a beaucoup de tendresse, et qui lui manque énormément. Elle ne semble pas ressentir de colère ou de déception mais explique que la culture, la famille au Maroc est très différente de ce que l’on connait en France. Il fallait aider sa mère, elle l’a donc aidée en restant près d’elle.

L’alphabétisation ou apprendre à « tout faire » en français

  • KH rencontré son mari français au Maroc. Il y possède une maison et y passe une partie de l’année. Il est plus âgé, ce qui la fait rire et en même temps la rassure. Avec lui elle n’a pas, plus de problème, elle est bien. Ils se marient et elle le suit en France. Elle n’avait jamais voyagé et dit tout apprendre à ses côtés. Son plus gros défi ? Apprendre à écrire et compter en français. Elle est assidue et se fait beaucoup aider par sa belle-mère et son mari. En formation, elle souhaite progresser et trouver des amies, des « jeunes » comme elles. KH se dévalorise souvent, elle parle peu et doucement, de peur qu’on entende son « problème » (=entrée en littératie). Elle considère que les Français sont plus intelligents et rapides qu’elle, et que c’est donc difficile de leur ressembler. Elle oppose son caractère, sa manière de s’exprimer en arabe, à celles de son mari, de sa belle-mère, de la formatrice en français… La hiérarchisation des langues, des locuteurs, des systèmes de valeurs est forte. Le monde de l’écrit domine, et la domine, elle qui parle darija, langue au statut complexe et encore peu reconnu. Les relations complexes entre la France et le Royaume du Maroc viennent appuyer cette asymétrie et ces discours axiologiques.

Renaître en français, et conserver les racines, l’arabe

KH n’a pas coupé les liens avec le Maroc, loin de là. Elle y retourne régulièrement avec son mari, tombé amoureux du pays avant de la rencontrer. KH parle beaucoup de sa mère, qu’elle appelle quotidiennement. Elle ne veut pas oublier, ni se faire oublier. Ici, elle dit vouloir avoir l’accent français, là-bas elle veut, comme avant, être marocaine. Cette pluralité marque l’ambivalence et la complexité d’un parcours d’immigration où les ruptures et continuités s’entremêlent et viennent bouleverser l’ordre établi jusqu’à lors.

Questions de scolarisation (Rapport HCP 2018)

Le Maroc connait un fort taux d’analphabétisme et, bien que ce taux se réduise, notamment grâce aux nombreux plans de lutte successivement mis en place depuis les années 2000 (ex : en 2015, 44% de la population n’a jamais fréquenté un établissement scolaire ou est illettré).

Les femmes sont les plus touchées, sur les 44% des analphabètes, 57, 9 % sont des femmes. Le taux est plus élevé en fonction de l’âge et le milieu rural.

Pour compenser ce qu’elle nomme ses « problèmes », c’est-à-dire son analphabétisme, KH explique qu’elle se doit de parler un français parfait, un « français 100% ». Pour elle et pour les autres (son mari, sa belle-mère et tous les Français en général). C’est ainsi que faire les liaisons est pour elle une marque de respect, reprenant à son compte des discours répandus qui dépassent le cadre de l’apprentissage et du discours didactique. Le monde social de l’écrit qui lui était extérieur est fantasmé, l’apprentissage de la langue française est d’autant plus « chargé ».

La perception de soi et l’oralité de l’arabe

En arabe
« moi j’parle comme ça »
« j’pense pas, c’est facile »
« je parle fort »
« ça sort comme ça »

100%

KH. À propos de sa belle-sœur « elle voulait que j’avance plus, mais on est en France, par exemple on n’est pas d’origine française, on peut pas savoir la, la langue tout à fait cent pour cent quand même, non ? [rire] »

Elle est reconnaissante de ce que la France, à travers la figure de son mari, lui apporte. Son désir de « bien » parler, avec l’accent, relève d’un fort attachement à la langue du pays d’accueil dans laquelle elle entre en littératie, doublé d’un manque de légitimité. Sa langue première n’est pas importante, car non savante, non apprise scolairement. Le darija ne « compte » pas, illustrant les discours communs sur cette langue dont l’appellation pose encore question. Les deux langues s’opposent, dans les usages, les représentations, mais KH apprend à composer et à négocier avec ses différentes « casquettes ». Elle revendique le droit à la pluralité, à sa palette identitaire et linguistique.

L’accent comme marqueur identitaire en français et en arabe le droit à la pluralité

« Mais je pourrai pas parler français à cent pour cent avec l’accent quand même, je viens du Maroc »

33 ans, née au Maroc

Fragments d’histoire de langues

Terrain 4 :: Adultes, 2015-2016.
Corpus, analyses et construction du portrait : Myriam Dupouy

  • KH est née en 1983 à Salé au Maroc.
  • Fille d’une fratrie de huit enfants, elle explique sa non scolarisation par le nombre d’enfants, le fait d’avoir vécu chez son grand-père qui « n’amenait pas les filles à l’école ». A 12 ans elle s’est formée et a commencé à tisser des tapis (une des spécialités de sa ville).
  • Elle a rencontré son mari (Français) au Maroc, ils partagent à présent leur temps entre le Finistère et Témara au Maroc.
  • KH n’a jamais été scolarisée au Maroc, elle apprend à lire et à écrire en français avec son mari, sa belle-mère et en formation linguistique.
  • Sa langue première est le darija, elle déclare parler quelques mots de français depuis le Maroc. Au moment de l’entretien, elle parle et comprend le français, elle semble à l’aise malgré ses discours dévalorisants.
  • KH est la fille du « milieu », pour reprendre ses termes, milieu de la fratrie. Les ainés sont allés à l’école, ses jeunes frères et sœurs aussi. Mais elle, n’a pas eu cette chance, est partie vivre chez ses grands-parents et son grand-père ne voulait pas que les filles aillent à l’école, elle est donc restée aider à la maison. Plus tard, mais lorsqu’elle est encore une enfant, elle est poussée par sa tante à apprendre un métier, pour ne pas rester à « rien faire » et rapporter de l’argent. A 12 ans, KH devient tisseuse de tapis et aide ainsi ses parents, et plus particulièrement sa  mère, pour qui elle a beaucoup de tendresse, et qui lui manque énormément. Elle ne semble pas ressentir de colère ou de déception mais explique que la culture, la famille au Maroc est très différente de ce que l’on connait en France. Il fallait aider sa mère, elle l’a donc aidée en restant près d’elle.

L’alphabétisation ou apprendre à « tout faire » en français

  • KH rencontré son mari français au Maroc. Il y possède une maison et y passe une partie de l’année. Il est plus âgé, ce qui la fait rire et en même temps la rassure. Avec lui elle n’a pas, plus de problème, elle est bien. Ils se marient et elle le suit en France. Elle n’avait jamais voyagé et dit tout apprendre à ses côtés. Son plus gros défi ? Apprendre à écrire et compter en français. Elle est assidue et se fait beaucoup aider par sa belle-mère et son mari. En formation, elle souhaite progresser et trouver des amies, des « jeunes » comme elles. KH se dévalorise souvent, elle parle peu et doucement, de peur qu’on entende son « problème » (=entrée en littératie). Elle considère que les Français sont plus intelligents et rapides qu’elle, et que c’est donc difficile de leur ressembler. Elle oppose son caractère, sa manière de s’exprimer en arabe, à celles de son mari, de sa belle-mère, de la formatrice en français… La hiérarchisation des langues, des locuteurs, des systèmes de valeurs est forte. Le monde de l’écrit domine, et la domine, elle qui parle darija, langue au statut complexe et encore peu reconnu. Les relations complexes entre la France et le Royaume du Maroc viennent appuyer cette asymétrie et ces discours axiologiques.

Renaître en français, et conserver les racines, l’arabe

KH n’a pas coupé les liens avec le Maroc, loin de là. Elle y retourne régulièrement avec son mari, tombé amoureux du pays avant de la rencontrer. KH parle beaucoup de sa mère, qu’elle appelle quotidiennement. Elle ne veut pas oublier, ni se faire oublier. Ici, elle dit vouloir avoir l’accent français, là-bas elle veut, comme avant, être marocaine. Cette pluralité marque l’ambivalence et la complexité d’un parcours d’immigration où les ruptures et continuités s’entremêlent et viennent bouleverser l’ordre établi jusqu’à lors.

Questions de scolarisation (Rapport HCP 2018)

Le Maroc connait un fort taux d’analphabétisme et, bien que ce taux se réduise, notamment grâce aux nombreux plans de lutte successivement mis en place depuis les années 2000 (ex : en 2015, 44% de la population n’a jamais fréquenté un établissement scolaire ou est illettré).

Les femmes sont les plus touchées, sur les 44% des analphabètes, 57, 9 % sont des femmes. Le taux est plus élevé en fonction de l’âge et le milieu rural.

Pour compenser ce qu’elle nomme ses « problèmes », c’est-à-dire son analphabétisme, KH explique qu’elle se doit de parler un français parfait, un « français 100% ». Pour elle et pour les autres (son mari, sa belle-mère et tous les Français en général). C’est ainsi que faire les liaisons est pour elle une marque de respect, reprenant à son compte des discours répandus qui dépassent le cadre de l’apprentissage et du discours didactique. Le monde social de l’écrit qui lui était extérieur est fantasmé, l’apprentissage de la langue française est d’autant plus « chargé ».

La perception de soi et l’oralité de l’arabe

En arabe
« moi j’parle comme ça »
« j’pense pas, c’est facile »
« je parle fort »
« ça sort comme ça »

100%

KH. À propos de sa belle-sœur « elle voulait que j’avance plus, mais on est en France, par exemple on n’est pas d’origine française, on peut pas savoir la, la langue tout à fait cent pour cent quand même, non ? [rire] »

Elle est reconnaissante de ce que la France, à travers la figure de son mari, lui apporte. Son désir de « bien » parler, avec l’accent, relève d’un fort attachement à la langue du pays d’accueil dans laquelle elle entre en littératie, doublé d’un manque de légitimité. Sa langue première n’est pas importante, car non savante, non apprise scolairement. Le darija ne « compte » pas, illustrant les discours communs sur cette langue dont l’appellation pose encore question. Les deux langues s’opposent, dans les usages, les représentations, mais KH apprend à composer et à négocier avec ses différentes « casquettes ». Elle revendique le droit à la pluralité, à sa palette identitaire et linguistique.

L’accent comme marqueur identitaire en français et en arabe le droit à la pluralité

« Mais je pourrai pas parler français à cent pour cent avec l’accent quand même, je viens du Maroc »